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Points de vue

Sommes-nous à la hauteur du message profond de l’islam ?

Rédigé par Ndella Paye | Vendredi 1 Juillet 2016 à 11:30

           


Sommes-nous à la hauteur du message profond de l’islam ?
C’est désolant et regrettable de voir comme il est quasi impossible de se laisser aller et de laisser aller son imagination sans que certain-e-s ne tentent de la limiter, de mettre des barrières à nos pensées, à leurs propres pensées. Il n'y a qu’à voir les réactions qu’ont suscité la fatwa du Conseil théologique musulman de France autorisant les élèves à ne pas jeûner pendant leurs épreuves du baccalauréat et à rattraper les jours manqués plus tard. Les débats, si on peut les appeler ainsi, n’ont été que dénigrement et rien sur le fond. Je n’ai vu aucune confrontation d’idées. A rappeler qu’une fatwa reste un avis juridique, non contraignante avec aucune obligation de l’appliquer, même pour la ou les personnes à qui elle est destinée.

Il en est de même sur les réseaux sociaux. Dès qu’on veut s’aventurer à questionner des sujets comme le mariage, le divorce ou l’homosexualité pour susciter le débat, on sent la crispation monter chez beaucoup de musulman-e-s, comme si tout ce qui pourrait être dit dans les échanges pourrait et sera retenu par Dieu contre nous le Jour Dernier.

À vous, mes sœurs et frères en religion, il est temps d’arrêter d’avoir peur des nouveautés, du changement. Apprenez à vous libérer l’esprit, ayez soif de le faire, ou alors laissez en paix celles et ceux qui tentent de (ou veulent) s’octroyer cette joie. Je l’ai déjà dit et écrit à maintes reprises : l’étude de notre religion m’a rendue à ma liberté, au droit d’user de mon intelligence, au devoir de penser par moi-même. Notre monde change à la vitesse de la lumière. Nos contextes ne sont pas les mêmes que ceux de la révélation ou que ceux des imams des quatre grandes écoles de l’islam.

Sommes-nous à la hauteur du message profond de l’islam en restant figé à leurs uniques interprétations et avis ?

La militante associative Ndella Paye.
La militante associative Ndella Paye.

Ne pas avoir peur du renouveau

Pour moi, l’originalité et la force de l’école hanafite résident justement dans le fait d’imaginer des situations inexistantes à leur époque et de travailler à leur trouver des solutions. L’imam Abu Hanifa imaginait régulièrement des cas inexistants et demandait à ses disciples de trouver des solutions en fiqh. C’est d’ailleurs pour cela qu’il n'est guère étonnant qu'elle soit l’école la plus répandue dans le monde non arabophone. Ainsi, beaucoup de solutions peuvent être trouvées dans cette école répondant aux réalités de nos sociétés modernes, avec, toujours, la nécessité de contextualiser.

Par contre, nous, musulman-e-s d’aujourd’hui, avons la trouille de nous éloigner des avis anciens des quatre écoles, alors que, même si ce sont des références pour nous, des siècles nous séparent. Plus la société mute et plus nous nous attachons à ces avis. Les imams des écoles de jurisprudence changeaient d’avis quand ils changeaient d’endroit… pour ceux qui ont voyagé. L’imam Malik n’a, par exemple, jamais quitté Médine. Donc, à la même époque, un changement de lieu impliquait un changement d’avis juridiques. C’est ainsi que l’imam Shafii, en déménageant d’Irak en Égypte, a complètement changé ses avis sur beaucoup de questions car le contexte était différent, au point qu’on appelait ses avis en Égypte « madhab jadid » (nouvelle école). C’est dire combien prendre en compte le contexte dans lequel nous vivons est primordial, si tant est que nous croyions au fait que l’islam et le Coran sont valables en tout temps et en tout lieu.

L’énorme erreur de réduire le fiqh au halal/haram

Apprenons ; non, osons sortir des sentiers battus, de nos zones de confort et libérons nos esprits pour qu’ils puissent donner libre cours à notre imagination. Pourquoi enfermer, enchaîner autant nos esprits ? Pourquoi avoir autant peur ?

Faut-il rappeler que le fiqh, qui n’est pas la parole divine mais son interprétation humaine, n’est qu’une partie des sciences religieuses ? Pourquoi réduire nos riches sciences religieuses à leur partie la plus infime ? Combien de musulman-e-s connaissent les fondements du fiqh (usul al-fiqh) ? Et pourtant, ce sont eux qui expliquent les divergences entre les savants de l’islam.

Nous réduisons donc ces riches et nombreuses sciences au fiqh, et, pire, nous réduisons le fiqh au halal/haram et ne traitons des choses complexes de la vie qu’à travers ce prisme. Comment en est-on arrivé là ?

Sommes-nous à la hauteur du message profond de l’islam ?

La méconnaissance des finalités de la charia est criante

Combien de musulman-e-s ont en tête les finalités de la charia (maqasid asharia) quand ils/elles sont face à un dilemme ? Combien les connaissent même un peu, alors qu’elles sont le fondement de notre religion ? Comment pourrions-nous traiter correctement des questions de justice, d’équité, d’égalité, - celle des bouleversements climatiques, par exemple, question de notre temps ! - auxquelles nous devons faire face si nous ne connaissons pas les finalités de la religion que nous prétendons pratiquer ? Si nous ne sommes pas en mesure de les comprendre ? Comment pourrions-nous adorer correctement et comme il se doit Dieu si nous ignorons les finalités de ce qu’Il attend de nous ?

Les finalités sont, de très loin, supérieurs au fiqh. Nous n’avons pas le droit de les ignorer, nous avons l’obligation de les connaître, de les maîtriser car elles sont à la portée de toutes et de tous. Je vous conseille pour cela la lecture du magnifique livre de Taher Ibn Achour : Maqâsid Ash-Sharî`ah Al-Islâmiyyah (Les finalités de la législation islamique) qui est vraiment excellent et novateur dans ce domaine.

Pourquoi avons-nous réussi à réduire cette religion dont le premier verset révélé fut « Lis » à une superficialité et à une succession d’avis juridiques ? Comment en est-on arrivé à avoir autant peur d’user de notre intelligence ? On ne cherche même plus pourquoi Dieu nous a prescrit les choses. Quelles sont les objectifs supérieurs des prescriptions divines ? On s’arrête au halal/haram et on est satisfait du résultat ? Et dès qu’un-e musulman-e ose raisonner autrement, ose sortir de ce cadre défini (par je ne sais qui), au mieux il est dénigré, car on n’a même plus droit aux confrontations d’idées, on se contente de dire que c’est comme ça, c’est tout, et au pire il est excommunié. Heureusement qu’il n’y a pas de clergé en islam, sinon nous serions beaucoup à être sorti-e-s de cette religion.

Les écoles chiites se doivent d’être étudiées

Combien de musulman-e-s prennent la peine d’étudier autre chose que le fiqh sunnite, au lieu de jeter l’opprobre sur les chiites par pure méconnaissance ? Quand on étudie la charia, on ne peut pas se permettre une telle légèreté car on est obligé d’étudier les écoles chiites : oui cela fait partie de l’islam. Le savoir nous libère, il nous fait devenir tolérant, il nous oblige à être modeste.

L’imam Ja’fa As Sadiq est une référence dans le fiqh mais également dans beaucoup de domaines des sciences religieuses sunnites alors qu’il est un imam chiite. Sunnites, le savoir n’a pas de barrière, c’est l’ignorance qui crée des chaînes.

Nous tuons à petit feu la beauté et la profondeur de cette religion à force de sacraliser la jurisprudence tout en ignorant à ce point les finalités. La jurisprudence ne saurait contredire les finalités, elle doit permettre leur mise en pratique. Sachez également que la logique et la raison ne sont pas secondaires dans notre chère religion. Un hadith ne nous enjoint-il pas à interroger notre cœur même si nous recevons un avis d’un savant ? Faites donc confiance à votre propre raisonnement et à votre intelligence.

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Ndella Paye, militante associative, est titulaire d’une double licence d’arabe et de théologie musulmane de l’IESH de Paris.






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