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Points de vue

Yémen : les racines de la division sunnites-chiites

Rédigé par Seyfeddine Ben Mansour | Lundi 27 Avril 2015 à 07:00

           

La fracture, avant d’être confessionnelle, est géographique. L’Histoire de ce vieux pays qu’est le Yémen a voulu qu’aux différences de conformation géologique se superposent des différences religieuses et politiques. Ainsi, le Yémen oppose, au Sud, les sunnites chaféites de la plaine aux zaydites montagnards du nord du pays.



Yémen : les racines de la division sunnites-chiites
La récente coalition sunnite emmenée par l’Arabie saoudite contre les Houthis chiites (zaïdites) du Yémen fait resurgir des fractures anciennes, dans un pays qui, récemment encore, était scindé en deux États.

La fracture, avant d’être confessionnelle, est géographique. L’Histoire de ce vieux pays a voulu qu’aux différences de conformation géologique se superposent des différences religieuses et politiques. De manière schématique, le Yémen oppose aux sunnites chaféites de la plaine, au Sud, les zaydites montagnards du nord du pays ; aux tribus, les imams ; à la loi tribale, la loi religieuse.

Ainsi, jusqu’au XXe siècle – soit sur plus d’un millénaire –, l’histoire de l’imâmat zaydite au Yémen est d’abord celle du conflit entre imâms et tribus, entre État et structures tribales, entre centre et périphérie.

Plus précisément, entre le pouvoir central incarné et assumé par un chef à la fois spirituel et politique (l’imam zaydite) et la hiérarchie de structures segmentaires dominées par des chefs plus ou moins importants (les cheikhs).

Par « conflit » ou « opposition », il faut entendre ici la lutte des imâms zaydites pour intégrer les tribus à leur domination, notamment en s’efforçant de remplacer leur éthique tribale de l’honneur (muruwwa) par une éthique religieuse universelle.

Cette intégration ne sera jamais réellement effective, les deux principes tribaux de la ‘asabiyya (parenté) et du tahâluf (alliance) l’emportant généralement sur celui, universel, de la oumma, fraternité qui unit tous les musulmans sans distinction aucune. Les imâms durent ainsi s’adapter à la société tribale, à défaut de pouvoir réellement la transformer. Les conséquences politiques de cet état de fait sont multiples.

Un État souverain et impartial

D’une part, selon la puissance des tribus et l’allégeance de leurs cheikhs, l’imamat (le territoire sous le contrôle effectif du chef d’État zaydite) était une structure à géométrie variable, qui tantôt s’étendait à la riche périphérie tribale au Sud (avec ses ports florissants, notamment celui d’Aden), tantôt se confinait aux limites des villes-forteresses de Sanaa et de Saada, au Nord.

D’autre part, certaines faiblesses étant par ailleurs des forces, le caractère supratribal de l’imâm zaydite faisait qu’il pouvait représenter une certaine idée de l’ordre pour des tribus qui, comme aux temps antéislamiques, étaient souvent en proie à des luttes intestines. N’étant lié à aucune des parties au conflit – ni par parenté ni par alliance –, il pouvait jouer le rôle d’arbitre impartial et obtenir la fin des hostilités.

En échange de la paix, il demandait aux tribus l’obéissance en matière de morale et de religion, ainsi que l’acquittement des impôts et taxes légales nécessaires à la viabilité d’un Etat, et donc à sa mission. L’imam pouvait ainsi espérer unifier les tribus et les rallier pour étendre sa domination.

Le zaïdisme reconnaît les trois premiers califes

Le premier imâm zaydite est entré au Yémen au IXe siècle. Yahya ibn Husayn al-Rassi, descendant de ‘Ali Ibn Abi Talib, venait de la région de Médine, à l’invitation des tribus de la région de Saada.

Comme le Prophète Muhammad près de trois siècles avant lui, il avait pour mission d’établir la paix entre des tribus en guerre. Par son courage, sa piété et son érudition, celui qui allait devenir l’imam al-Hadi Ila al-Haqq obtint l’allégeance des clans Futaymi et Yarsumi, premier jalon vers la constitution d’un État qui, malgré deux conquêtes et occupations sunnites – Ayyoubides et Rassoulides (1174-1454) puis Ottomans (1517-1636 et 1850-1890) – parviendra à se maintenir plus d’un millénaire durant.

De Saada, sa capitale, il appela à la réforme religieuse et à la lutte contre la corruption et l’injustice. C’est là qu’il bâtit sa première mosquée et formula sa doctrine. Le zaïdisme affirme ainsi que ‘Ali ibn Abi Talib était le meilleur des hommes après le Prophète, et devait donc hériter du califat, mais – contrairement aux autres doctrines chiites –, reconnaît les trois premiers califes bien-guidés et rejette le concept de l’imâm caché.

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Première parution de cet article dans Zaman, le 8 avril 2015.





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