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Société

Sadek Beloucif : « Don d’organes : ce qu’il faut, c’est du dialogue, pas du dogmatisme »

Rédigé par Imane Youssfi et Huê Trinh Nguyên | Mardi 14 Février 2017 à 11:00

           

En France, près de 32,5 % des proches d’un défunt ont refusé le don d’organes en 2015. La nouvelle législation, applicable depuis le 1er janvier 2017, vient renforcer le statut du donneur que chacun devient à priori dès lors qu’un refus n’a pas été explicitement exprimé. Cependant, 7 % seulement des Français connaissent la loi. Sadek Beloucif, chef du service Anesthésie-Réanimation, à l’hôpital Avicenne de Bobigny (Seine-Saint-Denis), ancien membre du Comité consultatif national d’éthique, nous éclaire sur le don d’organes dont les enjeux restent encore méconnus. Interview.



Sadek Beloucif : « Don d’organes : ce qu’il faut, c’est du dialogue, pas du dogmatisme »

Saphirnews : Depuis le 1er janvier 2017, la nouvelle législation nous rend tous donneur présumé (sauf si un refus a été clairement exprimé). Cela signifie-t-il que le corps médical ne s’attachera plus à savoir auprès des proches du défunt quelle avait été sa volonté en cas de trace non écrite ?

Sadek Beloucif : Il faut comprendre qu’il y a deux façons de procéder, deux logiques différentes dans le monde : on est soit dans un consentement explicite, soit dans un consentement implicite.

Ancien membre du Comité consultatif national d’éthique, Sadek Beloucif est chef du service Anesthésie-Réanimation, à l’hôpital Avicenne de Bobigny.
Ancien membre du Comité consultatif national d’éthique, Sadek Beloucif est chef du service Anesthésie-Réanimation, à l’hôpital Avicenne de Bobigny.
Le consentement explicite est appliqué dans des pays qui affirment qu’on peut prélever des organes uniquement sur une personne qui, de son vivant, a dit qu’elle le souhaitait. C’est le consentement express. La France n’a pas choisi cela. Elle a choisi un consentement implicite, c’est-à-dire qu’implicitement nous sommes donneurs, sauf si nous avons exprimé le contraire auparavant en nous inscrivant sur le registre national des refus. C’est la loi, c’est la théorie.

En pratique, ce qui est très intéressant, c’est que dans le monde entier, quelle que soit la législation, les médecins vont approcher des familles pour demander non pas leur autorisation de prélever mais quelle était la volonté du défunt. La personne est morte, que ce soit par mort cérébrale ou par mort par arrêt cardiaque qu’on ne peut plus réanimer. Il y a ici une distinction philosophique et légale très importante, c’est qu’en France personne ne peut consentir pour une autre personne, on dit : « Nul ne peut consentir pour autrui. »

L’équipe médicale ne demande pas l’avis de la famille, elle ne demande pas son opinion. Elle demande simplement que la famille se fasse le témoin de ce que la personne de son vivant voulait, ou qu’elle aurait voulu. C’est pour cette raison qu’il est très important, de son vivant, de parler avec ses proches.

En exigeant que le refus du don d’organes soit exprimé de son vivant, la loi ne donne-t-elle pas le sentiment qu’elle va à l’encontre des libertés ?

Sadek Beloucif : La loi ne contraint pas, elle protège la liberté.

Quels types d’organes ne peut-on absolument pas prélever (ante-mortem et post-mortem) ?

Sadek Beloucif : Du vivant de la personne, on ne peut prélever que des organes qui ne sont pas vitaux. On peut décider de donner un rein à ses frères et sœurs, sa mère, son fils…, car nous avons deux reins. Nous pouvons donner une partie de notre foie, car cet organe se régénère ; nous pouvons aussi donner une partie de notre poumon.

Une fois que la personne est décédée, il peut y avoir de multiples prélèvements possibles. Il faut comprendre que lorsqu’on est malade et qu’on attend un cœur, un poumon, un pancréas, un rein, on a une qualité de vie qui est médiocre et recevoir un organe, bénéficier du don, c’est une hassanat (« bonne action »). C’est un acte de miséricorde qui permet de reprendre une vie normale alors qu’on était cloué au lit sans pouvoir bouger.


Quand vous étiez président du conseil d’orientation de l’Agence de la biomédecine (entre 2008 et 2011), quelle était la teneur des débats avec les représentants des différentes religions ?

Sadek Beloucif : Nous avons auditionné les représentants des différentes religions. À la différence du Comité consultatif national d’éthique, il n’y a pas de personne qui siège en tant que religieux à l’Agence de la biomédecine. Il n’empêche que, parmi tous les membres, toutes les religions monothéistes sont présentes. Par ailleurs, il faut savoir que toutes les religions, les monothéismes mais aussi l’hindouisme, le bouddhisme, le confucianisme sont favorables au don d’organes.

Y avait-il des freins ?

Sadek Beloucif : Si on prend l’exemple de la religion musulmane, la question a été traitée il y a très longtemps parce qu’il est dit : « Seul Dieu donne et seul Dieu reprend la vie. » Mais on dit bien en islam que la maladie n’est pas une fatalité et que chaque maladie a un remède. Tous les grands savants en islam ont accepté le concept de mort cérébrale en laissant la responsabilité de la détermination de la mort au médecin. À partir du moment où le médecin a mis en jeu sa responsabilité, pour dire que le cerveau est trop « détruit » ou que le cœur s’est arrêté et qu’on n’a plus aucun moyen de le faire repartir, la personne est définitivement morte. À ce moment-là, le don d’organes est reconnu, il est valorisé en islam et est considéré comme une bonne action (hassanat). À condition, bien sûr, qu’on respecte la personne, la famille, qu’on puisse faire des rites funéraires – ce qui est le cas – et à condition qu’il n’y ait pas de commercialisation.


Quelles difficultés la nouvelle loi permet-elle de lever en termes de nombre de dons d’organes, de types d’organes donnés ou de relations du corps médical avec les familles ?

Sadek Beloucif : C’est trop tôt pour le dire. Cela ne change pas grand-chose dans le principe, nous étions déjà dans le registre d’un consentement présumé. On peut espérer que cela renforce ou améliore les pratiques. Les médecins vont être obligés de rappeler la différence dans l’approche des familles pour dire : « On ne vous demande pas votre opinion ni votre avis. On vous demande de vous faire le témoin de ce qu’il ou elle aurait voulu de son vivant. »

Malgré l’entrée en vigueur de la loi sur le don d’organes, à quelles difficultés peut-on encore s’attendre ?

Sadek Beloucif : Cela ne change pas grand-chose, le principe est le même. Il y a quatre possibilités dans le don d’organes : « Je suis absolument pour », « Je suis absolument contre », « Je suis pour » ou « Je suis contre ». Cela permet à chacun d’avoir en tête ces quatre possibilités alors qu’avant il y avait peut-être dans la tête des gens : « Je suis pour », « Je suis contre » et « Je ne sais pas », et quand je ne sais pas je n’en parle pas auprès de ma famille.

Si la loi a contribué au débat, à ce que les personnes en parlent au sein de leur famille, alors c’est une bonne loi. Ce qu’il faut, c’est du dialogue, qu’il n’y ait pas de dogmatisme. Le but d’une loi, c’est de libérer, pas de contraindre.

Nombre de familles s’interrogent sur l’état du corps du défunt après un prélèvement d’organes. Que leur répondez-vous ?

Sadek Beloucif : On leur répond que le corps est traité avec le plus grand respect. Par exemple, après une incision pour prélever le cœur ou le rein, le corps est recousu, suturé dans les règles de l’art. Ce sont des chirurgiens très expérimentés qui font cela et c’est traité avec le plus grand des respects.

Dans l’exercice de votre profession en tant que médecin, quelles difficultés avez-vous rencontrées s’agissant du prélèvement d’organes quand il s’est agi d’en parler avec les familles ?

Sadek Beloucif : Non, jamais... Les gens vont très clairement dire tout de suite : « Oui, il était pour » ou « Non, il ne voulait pas du tout ». Certains disent : « On refuse » et là on leur explique que ce n’est pas à eux de refuser mais qu’il s’agit de savoir si la personne refusait ou non le don d’organes de son vivant…

Vous savez, la mort d’un proche est une situation qui est difficile et pénible ; l’on n’a pas à rajouter du malheur au malheur. L’équipe soignante n’est pas là pour contraindre ; elle est là pour accompagner, aider, aimer.





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