Points de vue

Ben Laden : la fin d'une époque

Par Sydney Smith*

Rédigé par Sydney Smith | Lundi 16 Mai 2011 à 09:55



Washington - Ces dix dernières années ont été marquées par les événements du 11 septembre 2001, qu'avait déclenchés Oussama ben Laden. Mais pour les dix prochaines années, il ne faut pas qu'elles soient dominées par son ombre.

Comme sa vie, la mort de ben Laden est déjà objet de controverse. Les dirigeants mondiaux n'ont pas tardé à célébrer sa mort, tout en rappelant à leurs peuples que le combat contre le terrorisme n'a pas fini avec la mort d'un homme. La rapidité avec laquelle il a été enseveli, et le fait que le gouvernement du président Barack Obama ait décidé de ne pas divulguer de photographies, a conduit certains à mettre en doute sa mort. Etats-Unis, Europe, monde musulman, talibans en Afghanistan : le scepticisme est venu de partout.

Dans les pays majoritairement musulmans, nombreux sont ceux qui voient là un résultat somme toute naturel de la suspicion qui entoure généralement l'implication américaine au Moyen-Orient et en Asie du Sud, à cause surtout des guerres que les Etats-Unis mènent en Irak et en Afghanistan. Selon Shadi Hamid, directeur de recherches au Brookings Center de Doha, cité par le Wall Street Journal, “ce n'est pas tant de ben Laden que des Etats-Unis qu'il s'agit. Ce sont les Etats-Unis qui ont raconté toute l'histoire au monde — et la réaction naturelle est souvent de mettre en doute tout ce que les Etats-Unis racontent”.

La position de l'imam Khalid Latif, aumônier musulman à l'Université de New York, est différente, qui ne se focalise pas sur les débats autour de la mort de ben Laden, mais, plutôt, sur ce que l'avenir pourrait nous réserver: “J'espère — dit-il — que toute personne qui a perdu quelqu'un le 11 septembre 2001 éprouve un peu de réconfort, et qu'ensemble nous pourrons engager ce processus de guérison et de réconciliation dont notre ville et notre nation ont besoin”.

Ce processus est-il près de commencer ?

Un certain nombre d'Américains, jeunes pour la plupart, se sont rassemblés, le 1er mai dernier, à Ground Zero et à Times Square et devant la Maison Blanche, après qu'Obama se fut adressé à la nation en direct, pour saluer et fêter la mort de ben Laden d'une manière qui en a gêné beaucoup. Mona Eltahawy, journaliste spécialisée dans les questions arabes, qui était lundi à Ground Zero, a trouvé que les slogans scandés par les “frat boys” n'ont pas vraiment contribué à honorer ceux qui ont perdu la vie le 11 septembre 2001.

Rappelant les soulèvements qui agitent le Moyen-Orient, Mme Eltahawy dit: “Parmi les musulmans et les Arabes de ma connaissance, je n'entends aucune manifestation de sympathie pour ben Laden. Ils sont soulagés qu'il soit enfin parti. Mais, et on les comprend, ils s'inquiètent que l'obsession médiatique ne lui permette de détourner ces nobles révolutions à son propre profit. Un homme a été tué; mais tous les jours, des dizaines d'hommes qui osent regarder des despotes dans les yeux sont froidement massacrés”.

Par certains côtés, l'héritage le plus marquant de ben Laden est le sentiment de soupçon que tant d'Américains éprouvent envers leurs voisins, voire des régions ou des religions entières. Et c'est le même soupçon qui fausse le regard de tant de musulmans et d'Arabes lorsqu'ils regardent l'Amérique.

Et cela, nous pouvons le changer.

Mes amis musulmans, originaires de pays arabes et sud-asiatiques, ne pardonnent pas à ben Laden de les avoir privés de leur droit d'être traités en individus, d'avoir limité leur liberté de mouvement, de les avoir privés de voix, et de les avoir associés à des actes qu'ils n'avaient ni commis ni approuvés. Certes, ben Laden a encore ses sympathisants, qui voient en lui le symbole de la lutte contre l'impérialisme occidental, mais ils sont bien rares.

Ce que la mort de ben Laden nous a fait comprendre avant tout, c'est qu'il est de plus en plus “insignifiant”, selon les termes de Robert Fisk, qui l'avait interviewé trois fois. Si la dernière décennie a été largement définie par la crainte et la terreur, ce n'est que justice si elle s'achève aujourd'hui sur la renaissance de la démocratie au Proche-Orient et en Afrique du nord. Puissent les dix prochaines années être définies par l'expression d'un peuple telle que nous l'avons vue en Egypte et en Tunisie, où ce sont les gens de la rue qui ont fait entendre et continuent de faire entendre leur voix.

La mort de ben Laden n'est pas la mort du terrorisme. Mais cet événement est l'occasion de tourner la page et d'ouvrir le dialogue. Jusqu'à présent, notre ignorance de l'islam, du Proche-Orient et de l'Asie du sud a faussé notre regard et empêcher les contacts entre les Américains et le monde musulman.

Pour aller de l'avant, toutes les voix doivent se faire entendre. Qui les écoutera ?


* Sydney Smith est chargé des communications à Search for Common Ground, organisation internationale de transformation des conflits

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