Points de vue

Abroger des versets du Coran, est-ce bien nécessaire ? La critique des textes sacrés a une histoire

Rédigé par Bertrand Le Brun | Mercredi 26 Mai 2021 à 11:30



Au cours des siècles, les écrits fondateurs des trois religions monothéistes, judaïsme, christianisme et islam, se sont vus attribuer par leurs institutions, relayées par de nombreux croyant-e-s, un statut d’écritures sacrées, c’est-à-dire intouchables. Est-il légitime pour autant de se poser la question, non seulement d’une herméneutique de textes dits inspirés par Dieu, voire même dictés par Dieu, comme c’est le cas pour le Coran, mais également d’une correction éventuelle de certains versets « douloureux » pour la sensibilité contemporaine ?

Dans un point de vue paru sur Ouest France le 10 mai, la philosophe et islamologue Razika Adnani préconise l’abrogation des versets coraniques qui, selon elle, posent problème pour une réception pacifiée de cette religion. Si l’on reprend la définition de la religion énoncée par Emile Durkheim, l’un des pères de la sociologie en France, « la religion est un système solidaire de croyances et de pratiques relatives à des choses sacrées, c’est-à-dire séparées, interdites, croyances et pratiques qui unissent dans une même communauté morale tous ceux qui y adhèrent ». Dans cette perspective, le sacré impliquerait des interdits, parmi eux un respect absolu des récits fondateurs. Cependant, plusieurs pratiques historiques infirment cette hypothèse.

Commenter des versets « douloureux » hors de leur contexte n’a aucun sens

Il y a longtemps que les lecteurs de la Bible ont repéré dans cette véritable bibliothèque nombre de contradictions, variations – il y a deux récits différents de la Création –, incohérences et appels à la violence tel Moïse haranguant ses troupes lors de la guerre des Hébreux contre les Madianites : « Tuez donc tous les enfants mâles, tuez aussi toute les femmes qui ont connu un homme partageant sa couche. » (Nb 31, 17-18)

Paul de Tarse, dans le Nouveau Testament, s’adresse dans une épitre à Timothée en ces termes : « Pendant l’instruction, la femme doit garder le silence en toute soumission. Je ne permets pas à la femme d’enseigner ni de faire la loi à l’homme. » (1 Th. 2, 11-12) Dans le Coran, certains versets s’adressent aux juifs de Médine en ces termes : « Tu verras beaucoup d’entre eux s’allier avec ceux qui mécroient. Combien sont mauvaises leurs œuvres ! Dieu s’est mis en colère contre eux ! Et dans le tourment, ils demeureront éternellement. » (Sourate 5 , versets 79-80)

On peut recenser de nombreux versets de ce type dans les livres saints, mais aussi, bien plus nombreux, leurs contraires. Les commenter hors de leur contexte n’a aucun sens et doit tenir compte de nombreux écrits critiques.

La tradition juive possède une forte aptitude aux commentaires ad infinitum dont les contributions, elles-mêmes commentées, sont recensées dans le Talmud et toujours reprises à nouveaux frais par les rabbins et les lecteurs de la Torah.

De même, l’approche historico-critique chrétienne apparue au XVe siècle a-t-elle entrouvert la porte d’une interprétation plus ouverte des deux Testaments. Cette démarche propre au monde protestant n’a été officialisée qu’au milieu du siècle dernier chez les catholiques.

La critique des textes sacrés a une histoire

Aujourd’hui, les méthodes scientifiques (linguistique, analyse narrative, histoire, archéologie) sont admises pour mieux connaître ces récits, sans pour autant en épuiser le sens. De nombreux laïcs, hommes et femmes, se forment en théologie. Ce qui, dans les faits, retire au magistère catholique l’expertise exclusive de l’interprétation qu’il continue de revendiquer.

En islam, du 7e au 12e siècle, certains courants tels le mutazilisme ont mis en question le caractère incréé du Coran. Aujourd’hui, les études islamiques sont déficitaires. « Notre génération a perdu l’érudition d’autrefois sans pour autant la remplacer par une pensée moderne », constate le théologien Soheib Bencheikh.

Finalement, quelles réponses apportées aux deux questions posées en début de notre réflexion ? Expurger les récits fondateurs des trois religions du Livre serait nier l’histoire complexe de leurs rédactions à travers le temps. N’est-il pas plus judicieux de réserver aux versets « douloureux » une marge blanche ouverte aux commentaires solidement argumentés ? L’urgence aujourd’hui est plutôt de favoriser un dialogue interreligieux plus axé sur les liens d’amitiés, les collaborations au service de la société, tout autant qu’aux échanges théologiques et au partage d’expériences religieuses.

Pour en savoir plus
Emile Durkheim, Les formes élémentaires de la vie religieuses, PUF, 1912
David Meyer, Yves Simoêns et Soheib Bencheikh, Les versets douloureux, Bible Evangile et Coran entre conflit et dialogue, Lessius, 2007
Hamadi Redissi, L’invention des modernités en islam, Cerès, 2019
Geneviève Comeau, S’asseoir ensemble, les religions source de guerre ou de paix ?, Médiapaul, 2015

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Bertrand Le Brun est journaliste, engagé dans le dialogue interreligieux et plus particulièrement islamo-chrétien au sein de l'association des Sept Dormants, à l’initiative d’un pèlerinage en Bretagne en hommage à ces saints.

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