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Avec « Frères de l’ombre », lumière sur l'histoire méconnue des tirailleurs sénégalais

Reçu à Saphirnews

Rédigé par | Vendredi 2 Avril 2021 à 12:30



L'avis de Saphirnews

Explorer l’histoire méconnue des tirailleurs sénégalais et mettre au jour, par extension, une des faces cachées de l’histoire coloniale française, voilà l’objectif du roman Frères de l’ombre écrit par la journaliste et rédactrice en chef du Courrier de l’Atlas Nadia Hatroubi-Safsaf. Cette fiction, ancrée dans un contexte historique bien réel, relate l’expérience de guerre de trois hommes : Issa, Ousmane et Djibril.

Le premier, arraché à son village natal du Sénégal et enrôlé de force par l’armée française pendant la Grande Guerre, sera victime d’une terrible injustice. Sa mort, entourée de mystères et de mensonges, poussera son fils, Ousmane, à se mettre en quête de la vérité qui l'amènera à rejoindre à son tour, mais volontairement, les rangs de l’armée française pendant la Seconde Guerre mondiale. Ce qu'il découvrira marquera profondément le jeune homme ainsi que toute sa lignée.

A travers son roman, Nadia Hathroubi-Safsaf met en lumière le sort de milliers de soldats africains partis se battre, de gré mais aussi souvent de force, dans les rangs de l'armée française. Du centre-ville de Dakar jusqu’au fort de Douaumont à Verdun, l’ouvrage nous transporte au gré des soubresauts de l’Histoire.

Mais ces voyages ne sont pas écrits pour inviter le lecteur à l'évasion. Au contraire, ils lui dévoilent une réalité enfouie, passée sous silence. Ainsi, en suivant les traces d’Issa, on découvre le drame des tirailleurs sénégalais « fusillés pour l'exemple » pendant « la Der des Ders » (ce que devait être la Première Guerre mondiale), ou encore le traitement injuste dont sont victimes ces soldats dans les coulisses de l’Empire colonial. C’est au travers d'Ousmane que l’on entrevoit par la suite, à l’aube de la Seconde Guerre mondiale, les affres de la discrimination puis, au moment de la Libération, l’épisode terrible du blanchiment des troupes coloniales malgré leur indéniable apport à la victoire contre le nazisme.

Soixante-deux ans plus tard, en 2007, le lecteur rencontre Djibril, son petit-fils. C'est précisément l’année où, lors de son discours à Dakar, Nicolas Sarkozy, alors chef de l'Etat, dira que « l'homme africain n'est pas assez entré dans l'Histoire ». Des mots qui sonneront comme un déni du sacrifice consenti par les tirailleurs sénégalais et de tous les indigènes morts pour la France.

A l’aune de cet évènement, Djibril, fervent partisan de la méritocratie, loin de s'intéresser aux blessures de son passé familial, devra s’y plonger et interroger son rôle dans la restauration d’une mémoire occultée. « Nous devons écrire nos histoires. (...) Tant que les lions n’auront pas leur propre histoire, l’histoire glorifie toujours le chasseur. Il me semble donc légitime que les enfants issues de l’immigration investissent le champ universitaire, les médias, les arts, pour porter plus loin leurs voix. (...) Il est important de se souvenir de l’effort et du sacrifice de ces hommes, venus de tout l’Empire colonial, afin de combattre pour l’amère patrie », lui lancera son amie universitaire Aissa, cherchant à créer dans l’esprit de son ami un sursaut de conscience.

Impossible de ne pas comprendre le message de l'écrivaine à la lecture de ce passage qui ne semble pas s’adresser qu’à Djibril. Par ces mots, Nadia Hathroubi-Safsaf invite le lecteur à mieux connaître et s'approprier l’histoire de France dans toutes ses facettes pour rétablir l’honneur de ceux qui sont trop longtemps restés les « frères de l’ombre ».

Présentation de l'éditeur

1917 – Fort de Douaumont. Dans une cellule sombre et humide, Issa, tirailleur sénégalais, attend la mort. Il fait partie de ceux que l’on a appelés « les fusillés pour l’exemple ».

1939 – Dakar. Ousmane, s’enrôle à son tour. Il espère en même temps en savoir davantage sur la mort de son père, Issa. Mais il est immédiatement entraîné dans la tourmente de la guerre où il s’illustrera à plusieurs reprises. Détenu dans un fronstalag, il réussit à s’évader avec deux autres tirailleurs pour trouver refuge chez des paysans où une idylle va naître, avant qu’ils ne rejoignent la Résistance. Après la prise du Vercors par les Allemands, Ousmane doit à nouveau fuir. Sans oublier sa quête : pourquoi son père a-t-il été fusillé ? Ce n’est que plus tard qu’il apprendra la vérité, loin de la version officielle.

2007 – Paris. Djibril parcourt la ville, d’hôpital en hôpital, à la recherche de son grand-père Ousmane, disparu. Une piste à laquelle il n’aurait jamais pensé va s’ouvrir. Et c’est tout un pan méconnu de l’histoire familiale qui va se dévoiler. Il aura alors à cœur de rétablir l’honneur de son arrière-grand-père comme de corriger les erreurs du passé.

L'auteure

Après Ce sont nos frères et leurs enfants sont nos enfants (Prix Les voix de la Paix 2017), consacré à ces résistants algériens qui ont sauvé des enfants juifs lors de la rafle du Vél’ d’Hiv’, l’auteure continue d’explorer les pages méconnues de l’Histoire. Rédactrice en chef du Courrier de l’Atlas, Nadia Hathroubi-Safsaf publie ici son cinquième ouvrage.

Nadia Hathroubi-Safsaf, Frères de l'ombre, Zellige, juillet 2020, 176 pages, 20 €