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Rachid Sguini, alias Rakidd : « Je suis un mercenaire de l'engagement »

Rédigé par Imane Youssfi | Vendredi 20 Janvier 2017 à 14:05

           

Dessinateur professionnel, Rachid Sguini sort son premier livre « Le Monde de Rakidd – de 2001 à nos jours » aux éditions Face Cachées, qui revient sur une trentaine d'événements ayant marqué ces 15 dernières années. L'occasion d'une rencontre avec ce jeune homme qui se définit comme un être « totalement libre », qui assume ne pas vouloir envie de voter à l'élection présidentielle. Interview.




Saphirnews : Dans votre livre, vous faites une sélection d'événements très particuliers. Quels ont été vos critères de sélection ?

Rachid Sguini : C’était un peu compliqué de les choisir car j’avais au début compilé à peu près 200 dates. Mais on se rend vite compte que les événements majeurs sont aussi des événements tragiques. Du coup, j’ai dû choisir parmi ceux qui étaient pertinents par rapport à ma propre construction personnelle.

Je n'ai pas placé les attentats de Madrid et de Londres parce qu’en soi, je n'ai pas été touché, alors que le 11-Septembre, ça a été un vrai tremblement de terre. Au début, je voulais commencer par l’assassinat de Massoud (le commandant opposé au régime des Talibans tué le 9 septembre 2001, ndlr) parce qu’il y avait un lien avec le 11-Septembre. L’assassinat de Massoud, c’était un sorte de teaser. Finalement, je me suis dit que ce serait plus marquant de commencer par le 11-Septembre.

J’ai pensé qu’il fallait ajouter des dates un peu plus soft, qu’il y ait aussi des liens avec ma vie personnelle. Par exemple Donald Duck, c’est un personnage que j’aime beaucoup, il est comme nous et je me suis dis que j'allais lui rendre hommage (à l'occasion de ses 80 ans, le 9 juin 2014, ndlr), Alex Kidd aussi (héros du jeu Alex Kidd in Miracle World, ndlr) que j’évoque à la fin de mon livre (pour les 30 ans de ce personnage de jeux vidéos crée par Sega, en novembre 2016, ndlr). Ce sont des choses quand même plus légères.

Avez-vous pensé à écrire un livre avant d’être abordé par la maison d’édition Faces cachées ?

Rachid Sguini : Non, je n’avais pas l’idée de ce livre-là concrètement. Je voulais commencer par un livre beaucoup plus enfantin. Personnellement, j’aspire à être illustrateur pour enfants. Le problème, c’est que l’actualité ne m’en laisse pas le temps car, à chaque fois, je suis obligé de rebondir sur des événements tragiques. Je suis contacté par tel ou tel magazine qui me demande de dessiner sur certains sujets. Du coup, je n’ai pas trop l’occasion de dessiner pour les enfants, même si j’arrive à le faire quand même (à travers notamment sa collaboration avec Gulli, ndlr).

Qu’est-ce qui vous a poussé à dessiner ?

Rachid Sguini : Je dessine depuis que j’ai 3-4 ans, ça s’est fait très naturellement. Jamais de ma vie, je n’ai pensé à autre chose qu’à être dessinateur, ça été le seul but de ma vie et j’y suis arrivé, al hamdoulilah.

Quelles ont été vos sont vos influences dans ce métier ?

Rachid Sguini : Le grand classique Akira Toryiama qui a dessiné Dragon Ball et Osamu Tesuka qui a dessiné, entre autres, Astro Boy. Ce sont mes deux plus grosses influences.

J’ai lu d’autres choses comme Gaston Lagaffe, mais je suis beaucoup plus influencé par des personnes que par des dessinateurs. Par exemple, Alexandre Astier (le créateur de la série télévisée Kaamelott, ndlr) m’a beaucoup influencé. Sa façon d’écrire est incroyable, comme sa manière de faire interagir ses personnages et de soigner les dialogues. Il y a très peu de séries ou de films français qui ont ce niveau de langage.

D’où vient le pseudonyme de « Rakidd » ?

Rachid Sguini : Il vient de Rachid. En fait, dans mon quartier, enfin dans ma ville (du Puy-en-Velay où il a grandi, ndlr), il y avait un gars qui ne prononçait pas les « h » dans les prénoms. Il m’appelait « Rakid », mon pote Achraf s’appelait « Akraf ». Il y a deux « D » car on m’a vite appelé « Rakid the kid ». Le dernier « D » de Kid, c’est le « D » de Rakidd, c’est aussi une double référence à Alex Kidd le personnage dont je parle à la fin de mon livre. Il y a une double référence.

Vous considérez-vous comme un dessinateur engagé ?

Rachid Sguini : Etre engagé, ça signifie que vous vous battez tous les jours pour une cause. Pour moi, ce n’est pas le cas, je n’ai pas l’impression d’être engagé. Peut-être que je le suis malgré moi mais je n’en ai pas l’impression. Disons que j’ai une sensibilité à défendre un peu entre guillemets la veuve et l’orphelin, mais je ne me sens pas engagé parce que demain on ne pourra rien exiger de moi. Demain, personne ne pourra venir sur ma page et me dire : « Alors le dessin sur tel événement, pourquoi tu ne l’as pas fait ? ». Je suis totalement libre.

N'avez-vous pas d'engagements dans la vie ?

Rachid Sguini : Je n’ai pas d’engagements. Disons que je suis plus un sorte de mercenaire. En gros, on m’appelle sur une cause, je fais mon travail et je m’en vais, voilà. J’adhère nulle part, je ne fais aucune manif, je ne suis pas militant. Je viens aider les gens quand ils en ont besoin mais dès qu’ils n'ont plus besoin de moi, je me retire.

Cet été, vous aviez lancé le concept vidéo des « tutos racistes ». Vous « apprenez à dessiner » un personnage appartenant à une communauté dont vous grossissiez les traits de caractère et physique. Vous avez commencé par un Arabe, ensuite un Turc. Quel était votre message ?

Rachid Sguini : Le message, c’était vraiment de déconstruire certains clichés, comment se réapproprier une insulte. Typiquement, j’ai pris l’exemple des skinheads et des « antifa » dans les années 1980. À une époque, les « antifa » ont repris tous les codes des skinheads : les bombers, les jeans’s. Et les skinheads ont disparu visuellement. Ils ont dû chercher autre chose et c’était très compliqué pour eux. Le truc, c’est de se réapproprier leur truc !

Justement, le « tuto raciste » sur l’Arabe a été signalé sur votre page Facebook…

Rachid Sguini : Il a été signalé plusieurs fois, j’ai reçu plein de messages négatifs et d’insultes de personnes issues de la communauté maghrébine. Ce que je peux comprendre finalement, certains n’ont pas perçu l’humour dedans. Beaucoup l’ont pris avec humour, je ne dis pas le contraire, mais j’ai reçu quand même beaucoup d’insultes, alors que du côté des Turcs, je n’en ai reçu aucune. Et ce qui était encore plus fort, c’est qu’ils se mentionnaient entre eux dans les commentaires en disant « Ah, on dirait ton père ! », « On dirait ton frère », « T’as la même gueule que lui ».

Si plusieurs personnes signalent votre publication, votre page est bloquée, c'est le souci, quand vous publiez sur Facebook. Ma page a déjà été bloquée une fois pendant une heure, ensuite 24h et, si ça continue, on peut vous la bloquer définitivement. Je ne pouvais pas prendre le risque d’en remettre une autre et de me faire tomber dessus par telle ou telle communauté parce qu’ils n’ont pas compris le second degré. Quand je l’ai mise sur Youtube, les gens n’ont pas compris de qui les tutos venaient. Ils pensaient que j’étais raciste car ils ne me connaissent pas et j’ai eu plein d’insultes.

Est-ce pour cette raison que vous avez cessé les « tutos racistes » ?

Rachid Sguini : Oui, je ne voulais pas risquer de perdre ma page alors que je pourrai faire plein d’autres choses (les tutos ont d'ailleurs été supprimés, ndlr). Il y a plein d’autres façons de combattre le racisme. Si les gens ne comprennent pas le second degré, je ne vais pas perdre quatre ans de travail parce qu’il y a deux connards qui n’ont pas compris que c’était du second degré.

Y-a-t-il une déception ? Vous êtes-vous dit que finalement les gens n’ont pas vraiment d’humour ?

Rachid Sguini : Je commence à maîtriser un peu Internet et ses facéties et je me rends bien compte que tout le monde n’a pas le même humour que moi. Vous savez à l’époque où j’avais 1 000 ou 2 000 fans (sur sa page Facebook, ndlr), on était un petit groupe et on rigolait entre nous, c’était une petite ambiance cool.

Là, j’ai 30 000 personnes, c’est obligé que vous tombez sur des gens qui font chier. Il y a des internautes qui viennent sur ma page juste pour critiquer. Quand j’avais 2 000 fans, ça n’existait pas. Je me dis que je dois maintenant jouer avec eux parce que ce sont les règles, je ne peux pas aller contre ces gens-là.

Il y a aussi beaucoup de communautés qui ont souffert de racisme toute leur vie et, du coup, quand ils tombent sur ma page et sur ces vidéos-là, je peux comprendre que ça puisse les vexer. C’est pour cela que je n’ai pas tenté de faire le tuto sur le Noir en premier parce que ça aurait été très vite mal pris.

Que vous inspire la société d’aujourd’hui ?

Rachid Sguini : J’ai l’impression que ce qui se passe n’est pas si grave. Si vous demandez aux gens dans la rue comment est le monde aujourd’hui, 90 % d’entre eux vont avoir un avis négatif en disant « Ah c’est horrible, tout ce qui se passe, Daesh, etc. » alors que c’est juste une perception qu’on a et qui nous est donné aujourd’hui à cause d’Internet et du fait que trop d’informations circulent.

A la fin de mon livre, je parle de ceux qui disent qu’avant c’était mieux. En fait non, ce n’est pas vrai. Là, nous avons un flot de mauvaises nouvelles qui nous submerge tous les jours, ça crée une sorte d’anxiété. Pareil lorsqu’on regarde les commentaires sur l’islam, plein de racistes ouvrent leur bouche. Mais il y a aussi des personnes qui défendent les musulmans... J’ai envie de penser positif.

Vous réagissez énormément en fonction de l’actualité mais en ce moment, avec l'élection présidentielle, on remarque que vous ne le faites pas, aucun coup de crayon de votre côté. Pourquoi ?

Rachid Sguini : Parce que ça ne m’intéresse pas. Moi-même, je ne vais pas voter et je ne crois pas en ce système. Je ne vote pas et j’invite les gens à ne pas voter.

Après, on va me dire : « Oui, mais il y a le Front national ». Franchement, ça fait depuis que je suis gamin qu’on me dit « Attention au FN », qu'il faut être gentil sinon les gens vont devenir raciste et voter FN... On met le poids du FN sur le dos de la communauté maghrébine comme si c’était de notre responsabilité qu’il passe ou pas. Il faut arrêter de nous culpabiliser avec ça. J’ai envie de leur dire : que le FN passe, ce sera la merde et ensuite tout le monde comprendra.

Vous n’encouragez pas les gens à voter mais les encouragez-vous à prendre leur destin en main et s’investir en politique ?

Rachid Sguini : Ah oui ! S’il y a des gens qui ont de bonnes initiatives, des bonnes idées, je les invite à se présenter. Mais je sais très bien qu’arriver à un certain niveau, ils seront bloqués par leurs idées. On va leur dire qu'ils ne peuvent aller plus haut s'ils ne se vendent pas sur tel ou tel point.

Quels sont vos projets à venir ?

Rachid Sguini : Un deuxième livre. Le premier était un avant goût pour voir comment les gens allaient prendre le fait que ce sont moins des gribouillages et plus quelque chose d’artistique. Je veux aller plus loin avec le prochain livre, mais je n’en dis pas plus.

Rachid Sguini, Le monde de Rakidd - de 2001 à nos jours, Faces Cachées, décembre 2016, 88 p., 14 €





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