Politique

Au dîner du CRIF, Macron en marche pour intégrer l’antisionisme dans la définition de l’antisémitisme

Rédigé par | Jeudi 21 Février 2019 à 08:00

Critiquer Israël sera-t-il toujours possible demain en France, sans entrave et sans que le chantage à l'antisémitisme ne pèse sur les défenseurs des droits des Palestiniens ? L’intégration de l’antisionisme dans la définition de l’antisémitisme est en marche en France. C’est l’annonce phare faite par Emmanuel Macron au dîner annuel du CRIF, organisé mercredi 20 février au lendemain des grandes manifestations contre les actes antisémites, en progression dans le pays. La confusion entretenue entre ce qui relève d'une opinion politique et ce qui relève du délit - le racisme en l'occurrence - inquiète.



« Je ne pense pas que pénaliser l’antisionisme soit une bonne solution. » Voici ce que faisait valoir le président de la République Emmanuel Macron, mardi 19 février, en réponse aux députés envisageant de proposer une loi pénalisant l’antisionisme. A l’aune de son discours prononcé mercredi 20 février au dîner annuel du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), c’est pourtant bien le contraire qu’il faudrait comprendre.

Déplorant que la France, « comme d'ailleurs l'ensemble de l'Europe et la quasi-totalité des démocraties occidentales, est confronté à une résurgence de l'antisémitisme sans doute inédite depuis la Seconde Guerre mondiale », le chef de l’Etat a annoncé que la France allait adopter dans ses textes de référence une définition de l'antisémitisme qui intègre l'antisionisme.

« La France, qui l'a endossée en décembre (2018) avec ses partenaires européens, mettra en œuvre la définition de l'antisémitisme adoptée (en mai 2016, ndlr) par l'Alliance internationale pour la mémoire de la Shoah » (IHRA), a-t-il affirmé. Car, pour Emmanuel Macron, pas de doute : « L'antisionisme est une des formes modernes de l'antisémitisme. »


Pourquoi la référence de l’IHRA pose problème

L’IHRA définit l’antisémitisme comme suit : « L’antisémitisme est une certaine perception des Juifs, qui peut être exprimée sous la forme d'une haine envers les Juifs. Les manifestations rhétoriques et physiques de l'antisémitisme visent à des individus juifs ou non juifs et/ou à leurs biens, à des institutions juives et à des bâtiments religieux. » Jusque-là, rien à signaler.

La suite est, en revanche, plus problématique, pouvant constituer une menace sur les principes fondamentaux de liberté d’expression et d’opinion. Pour appuyer sa définition, l'IHRA estime, en effet, que les manifestations de l’antisémitisme « peuvent inclure le ciblage de l'Etat d'Israël, conçu comme une communauté juive ».

Si l’organisation basée à Berlin indique que « les critiques d'Israël à un niveau semblable à celles formulées à l’encontre d’un autre pays ne sauraient être considérées comme antisémites », il peine à convaincre au vu des exemples discutables choisis sensés illustrer les formes que peut prendre l’antisémitisme. Y figure le fait de « faire preuve d’un double standard en exigeant (d’Israël) un comportement qui n’est attendu ni requis d’aucun autre pays démocratique » ou encore celui de « nier au peuple juif le droit à l’autodétermination, en prétendant par exemple que l’existence de l’État d’Israël est une entreprise raciste ». La voie vers la criminalisation du mouvement BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanctions) contre Israël, tant souhaitée par le CRIF, est plus ouverte que jamais.

« Comment importer le conflit israélo-palestinien en France ? Comment arriver au résultat inverse de celui souhaité ? Avec encore plus de fractures dans la société, c’est facile », s’est émue sur Twitter la sénatrice Nathalie Goulet, après l’annonce présidentielle.

Macron promet une non-modification du Code pénal mais…

« Il ne s'agit pas de modifier le Code pénal, encore moins d'empêcher ceux qui le veulent de critiquer la politique israélienne », a signifié le président. « Il s'agit de préciser et raffermir les pratiques des nos forces de l'ordre, de nos magistrats, de nos enseignants. De leur permettre de mieux lutter contre ceux qui cachent, derrière le rejet d'Israël, la négation même de l'existence même d'Israël, la haine du juif la plus primaire. »

Faut-il pour autant être rassuré ? Non. Lorsque le Parlement européen avait adopté, en juillet 2017, une résolution de lutte contre l’antisémitisme en se calquant sur la définition de l’IHRA, des personnalités du monde universitaire français s’étaient déjà insurgés dans une tribune contre une référence qui est « loin d’être indiscutable » et dont « le grave défaut est de s’écarter de son objet en multipliant les références à l’Etat d’Israël ».

« Si l’on peut considérer qu’il existe dans certaines attaques formulées contre Israël des dérives antisémites, les critiques de la politique des gouvernements israéliens ne peuvent en aucun cas être assimilées à de l’antisémitisme sans nuire tout à la fois au combat contre l’antisémitisme et contre le racisme, et à la liberté d’opinion nécessaire au fonctionnement de nos démocraties », assuraient les signataires, qui refusent « l’instrumentalisation de la lutte contre l’antisémitisme ». « Oui, on peut lutter contre l’antisémitisme et défendre les droits des Palestiniens. Oui, on peut lutter contre l’antisémitisme tout en condamnant la politique de colonisation du gouvernement israélien. »

Une manœuvre pour taire les critiques d’Israël

La définition de l'IHRA est, certes, « non contraignante sur le plan juridique » mais elle est « un outil de propagande et d’intimidation » visant à « insuffler le doute et la crainte d’être traité d’antisémite, de provoquer des discussions à n’en plus finir, de bloquer toute initiative… et de ruiner la réputation de quiconque ne s’y plierait pas », signifiaient dès le 12 février le journaliste Dominique Vidal et le président de l’Association France-Palestine Solidarité (AFPS) Bertrand Heilbronn dans une tribune parue sur Orient XXI, en citant l’exemple du Royaume-Uni qui a, lui aussi, adopté la définition de l’IHRA.

« Sur la base d’une simple déclaration gouvernementale, le lobby (pro-israélien) a fait pression pour que le maximum d’universités, de municipalités et de partis politiques adoptent aussi cette définition. Et les conséquences ne se sont pas fait attendre », rapportent-ils, en évoquant notamment des cas d’interdiction de réunions publiques dans des universités britanniques.

« Ce qui intéresse le gouvernement israélien et nombre de ses soutiens n’est pas le combat tout à fait justifié contre l’antisémitisme, comme le prouve le flirt de Benjamin Netanyahou avec des forces d’extrême droite en Europe. Il s’agit avant tout de dévoyer ce combat pour discréditer la solidarité avec les Palestiniens, comme le prouve le débat sur la définition de l’antisémitisme » , ajoutent-ils. « L’instrumentalisation de la lutte contre l’antisémitisme au service de l’impunité d’un État tiers qui viole tous les jours le droit international est une affaire très grave qui peut profondément miner notre démocratie. »

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Rédactrice en chef de Saphirnews En savoir plus sur cet auteur