Economie

Abattoirs pour l’Aïd el-Kébir : « Y en a pas assez ! »

Aïd el-Kébir 2009

Rédigé par Leïla Belghiti | Jeudi 26 Novembre 2009 à 00:11

Chaque année voit le nombre d'ovins abattus pour l'Aïd el-Kébir augmenter. Chaque année aussi, ce sont plus d'une centaine de petits abattoirs qui ferment. Ce qui n'arrange pas les consommateurs musulmans, ni le ministère de l'Agriculture et de l'Alimentation. Les fraudes sont massives, et le remède n'est pas pour aujourd'hui.



Livraison d'ovins, après la prière de l'Aïd el-Kébir, dans l'après-midi, à Drancy, le 8 décembre 2008.
Nacer n’a pas commandé son mouton à temps, chez son boucher favori. Pas de bol ! Lorsqu’il appelle, mardi, il n’y a plus de place pour un client. Même son de cloche aux boucheries des alentours. Se passer de viande de mouton pour l’Aïd el-Kébir ? Sacrilège ! Procédera-t-il à l'abattage chez lui, comme d'autres familles en France seraient tentées ?

L'abattage d'animaux hors d'un abattoir agréé est un délit passible de 6 mois d'emprisonnement et de 7 500 € d'amende. La sanction est lourde... Mais « avec quatre abattoirs seulement pour les quelque 400 000 musulmans du Nord-Pas-de-Calais, on est très loin du compte. 30 000 moutons sont sacrifiés dans le Nord : il ne faut pas s’étonner que des centaines de familles enfreignent la loi ! », s’exclame Amar Lasfar, président du CRCM Nord-Pas-de-Calais. « Le sacrifice de l'Aïd est un dispositif technique que l'Administration doit prendre en charge. Cela relève de la responsabilité de l'État », souligne-t-il.

Les petits abattoirs disparaissent, au grand dam des consommateurs

Même chose en région parisienne, en Bretagne, en Normandie, en Picardie, et dans une majeure partie des départements français...

« On fait avec les moyens du bord », nous confie Erhan Gül, le président du CRCM auvergnat. « Dans notre région, la situation des musulmans va très bien, poursuit-il, notre seul souci aujourd’hui, c’est le manque d’abattoirs pour l’Aïd el-Kébir».

Amar Lasfar, Erhan Gül et leurs confrères des CRCM établissent un même constat : « La situation s’aggrave car d’année en année le nombre d’abattoirs se réduit. » Dans le Nord, deux abattoirs qui faisaient le bonheur des musulmans de la région ont fermé, en l’espace de deux ans.

La seule solution réside dans la mise en place d’abattoirs mobiles. À Clermont-Ferrant comme à Lille, on commence sérieusement à étudier ce moyen salvateur.

En 2008, 33 sites d’abattages clandestins ont été découverts, localisés dans 19 départements.

Des tarifs farfelus

Question prix, c’est une autre affaire. Alors que dans les régions les mieux garnies en ovins le prix d’un mouton ne dépasse pas 150 à 200 euros, dans les grandes villes il oscille souvent entre 200 et 300 euros.

C’est le cas en Île-de-France ou dans la métropole lilloise, où les consommateurs se retrouvent obligés de payer cette somme rocambolesque, triplée voire quadruplée du reste de l’année. Mis à part certaines enseignes de la grande distribution qui commercialisent la viande de l’Aïd el-Kébir, boucheries et abattoirs sont libres de fixer le prix de la bête et de la découpe.

Une problématique gênante pour le ministère de l’Agriculture, qui affirme axer la priorité sur « les conditions d’hygiène », « le respect de l’animal et de l’environnement ». Bien qu’un grand nombre de sacrificateurs exercent encore dans l’illégalité, « le nombre de titulaires d’une carte officielle délivrée par un organisme agréé est en augmentation », souligne la Direction générale de l’Alimentation, dans une récente note de service. « L’objectif est que la totalité des intervenants soit titulaire d’une carte officielle et ait bénéficié d’une formation », poursuit la note.

Durant la célébration de 2008, 131 832 ovins ont été abattus contre 122 811 en décembre 2007, soit une augmentation de 7,3 %, un chiffre qui ne cesse de croître d’année en année.

Des alternatives ?

Si l'abattage rituel reste un grand classique chez les familles, d'autres moyens sont de plus en plus usités pour fêter l'Aïd dans sa dimension traditionnelle de partage et de solidarité.

Pour les inconditionnels de la viande de l'Aïd qui s'y seraient pris trop tard, ceux-ci pourront toujours partager le sacrifice avec des amis ou des proches qui auront déjà passé commande. Plusieurs familles cotisent pour un même mouton, c'est convivial, et c'est moins cher !

L'Aïd el-Kébir, c'est aussi la période où les transactions bancaires vont bon train : au lieu (ou en plus !) de s'offrir un sacrifice, l'offrir à ses proches est une pratique courante depuis fort longtemps. Il n'est pas rare de continuer à envoyer de l'argent au village, afin que la famille procède au sacrifice en son nom. Cousins, neveux et nièces profitent davantage de ce moment festif exceptionnel que les musulmans hexagonaux habitués aux plats carnés plusieurs fois par semaine.

Autre tendance, la livraison à domicile avec la société Halaldom. Plus besoin de se déplacer, de se prendre une contravention le jour de l'Aïd pour mauvais stationnement près de l'abattoir, et de faire la queue à n'en plus finir pour aller chercher son mouton. Sacrifié, découpé, emballé, livré ! Une vraie solution pour une clientèle urbaine, qui privilégie le confort et la praticité.

Les ONG, quant à elles, sont mobilisées depuis de longs mois pour sensibiliser leurs donateurs au don d'un sacrifice à des familles démunies dans le monde. À l'instar du Comité de bienfaisance et de secours aux Palestiniens (CBSP), de Muslim Hands France ou encore du Secours Islamique France (SIF). Ainsi, l'an dernier, ce sont près de 460 000 familles, qui se sont vu offrir un colis « Aïd al-Adha » de la part du Secours islamique France, pour moins de 100 euros par donateur. Un merveilleux cadeau.