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Arts & Scènes

Valérie Baran : « Le Tarmac offre un autre regard sur l’autre »

Rédigé par Fatima Khaldi | Mercredi 11 Mars 2015 à 00:31

           

À la direction du théâtre Le Tarmac, à Paris, Valérie Baran, une femme passionnée et militante, travaille depuis dix ans à faire émerger les nouveaux talents des arts scéniques et par la même occasion les écritures francophones contemporaines. Elle accueille, du 11 au 28 mars, six artistes tunisiens, libanais et égyptiens venus présenter leurs spectacles sous la thématique « (D)rôles de Printemps ».



Le Tarmac ‒ Scène internationale francophone accueille, du 11 au 28 mars, quatre spectacles et une installation artistique à la thématique commune intitulée « (D)rôles de Printemps », proposés par six artistes venus du Liban, de Tunisie et d'Egypte.
Le Tarmac ‒ Scène internationale francophone accueille, du 11 au 28 mars, quatre spectacles et une installation artistique à la thématique commune intitulée « (D)rôles de Printemps », proposés par six artistes venus du Liban, de Tunisie et d'Egypte.

Saphirnews : Pouvez-vous nous rappeler votre parcours en quelques mots ?

Valérie Baran : J’ai succédé en 2005 à Gabriel Garant qui dirigeait le Théâtre international de langue française (TILF), qui est un lieu historique du théâtre français. Je l’ai renommé Le Tarmac. J’ai eu le bonheur de travailler avec Gabriel Garant depuis 2001, je connaissais donc la maison de l’intérieur. Cela fait donc dix ans qu’on s’intéresse à la création qui vient du monde francophone en dehors de la France. On s’intéresse à l’autre et on interroge le monde, l’humanité à travers la voix de ces artistes qui sont eux-mêmes très inquiets de leur société, et très inquiets du monde.
Beaucoup de pièces sont présentées en français. Et, comme vous le savez, l’espace francophone a la particularité d’avoir le français en partage, il arrive assez régulièrement que des pièces soient présentées dans d’autres langues : elles sont, par conséquent, surtitrées.

Pourquoi avez-vous fait le choix de reprendre la direction de ce théâtre ?

Valérie Baran : Je le souhaitais ardemment parce que je suis profondément convaincue que la langue française est vivante et aujourd’hui encore riche grâce aux locuteurs du monde francophone en dehors de la France. Ces derniers sont beaucoup plus inventifs que les Français de France qui finissent peut-être par la maîtriser moins et qui sont plus gagnés par des anglicismes, alors que, chez les francophones, vous avez des auteurs qui la réinventent, qui la distordent. Et c’est ce qui rend cette langue belle et riche. On le voit en littérature, sa vitalité est probante.

« (D)rôles de Printemps », pourquoi ce choix de programmation ?

Valérie Baran : Dans ces champs d’investigations et d’explorations qu’est le nôtre, évidemment la scène arabe prend une part importante. Vous avez des artistes qui sont très engagés, qui prennent des positions très fortes dans leurs sociétés, parfois au péril presque de leur vie, et qui ont des signatures artistiques très singulières.
Ce qui me semblait très intéressant dans le choix qui est présenté dans « (D)rôles de Printemps », c’est qu’il s’agit de six artistes avec une parité entre les femmes et les hommes – ce qui est assez rare –, qui portent un regard extrêmement singulier sur l’histoire, la société, leurs sociétés et donc le monde d’aujourd’hui.

« Les artistes ressentent comme une urgence de porter une parole, et il est rare qu’elle ne soit pas mue par un moment de révolte ou d’indignation », évoque Valérie Baran, directrice du Tarmac, théâtre situé à Paris 20e, qui programme des spectacles créés dans l'espace francophone.
« Les artistes ressentent comme une urgence de porter une parole, et il est rare qu’elle ne soit pas mue par un moment de révolte ou d’indignation », évoque Valérie Baran, directrice du Tarmac, théâtre situé à Paris 20e, qui programme des spectacles créés dans l'espace francophone.

Pouvez-vous nous présenter brièvement ces six créateurs ?

Valérie Baran : Il y a Sawsan Bou Khaled, qui est libanaise et qui est une jeune femme excessivement douée. Elle fait un théâtre très visuel et très fantasmagorique, où elle plonge dans ses rêves et ses cauchemars. Elle nous invite à vivre un rêve pendant un peu moins d’une heure. Elle travaille avec un artiste plasticien, scénographe, Hussein Baidoun, qui travaille beaucoup dans le cinéma égyptien.
On pourra également découvrir Ahmed El Attar, égyptien, qui est à la fois un créateur et un opérateur important de la scène cairote. Il fait une performance où il livre des bribes de sa vie, évidemment très ancrées dans l’actualité égyptienne. Il enregistre ses conversations téléphoniques depuis très longtemps. Sur la base de ces conversations qui sont très intimes, on voit se déployer toute l’histoire récente de l’Egypte depuis les événements de la place Tahrir jusqu’à aujourd’hui.
Dans une autre recherche scénique, Hassan El Geretly met ses cinq comédiens sur des chaises, face au public, et simplement, dans la qualité d’interprétation, vous avez des témoignages très très forts. Celui d’une maman dont l’enfant a été tué par un sniper, celui d’un supporter de foot, celui d’une humanitaire... Ils sont accompagnés d’un oudiste. C’est un moment d’une grande émotion et d’une grande qualité théâtrale.

Il y aussi de la danse et une surprise qui attend les spectateurs, n'est-ce pas ?

Valérie Baran : Oui, de la danse avec Hafiz Dhaou et Aicha M’Barek, qui sont tous les deux tunisiens. Ils traitent de la Tunisie d’aujourd’hui au lendemain des révolutions. Avec à la fois les angoisses, les peurs, le désir de liberté et l’incertitude du peuple tunisien.
Et, enfin, Meriam Bousselmi, elle aussi tunisienne, avocate, auteure et metteur en scène. Elle a inventé un petit confessionnal qu’elle a appelé la Truth Box : boîte de vérité, dans laquelle elle invite un spectateur à entrer pour recueillir un pêché d’un comédien. Le spectateur se retrouve dans le rôle du confesseur et elle parle des pêchés véniels, charnels. C’est assez surprenant parce que, dans cette relation de personne à personne, il y a une qualité d’émotion assez forte.

Comment avez-vous découvert ces artistes ?

Valérie Baran : Je les ai tous vus dans leurs pays d’origine, je suis allée en Egypte, en Tunisie et au Liban les rencontrer.

La plupart des pièces que vous présentez sont contemporaines, est-ce un hasard ou une ligne conductrice volontaire ?

Valérie Baran : C’est un choix. Je veux absolument éviter un regard sur l’autre un peu trop exotique. Je veux sortir de tout exotisme possible, en restant dans une ligne très contemporaine. On se rend compte que les artistes, quelle que soit la partie du monde d’où ils viennent, ont des préoccupations qui sont globalement les mêmes, propre à l’humanité dans son ensemble. C’est-à-dire que chaque artiste porte sa singularité, sa signature, son humanité et, en même temps, tout le monde souhaite vivre dans un pays où vous avez la liberté d’expression, où vous pouvez soigner vos enfants, avoir accès à l’école. Après, la situation dans chaque endroit est différente, et chacun prend une voie poétique différente pour le dire.
Je voulais absolument éviter le folklore, le traditionnel, l’exotique, parce que je pense que c’est un écueil et que les Français, avec des années d’impérialisme, ont du mal à se débarrasser de cette vision exotique de l’autre.

On note aussi dans vos choix de véritables engagements politiques.

Valérie Baran : Certains sont politiques et d’autres plus oniriques. Ce sont mes choix mais aussi ceux des artistes, qui ressentent comme une urgence de porter une parole, et il est rare qu’elle ne soit pas mue par un moment de révolte ou d’indignation.
Le théâtre dont on a hérité ici, en Europe, est issu de la grande tradition grecque où le théâtre était l’outil critique de la démocratie et le lieu où tous les citoyens étaient tenus de venir. C’était un devoir. Les citoyens les plus pauvres qui étaient obligés de travailler au champ étaient dédommagés pour pouvoir aller au théâtre parce que c’était l’endroit où on pouvait s’interroger sur le fonctionnement de la cité et de la démocratie.
Je pense qu’il il faut peut-être retrouver cette dimension-là dans le théâtre parce que, dans le fond, il est important que cela nous interroge. Mais cela ne veut pas dire être dans la difficulté : au théâtre, on est avant tout dans des moments d’émotion, dans le beau, le rire, le divertissement et le rêve.
Le fond et la forme peuvent être associés et c’est ce qu’on défend au Tarmac. Une forme léchée et belle et un fond qui a du sens et qui peut nous inciter à réfléchir.

Avez-vous constaté une évolution dans les sujets et thèmes de ces artistes depuis les révolutions arabes ?

Valérie Baran : Non et oui, car les artistes sont des visionnaires. Non, car ce sont des gens qui appellent au changement et à une amélioration de la société. Souvent, ils sentent les choses venir. Ils sont tellement en prise directe sur la société qu’il y a toujours des signes annonciateurs et sont souvent les premiers à le sentir.
Mais, d’un autre côté, oui, car la société évolue à une vitesse dingue et, par la même occasion, les artistes aussi. Certains nouveaux artistes accèdent plus facilement à la parole, alors qu’ils en avaient été empêchés, parce qu’aujourd’hui il y a plus de liberté d’expression et qu’il est plus facile de se faire entendre.

(D)rôles de printemps !
Du 11 au 28 mars 2015, au Tarmac, Paris 20e
Débat avec les artistes de la programmation (D)rôles de printemps !, le samedi 14 mars, à 18 h

On the importance of being an arab, performance théâtrale, mise en scène et interprétation d'Ahmed El Attar, du 11 au 14 mars
Alice, performance théâtrale, conception, mise en scène et interprétation de Sawsan Bou Khaled, du 11 au 14 mars
Sacré Printemps !, danse, conception et chorégraphie de Hafiz Dhaou et d'Aicha M’Barek, du 18 au 21 mars
Zawaya, témoignages de la révolution, théâtre, spectacle de Hassan El Geretly, du 25 au 28 mars
Truth Box, installation théâtrale (en accès libre et individuel 1 h avant et 1 h après les autres spectacles de (D)rôles de printemps, sauf les jeudis après-midi), conception, texte, direction de Meriam Bousselmi, du 11 au 28 mars
En savoir plus : www.letarmac.fr/





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