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Depuis Marseille, le plaidoyer pour la cause des Rohingyas se poursuit

Rédigé par Zakaria Bensaïd | Vendredi 9 Février 2018 à 08:30

Les Rohingyas n'occupent plus vraiment la scène médiatique française depuis le début de l'année 2018. La crise n'est pourtant pas en passe d'être résolue. C'est pour ne pas oublier l'oppression vécue par la minorité musulmane en Birmanie que le collectif Halte au massacre en Birmanie (HAMEB) continue inlassablement d'organiser des conférences. Un travail de sensibilisation qui s'est récemment poursuivi à Marseille. Reportage.



Le collectif Halte au massacre en Birmanie (HAMEB) organise des rencontres régulières en France pour sensibiliser l'opinion publique à la cause des Rohingyas, ici, le 28 janvier à Marseille. Aux côtés de Sakina Kechirat et Nordine Errais de HAMEB, Haroon Yusuf, réfugié rohingya en France, la représentante du bouddhisme Cécile, l'imam Ismail Abou Ibrahim et l'écrivain et professeur Abderrahim Bouzelmate (de dr. à g.).
Sensibiliser, informer et mobiliser en faveur de la cause des Rohingyas : telle est la constante du collectif Halte au massacre en Birmanie (HAMEB) qui organise, tout au long de l’année, des conférences. A Besançon le 4 février, à Marseille le 28 janvier… les conférences se suivent et se répètent pour les militants de l’association. Mais qu’importe, l’essentiel est de sensibiliser encore et toujours plus de monde, en particulier lors de périodes où l’actualité des Rohingyas ne fait plus les Unes en France comme ce fut le cas à la fin de l’été 2017.

Dans la cité phocéenne, fin janvier, une centaine de personnes ont fait le déplacement pour écouter Nordine Errais et Sakina Kechirat, du collectif HAMEB, rappeler la douloureuse histoire des Rohingyas, procédant par la même occasion à un état des lieux de la situation géopolitique en Birmanie. Ils sont aujourd’hui plus d’un million de personnes à avoir fui le pays, la très grande majorité vers le Bangladesh.


Echapper à tout prix à l’enfer birman

Aujourd’hui, il ne resterait plus que 150 000 Rohingyas en Birmanie, une minorité musulmane apatride depuis 1982 dans un pays comptant plus de 90 % de bouddhistes. L’armée birmane a entrepris un véritable « nettoyage ethnique » – selon les termes mêmes d’Emmanuel Macron en septembre 2017 – en brulant des villages, en assassinant des hommes et en violant des femmes en masse.

Pour HAMEB, la religion et la philosophie bouddhiste sont clairement instrumentalisées au plus haut sommet de l’Etat birman, avec un discours islamophobe véhiculé par la junte et de hauts responsables religieux qui vise à vider la province d’Arakan de ses Rohingyas.

Pour échapper à cet enfer, ces éternels « Bengalis » aux yeux de l’Etat birman ont dû fuir à travers la jungle, sans nourriture et dans des conditions sanitaires extrêmes, avant de finir par s’entasser par centaines de milliers dans des camps de réfugiés au Bangladesh. Les médecins sur place font état de traumatismes physiques et psychologiques : selon l’UNICEF, les enfants représentent à eux seuls près de 60 % des réfugiés.

S’inscrire dans l’action constante et durable

Haroon Yusuf, l'un des 15 réfugiés rohingyas ayant obtenu l'asile en France.
Les activistes du collectif HAMEB rappellent que, au-delà de la crise humanitaire engendrée par les déplacements massifs de population, il est nécessaire de réintégrer les Rohingyas dans leur pays, la Birmanie, et d’arriver à « faire accepter socialement cette minorité par le reste de la population ». La cause des Rohingyas n’est pas seulement une crise humanitaire, « il s’agit d’une crise ethnique, politique et sociale ».

Aux côtés de HAMEB, la table ronde était composée du professeur et écrivain Abderrahim Bouzelmate, de l’imam conférencier Ismail Abou Ibrahim, et de Cécile, une représentante du bouddhisme de Nichiren.

Tandis que le premier a fait part du « processus de déshumanisation opéré avant toute entreprise de génocide » au travers de l’instrumentalisation de la religion, la représentante bouddhiste a rappelé le caractère non-violent de son culte, tel qu’il a été exprimé par l’Union des bouddhistes de France (UBF).

L’imam a, quant à lui, exhorté l’assistance à « ne pas agir sous l’effet de l’émotion » mais plutôt à « s’inscrire dans l’action constante et durable », visant in fine à combattre toute forme d’oppression, quel que soit l’opprimé, quelle que soit sa confession, en rappelant notamment la condition des chrétiens d’Orient.

Faire émerger des leaders rohingyas

La conférence a été marquée par le témoignage de Harun Yusuf, Rohingya réfugié en France et représentant du Conseil européen des Rohingyas. L’homme de 37 ans raconte avoir quitté la Birmanie à l’âge de cinq ans pour rester au Bangladesh pendant deux mois avant de se rendre en Arabie Saoudite puis au Pakistan où il s'établit jusqu’en 2003. Aujourd’hui, il fait partie des 15 Rohingyas présents en France (11 ont pu obtenir l’asile jusqu'à présent), sur les trois millions d’apatrides que compte son peuple. Ce problème est bien plus ancien qu’il n’y parait ; la question rohingya dure aujourd'hui depuis plus de 75 années.

Haroon Yusuf a rappelé que le livre Influx virus - The Illegal Muslims in Arakan (Le virus de l’afflux - Les illégaux musulmans dans l’Arakan) sur lequel se sont notamment appuyées les autorités birmanes pour affirmer que les Rohingyas sont des étrangers sans papiers en Birmanie sert, depuis sa parution en 2005, d’outil de propagande qui nie l’ancrage historique des Rohingyas dans l’Arakan.

Le plus grand défi des Rohingyas ? Pour Haroon Yusuf, c’est bien l’information et l’éducation, de manière à ce que puisse émerger des leaders capables de lutter contre l’injustice qui touche aujourd’hui son peuple.

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