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Politique

Élections 2012 : Le « vote musulman » réagira-t-il ?

Rédigé par Mérième Alaoui (article) et Nadia Henni-Moulaï (encadré) | Vendredi 13 Avril 2012 à 12:26

           

Il n’y a pas de vote musulman et les musulmans votent peu en général… Ce qui paraissait une certitude il y a quelques mois encore interroge aujourd'hui les esprits. En effet, le quinquennat Sarkozy comme la campagne électorale 2012 ont été marqués par un climat et des discours islamophobes : ils pourraient faire réagir les électeurs « de culture, d'origine, d'héritage ou de confession » musulmane aux scrutins présidentiel et législatifs. Le 22 avril, le 6 mai et les 10 et 17 juin prochains, à qui vont profiter leurs voix ?



Élections 2012 : Le « vote musulman » réagira-t-il ?
Le vote musulman n’existe pas. Simplement parce que, à l’image du reste des Français, « les électeurs de confession musulmane se distribuent sur l’ensemble de l’échiquier politique et votent en fonction de leur situation personnelle. Le vote des musulmans ne s’exprime pas à travers l’appartenance religieuse », explique Omero Marongiu-Perria, sociologue spécialiste de l’ethnicité et des religions, sur le Maghreb et l’islam.

Pour preuve, le manque d’intérêt accordé au Parti des musulmans de France (PMF), créé en 1997 par le très controversé Mohamed Ennacer Latrèche, dont les positions sont considérées comme étant extrémistes, et qui, malgré ses 2 000 adhérents autrefois affichés, ne fait plus parler de lui.

Certaines études tentent tout de même de cerner un peu plus cet électorat de 5 à 6 millions de musulmans. Selon Pascal Perrineau, directeur du CEVIPOF de Sciences Po, « l’électorat musulman » est davantage « composé d’employés et d’ouvriers ». La grande majorité des familles musulmanes vit dans les quartiers populaires et dans les villes de banlieue, là où est d’ailleurs concentré le plus grand nombre de mosquées. Les musulmans seraient abstentionnistes : 70 % des sondés en 2010 n’ont pas voté aux dernières régionales.

Génération Y

Mais cela semble bien évoluer avec la génération des 28-45 ans. « Une génération investie dans le monde associatif et citoyen. Des musulmans diplômés bien au-delà du bac et insérés professionnellement », décrit Omero Marongiu-Perria. Ceux-là appartiennent totalement à la génération Y. Smart-phone addicts, ils sont actifs sur la Toile et suivent de près la campagne via les réseaux sociaux et autres sites Internet.

Un activisme qui détonne comparativement à la discrétion de leurs aînés, qui « font souvent le dos rond et ne veulent pas se faire remarquer. Ils votent à gauche presque mécaniquement, ou pour le candidat le plus modéré… », explique Franck Frégosi, chercheur à Sciences Po Aix-en-Provence.

Selon un sondage CSA-La Croix, les musulmans sondés ont voté plutôt à gauche au second tour des régionales (69 %), contrairement aux catholiques les plus pratiquants, qui ont choisi la droite à 73 %.

Un vote anti-UMP ?

Cela n’a échappé à personne. Ces dernières années ont été marquées par un climat islamophobe installé en France par l’UMP, par la voix notamment de Claude Guéant, de Brice Hortefeux ou de Nadine Morano. Même si Nicolas Sarkozy a déclaré qu’il n’y avait « pas lieu de polémiquer » et a contredit Marine le Pen qui affirmait que 100 % de la viande d’Île-de-France était halal, le mal est fait. « Ils disent : “Trop, c’est trop”, ils sont agacés, blessés, voire choqués. Et cela concerne aussi ceux qui n’ont de musulman que les origines… Tous se sont sentis montrés du doigt », analyse Franck Frégosi.

Nadia, chargée de clientèle de 32 ans, confirme : « Non seulement je ne voterai pas Nicolas Sarkozy, mais je militerai pour que les musulmans de mon entourage fasse de même ! » Une tendance qui se confirme même dans les rangs de l’UMP. Abderrahmane Dahmane, le provocateur ex-conseiller à la diversité de Nicolas Sarkozy, avait vivement critiqué le débat sur l’identité nationale au point de se faire limoger. Rancune ou sentiment d’injustice, le président du Conseil des démocrates musulmans de France milite depuis pour faire perdre son ancien « ami » Nicolas Sarkozy. « Aucun musulman ne doit donner sa voix à l’UMP ! », clame celui qui est aussi le conseiller de Dalil Boubakeur à la Grande Mosquée de Paris. Il se dit même prêt à faire le grand écart et à rallier le PS…

Si un certain nombre de musulmans expriment clairement leur rejet de l’UMP, cela ne veut pas dire pour autant que leur choix est fait.

« Pas de vote d’adhésion »

On pourrait croire que François Hollande, qui a fait un début de campagne remarqué, rassemblerait ces déçus. Pas si sûr pour Aymen, enseignant d’histoire-géographie de 31 ans : « Je ne voterai jamais pour le PS. Pour la première fois que le Sénat est à gauche, ce parti commence par voter une loi islamophobe et injuste ! » La loi « anti-nounous voilées » a déçu les musulmans. Comme Mamans toutes égales ou le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), les associations musulmanes avaient vivement réagi et même manifesté devant le Sénat.

Mais d’autres électeurs voteront, au contraire, pour François Hollande. « C’est le seul à proposer un programme égalitaire », explique Karim, fonctionnaire de 27 ans. « Mais, surtout, selon moi, il peut rassembler et battre Sarkozy. Je vais donc voter utile. » Quant à Dounia, jeune trentenaire qui travaille dans la communication, sa voix ira à Éva Joly. « Europe Écologie Les Verts n’a jamais stigmatisé les musulmans et surtout je ne voterai ni pour le PS, ni pour l’UMP ! »

Le vote de ces musulmans à la présidentielle 2012 « n’est pas un vote d’adhésion », estime Franck Frégosi. La seule certitude est peut-être le « tout, sauf Sarkozy ».

N’importe quel parti républicain ?

Mais « attention ! », prévient M’hammed Henniche, secrétaire général de l’UAM 93, Union des associations musulmanes de Seine-Saint-Denis. « Peut-être que Nicolas Sarkozy va faire son "mea culpa" et rassembler autour de lui les musulmans ? Notre vote n’est acquis à personne », poursuit celui qui estime faire du lobbying auprès des politiques. L’Union rassemble 30 mosquées dans le département où l’islam est la première religion. Les habitants du 93 voient régulièrement défiler les élus politiques. « Nous pourrions nous ranger derrière n’importe quel parti républicain… Sauf le FN bien sûr », déclare M’Hammed Henniche.

Pourtant, beaucoup de croyants ne se cachent plus et déclarent leur flamme à Marine Le Pen. Mais la majorité des musulmans attend toujours d’être entendus et séduits. François Bayrou a compris l’intérêt de se démarquer. Le président du Modem a déclaré, lundi 20 février, qu’il créerait « un ministère de l’Égalité, qui sera chargé de la lutte contre les discriminations pas seulement celles qui sont liées à l’immigration, mais (…) les discriminations contre les femmes, à l’emploi qui frappe souvent des jeunes issus de quartiers », a affirmé le candidat à la présidentielle.

Las de la stigmatisation dont ils sont victimes, les musulmans attendent surtout un discours rassembleur et républicain. En vain ?

LE VOTE DES EXPATRIÉS

Ils ont fait le choix de vivre hors de France, parce que l’air hexagonal devenait irrespirable ou pour mieux booster leur carrière. Près de 1,6 million de Français vit à l’étranger. 821 600 ont choisi d’exercer leur droit de vote lors de l’élection présidentielle de 2007. Combien seront-ils en 2012 ?

Parmi eux, Leila, 32 ans. Cette professeure de français installée à Doha (Qatar) suit les élections de loin. « Je me branche sur France 24 et TV5, les chaînes dont je dispose ici, explique-t-elle. Je m’intéresse aux discours des candidats, je consulte les sondages rapidement. » Mais, contrairement aux scrutins précédents, Leïla avoue « se sentir moins concernée par la vie politique française ».

La possibilité d’opter pour l’abstention se profile peu à peu. « Entre la crise et les propositions bidons, je suis blasée ! » Un avis que ne partage pas Soraya, 33 ans. Installée à Londres, son bulletin de vote, elle l’utilisera par procuration : « Je compte barrer la route à Sarkozy. Pour mes parents, mes amis... »

Saïd, 37 ans, entrepreneur, n’ira pas voter. Ce Français installé à Alger depuis 2006 est formel : « Ma vie en France, c’est fini. Quel que soit le candidat, les minorités ne sont pas la priorité des candidats ! »






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