Points de vue

Analyse : la circoncision religieuse après le jugement de Cologne

Rédigé par Jean-François Mayer | Mercredi 1 Aout 2012 à 00:00

La circoncision masculine pour motif religieux était jusqu'à présent admise dans la plupart des pays occidentaux. Mais une décision de justice en Allemagne donne ces dernières semaines un nouvel écho à un débat qui se développe depuis plusieurs années.



Une cérémonie juive de circoncision, huit jours après la naissance - © Vadil | Dreamstime.com.
Le jugement rendu par un tribunal de Cologne n'a pas fini de faire des vagues. Selon ses conclusions, la circoncision d'un enfant sans raisons médicales – par exemple pour des raisons religieuses ou culturelles – représente un atteinte à l'intégrité corporelle, car elle modifie le corps de l'enfant de manière durable et irréparable. L'intérêt de l'enfant serait de pouvoir déterminer lui-même par la suite son appartenance religieuse et, le cas échéant, la circoncision qui accompagne l'appartenance à certaines communautés.

L'affaire avait été portée devant un tribunal à la suite de complications conséquentes à la circoncision d'un enfant, à laquelle un médecin avait procédé à la demande des parents musulmans: une hémorragie était survenue deux jours après (des complications peuvent en effet survenir après un petit pourcentage de circoncisions, comme pour toute autre intervention médicale). En première instance, le tribunal avait estimé que le médecin n'avait commis aucune faute, car aucune loi allemande n'interdit la circoncision. Mais le Parquet avait fait appel du jugement. Le Tribunal de grande instance (Landgericht) a donc maintenant conclu que la circoncision portait atteinte aux intérêts de l'enfant, et que ceux-ci devaient primer sur la liberté religieuse des parents. Cependant, le médecin n'encourt aucune peine : il n'a pas commis de faute, car il a agi de bonne foi et ne pouvait savoir que l'acte commis était illégal, puisque la pratique de la circoncision était généralement acceptée jusqu'à maintenant en Allemagne.

Mais le jugement tombé, une insécurité juridique en résulte, pas seulement en Allemagne : en Suisse et en Autriche, des hôpitaux ont décidé de suspendre provisoirement les circoncisions non médicales, dans l'attente d'éclaircissements.

Ainsi que le relève Céline Fercot, même si elle crée une jurisprudence, la décision demeure "entourée d'un halo d'incertitudes. Sa portée demeure en effet encore très ambiguë. Les autres juridictions du pays ne sauraient être liées par un jugement rendu par un Tribunal de grande instance. Dès lors, seule une décision de la Cour administrative fédérale ou de la Cour constitutionnelle pourrait permettre de statuer définitivement sur le fond de l'affaire [...]." ("Circoncision pour motifs religieux : le prépuce de la discorde", Lettre « Actualités Droits-Libertés » du CREDOF / Revue des Droits de l'homme, 13/20 juillet 2012)

Cette année déjà, au mois de février, après plusieurs années de discussions, la Société pédiatrique suédoise (Svenska barnläkarföreningen, BLF) avait demandé au Comité national de la santé l'interdiction de la circoncision d'enfants pour raisons religieuses ou non médicales, car celle-ci constitue une mutiliation (The Local, 19 février 2012).

Du côté des organisations religieuses, de nombreuses voix se font entendre pour défendre le droit à la circoncision, et pas seulement de la part des milieux juifs et musulmans : ainsi, la sous-commission pour les relations avec le judaïsme de la Conférence des évêques catholiques d'Allemagne a déploré le jugement, considérant l'interdiction de circoncision des enfants comme "une grave atteinte à la liberté de religion et à la liberté d'éducation de la part des parents" (APIC, 27 juin 2012).

En Allemagne même, la question va connaître un développement – et une provisoire issue – sur le plan politique : une large majorité des parlementaires allemands ont appelé le gouvernement à légiférer rapidement afin de garantir le droit à la circoncision religieuse dès lors qu'elle ne s'accompagne pas de "souffrances inutiles". Le gouvernement a bien l'intention d'aller dans ce sens, même si certains sondages indiquent que la population allemande est divisée à parts à peu près égales sur la circoncision.

Les origines de la controverse

Personne n'avait vraiment vu venir un tel débat en Europe, et bien des gens se demandent pourquoi une telle controverse surgit maintenant.

Il y a d'abord l'insistance toujours plus forte, dans les sociétés occidentales, sur la protection des membres les plus faibles de ces sociétés, et notamment sur les droits des enfants: ceux-ci ont connu un indéniable développement au cours des dernières décennies. Si la circoncision ne contribue pas au bien de l'enfant — ou, soutiennent les adversaires de cette pratique, cause même un traumatisme durable — elle va nécessairement se trouver mise en cause ; en tout cas, des interrogations vont surgir, en dehors de circoncisions pratiquées pour des raisons médicales.

Peut-être y a-t-il aussi des échos du débat américain sur la circoncision : dans ce pays, la circoncision est largement pratiquée également pour des raisons hygiéniques ; jusqu'à 70 % au moins des nouveau-nés mâles américains auraient été circoncis médicalement, même si un revirement semble en train de s'opérer et si la pratique connaît un déclin depuis quelques années, selon certaines sources partie une conséquence du débat sur l'excision).

Aux Etats-Unis des groupes anti-circoncision font entendre leurs voix, Internet aidant à donner à leurs propos un impact plus large, en mettant à disposition un abondant matériel critique contre la pratique de la ciconcision, comme le Circumcision Resource Center. Un site similaire en Australia est Circumcision Information Australia, dont la section des actualités offre une utile liste d'articles de presse en anglais venant de différents coins de la planète. Il existe sur Facebook plusieurs groupes d'opposants à la circoncision.
A Washington, le 31 mars 2008, un jour de pluie: des activistes anti-circoncision manifestent - © 2008 Joel Carillet - Agence: iStockPhoto

En Californie, des "intactivistes" militants ont ainsi tenté – sans succès – de faire passer un projet de loi interdisant la circoncision sur des mineurs. Leur site documente leur action; l'on y trouve également de curieuses bandes dessinées anti-circoncision, qui suscitent des réactions mitigées même chez certains de leurs partisans, mais montrent la virulence que peut rapidement prendre un tel débat.

Cela fait des années que des voix critiques envers la circoncision se font entendre en Europe aussi, mais avec un écho médiatique assez limité. Par exemple, le juriste Sami A. Aldeeb Abu-Sahlieh avait publié il y a plus de dix ans un livre intitulé : Circoncision masculine, circoncision féminine : débat religieux, médical, social et juridique (Paris, L'Harmattan, 2001), puis un autre ouvrage : Circoncision : le complot du silence (Paris, L'Harmattan, 2003). Il consacre à cette question une section de son blog.

Dans ses ouvrages et interventions, Sami Aldeeb soutient notamment qu'une lutte efficace contre l'excision ("circoncision féminine") exige de s'engager également contre la circoncision masculine. Cette dernière doit être également considérée comme une atteinte à l'intégrité corporelle, explique-t-il, en niant par ailleurs les bénéfices supposés du point de vue de la santé. Le débat autour de l'excision, renforcé en Europe par des cas survenus sur ce continent au sein de populations immigrées, et des jugements pour condamner des personnes l'ayant pratiquée (également lors de séjour dans des pays d'origine), devait presque inévitablement conduire à un débat sur la pratique de la circoncision masculine.

En Allemagne même, quelques juristes ont abordé ce thème au cours des dernières années : le jugement de Cologne est aussi l'écho de ces réflexions. Le débat a été lancé en 2008, avec la publication d'un article de Holm Putzke, professeur à l'Université de Passau, dans un volume d'hommage (Festschrift) à Rolf Dietrich Herzberg, professeur émérite de l'Université de Bochum, à l'occasion de son 70e anniversaire. Selon cette analyse juridique d'une quarantaine de pages, intitulé "Die strafrechtliche Relevanz der Beschneidung von Knaben" (Strafrecht zwischen System und Telos, Tubingue, Mohr Siebeck, 2008, pp. 669-709), le droit de l'enfant à bénéficier de la protection de l'Etat contre une atteinte à son corps et à sa santé prime sur l'exercice irresponsable du droit des parents. Si un procureur a connaissance d'une circoncision non nécessaire médicalement, son devoir est d'intervenir.

Circoncision juive - © 2005 Odelia Cohen - Agence: iStockPhoto.
Plusieurs articles suivirent, la même année, dont l'un dans un magazine destiné aux médecins allemands et avertissant ceux-ci des conséquences pénales de circoncisions sans justification médicale. D'autres articles vinrent s'y ajouter les années suivantes, pour ou contre la circoncision, alimentant le débat juridique naissant. (Putzke a eu l'heureuse initiative d'établir la liste de ces articles sur une page de son site, avec les liens pour lire ou télécharger ceux qui sont accessibles en ligne.)

Le professeur Herzberg, qui avait encouragé Putzke à s'intéresser au sujet, avait répondu en 2010 à un article d'un autre juriste qui justifiait la pratique de la circoncision: il ne s'agit pas d'envisager d'interdire la circoncision, car celle-ci est déjà interdite par les dispositions constitutionnelles réprimant les atteintes à l'intégrité corporelle. La question est plutôt de savoir, expliquait Herzberg, si la motivation religieuse permet de tolérer une exception à ces dispositions. Or, estime-t-il, l'invocation de l'exercice de la religion ne peut justifier d'enfreindre d'autres obligations.

Herzberg ne considère pas plus que le caractère séculaire de la pratique religieuse de la circoncision justifierait celle-ci: le droit, explique-t-il, connaît aussi des améliorations et des progrès. Ainsi, les châtiments corporels (y compris appliqués par les enseignants) ont longtemps été considérés comme contribuant à la bonne éducation des enfants, mais ne sont plus tolérés aujourd'hui. Le souci du respect de la liberté religieuse ne peut justifier la "mutilation d'enfants" ("Religionsfreiheit und Kindeswohl. Wann ist die Körperverletzung durch Zirkumzision gerechtfertigt?", Zeitschrift für Internationale Strafdogmatik, 7-8/2010, pp. 471-475).

Le jugement de 2012 est donc intervenu sur un terrain déjà préparé par un débat juridique. Même une décision politique ne pourra se dispenser d'examiner et d'évaluer les arguments présentés.

Aspects religieux et médicaux

Tradition juive : "Dieu dit à Abraham : 'Pour toi, sois fidèles à mon alliance, toi et ta postérité après toi dans tous les âges. Voici le pacte que vous observerez, qui est entre moi et vous, jusqu'à ta dernière postérité: circoncire tout mâle d'entre vous. Vous retrancherez la chair de votre excroissance, et ce sera un symbole d'alliance entre moi et vous. A l'âge de huit jours, que tout mâle, dans vos générations, soit circoncis par vous; même l'enfant né dans ta maison, ou acheté à prix d'argent parmi les fils de l'étranger, qui ne sont pas de ta race. Oui, il sera circoncis, l'enfant de ta maison ou celui que tu auras acheté; et mon alliance, à perpétuité, sera gravée dans votre chair. Et le mâle incirconcis, qui n'aura pas retranché la chair de son excroissance, sera supprimé lui-même du sein de son peuple pour avoir enfreint mon alliance.'" (Genèse, 17/9-14 [trad. du Rabbinat français, sous la dir. du Grand Rabbin Zadoc Khan])

Tradition musulmane : "La circoncision (khitân) est une pratique d'obligation pour les enfants mâles et, pour les filles, l'excision (khifâd) est recommandable." (Iban Abî Zayd al-Qayrawânî, La Risâla ou Epître sur les éléments du dogme et de la loi de l'Islâm selon le rite mâlikite [trad. Léon Bercher], 6e éd., Alger, Editions Populaires de l'Armée, 1975 [éd. originale 1945], p. 161) (N. B. : il ne s'agit pas ici de l'ablation du clitoris, mais du "décapuchonnage" du clitoris).
"La circoncision est un rite important en islam, en ce qui concerne les hommes. Le Prophète - paix et bénédictions sur lui - nous enseigne qu'elle fait partie des cinq dispositions naturelles de la religion, d'où son appartenance à l'héritage commun des Prophètes - que la paix soit sur eux." (Sheikh Ahmad Kutty, "Conversion et circoncision", 20 mars 2005).
La circoncision était déjà pratiquée dans l'Egypte antique.

Les juifs continuent de pratiquer la circoncision (brit milah) le huitième jour (sauf contre-indication médicale ou si deux garçons sont déjà morts des suites de la circoncision dans une famille). L'expert qui s'en charge est appelé mohel ; certains milieux juifs libéraux admettent la circoncision par opération médicale. L'enfant reçoit également à cette occasion son nom juif. Un adulte qui se convertit au judaïsme doit être circoncis. Si le converti est déjà circoncis — par exemple pour des raisons médicales — une goutte de sang doit quand même être prélevée.

Le Grand Rabbin Ernest Guggenheim, dans un ouvrage classique sur les pratiques juives, la décrivait comme "l'une des institutions les plus vivaces du judaïsme, la pierre de touche de l'appartenance à Israël, car des préoccupations hygiéniques seules ne suffiraient pas à expliquer son maintien en dépit des persécutions" (Le Judaïsme dans la vie quotidienne, 4e éd., Paris, Albin Michel, 1978, p. 177). Même beaucoup de juifs non religieux semblent continuer de pratiquer la circoncision; mais nous ne disposons pas d'une vue d'ensemble pays par pays ; en Suède, par exemple, moins de la moitié des nouveau-nés d'origine juive seraient circoncis.

Des milieux juifs opposés à la pratique de la circoncision ont cependant déjà existé au 19e siècle. Depuis quelque temps, ce mouvement se manifeste à nouveau: un petit nombre de juifs renoncent à l'ablation du prépuce et remplacent celle-ci par une simple cérémonie d'attribution du nom au nouveau né (brit shalom). Des listes de rabbins acceptant de célébrer de telles cérémonies, ou pouvant conseiller des parents en vue de celles-ci, circulent sur Internet. Ils sont surtout présents en Amérique du Nord et en Israël.

Du côté musulman, la circoncision n'est pas prescrite par le Coran, mais elle appartient à la tradition du Prophète (sunna). On sait l'importance de la figure d'Abraham dans l'islam: cette référence ne pouvait qu'encourager la pratique, outre sa diffusion dans cette aire culturelle.

Son statut est cependant plus compliqué que dans le judaïsme: elle est considérée comme une obligation et marque certes l'entrée dans la communauté des croyants, mais il est possible de devenir musulman sans passer par la circoncision, comme ne manquent pas de le mentionner nombre de sites destinés à informer les futurs convertis.

"Même ceux qui la considèrent comme obligatoire ou la pratiquent rigoureusement ne la voient pas, légalement parlant, comme une condition pour devenir musulman. Elle est presque considérée, au plus comme un symbole extérieur d'identité musulmane. Si une personne se convertit à l'islam, il n'est pas obligatoire pour lui d'être circoncis. De même, quelqu'un qui est né de parents musulmans et n'a pas été circoncis peut rester musulman et ne sera pas considéré comme non musulman simplement parce qu'il n'est pas circoncis." (S.A.H. Rizvi et al., "Religious circumcision: a Muslim view", BJU International, 1999, 83, suppl. 1, p. 13–16).

Pratiquée très tôt en Arabie, elle l'est pendant l'enfance en Afrique du Nord ou en Turquie, et plus tard encore dans des pays d'Afrique subsaharienne. Elle doit intervenir avant la puberté.
A la moquée d'Eyub, à Istanbul, devant son grand-père, un père prépare son enfant avant la circoncision. L'enfant porte la tenue traditionnelle pour ces occasions. © 2011 Michael Fuery - Agence: iStockPhoto.

La circoncision reste largement pratiquée parmi les chrétiens éthiopiens et coptes d'Egypte.

A en croire un document d'information diffusé par l'Organisation mondiale de la santé (OMS), "selon une estimation mondiale en 2006, environ 30 % des hommes sont circoncis, soit au total 665 millions d'hommes environ. Les déterminants courants de cette intervention sont des facteurs religieux, ethniques, la perception des bienfaits de la circoncision pour la santé ou la sexualité et le désir de se conformer aux normes socioculturelles."

Sur le plan médical, les avis les plus contradictoires sur les éventuels aspects prophylactiques de la circoncision circulent: comme on le devine, tant pour les partisans que pour les opposants, l'argument de la santé peut peser dans la balance — même si les raisons religieuses d'adopter la circoncision ne dépendent pas de ces considérations, en réalité. C'est l'une des différences avec l'excision chez les femmes : il n'y a guère de tentatives de démontrer qu'elle présenterait des avantages médicaux. Le débat médical sur la circoncision apporte un élément de complication supplémentaire au problème. Et plus encore depuis que l'OMS a pris position sur certains aspects bénéfiques de la circoncision masculine.

Les conclusions d'un document publié en 2007 par le programme sur le sida de l'OMS et de l'ONU (Onusida) résumaient la situation ainsi:

"La promotion de la circoncision masculine pour un avantage médical a toujours été controversée, principalement en raison du manque de preuves d'un fort effect protecteur de la circoncision masculine contre des maladies communes. Cependant, il existe maintenant des preuves convaincantes que la circoncision masculine réduit notablement le risque d'infection par le VIH [virus de l'immunodéficience humaine] chez les hommes." (Male Circumcision: Global Trends and Determinants of Prevalence, Safety and Acceptability, World Health Organization and Joint United Nations Programme on HIV/AIDS, 2007, p. 29)

Réunie à Montreux en mars 2007, une consultation technique de l'OMS et d'ONUSIDA a donc estimé que "la circoncision doit maintenant être reconnue comme une mesure efficace de prévention du VIH" et qu'il "faut considérer la promotion de la circoncision comme une nouvelle stratégie importante de prévention de la transmission hétérosexuelle du VIH de la femme à l'homme", sans que cela puisse se susbstituer à d'autres méthodes de prévention, mais plutôt s'inscrire dans un ensemble de mesures. La consultation a souligné aussi la nécessité d'obtenir "le consentement éclairé des intéressés":

"Lorsque la circoncision est pratiquée sur des mineurs (jeunes garçons et adolescents), l'enfant participera à la prise de décision, et il aura la possibilité de donner son assentiment ou son consentement, conformément à l'évolution de ses capacités. Selon la législation locale, certains mineurs mûrs pourront donner leur consentement indépendant en toute connaissance de cause. Les parents à qui il incombe de donner leur consentement, notamment pour la circoncision de nouveau-nés, recevront suffisamment d'informations sur les avantages et les risques de l'intervention pour être en mesure de déterminer si elle correspond à l'intérêt supérieur de leur fils." (Nouvelles données sur la circoncision et la prévention du VIH : conséquences sur les politiques et les programmes, communiqué de presse, 28 mars 2007).

Comme on pouvait s'y attendre, cela n'a pas convaincu les adversaires de la circoncision, mais a entraîné des vagues de décisions de circoncision chez des hommes, en particulier sur le continent africain : en juin 2012, au Zimbabwe, 44 parlementaires se sont fait circoncire médicalement dans une clinique installée dans l'enceinte même du Parlement, dans le cadre d'une campagne de prévention contre le sida.

En mai, lors d'une conférence internationale au Mozambique, des responsables américains de la lutte contre le sida ont plaidé pour la circoncision dans le cadre des forces armées, en raison des résultats pour l'instant inégaux des campagnes en cours : "Il faut que l'armée se charge d'une partie de ces circoncisions", a souligné Caroline Ryan, du bureau américain de coordination de la lutte contre le sida.
Une circoncision en milieu hospitalier, pratiquée sur un bébé âgée de 3 jours - © 2009 Jonathan Hill - Agence: iStockPhoto.

Une collision entre différents "droits"

Une interdiction de la circoncision religieuse des enfants signifierait, en milieu juif, l'obligation de renoncer à un acte considéré comme central pour l'identité du groupe concerné. Il n'est pas étonnant que des organisations religieuses non touchées par le jugement, par exemple l'Eglise catholique romaine, aient réagi négativement au jugement du tribunal de Cologne. Cela ne s'explique pas seulement par une réaction de solidarité avec d'autres groupes religieux, mais aussi par le constat que la liberté religieuse a moins pesé dans la balance que d'autres considérants. Pour des organisations religieuses, le signal est préoccupant : une telle approche faisant primer des considérations séculières peut avoir à plus long terme un impact dans d'autres domaines également.

A vrai dire, la question est même plus subtile : si l'on ne pense pas à la liberté religieuse collective, celle des communautés de croyants, mais à la liberté religieuse individuelle (celle de l'individu qui décidera ou non de se faire circoncire en connaissance de cause), on pourrait argumenter que celle-ci sort "renforcée plutôt que diminuée", remarque le chercheur belge Jean Philippe Schreiber, directeur du Centre interdisciplinaire d'étude des religions et de la laïcité (CIERL) ("La circoncision mutilation sexuelle ou liberté religieuse?", 3 juillet 2012). Le raisonnement du tribunal de Cologne inclut cette compréhension individualiste de la liberté religieuse, sur le mode du libre choix plus que de la transmission familiale : "[...] par la circoncision, le corps de l'enfant est modifié de façon durable et irréparable. Cette modification va à l'encontre de l'intérêt de l'enfant à pouvoir décider lui-même plus tard de son appartenance religieuse."

En analysant le débat autour de la circoncision, nous constatons que différents "droits" se trouvent ici en conflit: la liberté religieuse face à la protection de l'intégrité corporelle ; la liberté de choix des parents face à la liberté future des enfants. Dans des sociétés sécularisées, lequel de ces droits doit-il l'emporter ? Et, à l'inverse, quel droit la société séculière a-t-elle de s'immiscer dans la pratique séculaire de communautés religieuses ? Ou des évaluations sur le traumatisme psychologique supposé et d'autres conséquences évoquées par les adversaires de la circoncision pour des raisons non médicales peuvent-elles justifier une révision ?

D'autres sujets, par exemple l'abattage rituel juif et musulman, suscitent de semblables conflits : rappelons que, dans un pays tel que la Suisse, l'abattage rituel sans étourdissement préalable est interdit et que les autorités ont renoncé il y a quelques années à rouvrir le dossier, de crainte de déchaîner des passions. Et la question de la circoncision est beaucoup plus délicate...

Entre convictions religieuses et initiatives de prévention du sida, entre liberté religieuse et protection de l'intégrité corporelle, le débat sur la circoncision présente plus de facettes qu'on ne le soupçonnerait au premier abord. Il dépasse de loin l'affaire allemande qui l'a récemment projeté sous les feux de l'actualité. Et il est passionnant pour qui s'intéresse aux religions et à leur statut dans le monde occidental contemporain.