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Points de vue

Pourquoi il est urgent de parler des troubles psychiques pour les musulman-e-s

Rédigé par Shéhérazade | Mercredi 12 Juillet 2017 à 08:30

           


© Shamsia Hassani
© Shamsia Hassani
Dès le VIIIe siècle, des savants musulmans se sont opposés à une vision occidentale des maladies mentales. Ils ne considéraient pas que les démons et les mauvais esprits en étaient la cause, à l'instar d'Al Razi, grand médecin perse des IXe et Xe siècles. Il est le fondateur du premier établissement psychiatrique au monde. Pourtant, il est encore aujourd'hui difficile pour des musulman·e·s souffrant de troubles mentaux de ne pas culpabiliser quant à leur maladie et aux conséquences de celle-ci sur leur pratique religieuse.

La stigmatisation intracommunautaire

Le Ramadan est, par exemple, un mois durant lequel on remarque une recrudescence des épisodes dépressifs, maniaco-dépressifs et bipolaires chez les malades, en raison du jeûne, ne permettant pas de suivre correctement les traitements médicamenteux. Il existe une certaine pression sociale pour les musulman-e-s souffrant de troubles mentaux, subissant souvent une certaine stigmatisation, parce que les maladies psychiques sont généralement sous-estimées dans la oumma (communauté musulmane). Ils reçoivent peu, voire pas du tout d'aide de leurs coreligionnaires, bien que cela soit préconisé, comme nous l'indique un hadith (parole rapportée du Prophète) rapporté par Anas ibn Malik, l'un des compagnons du Prophète, et Muslim, décrivant le respect et la bienveillance de ce dernier à l'égard d'une femme venue lui demander conseil en raison d'un « défaut dans son cerveau ».

En tant que musulman-e-s, nous avons une responsabilité collective. Il est nécessaire de sensibiliser la Umma à ces problématiques, afin que nos frères et sœurs malades puissent se sentir en sécurité, auprès de nous, sans avoir le sentiment d'être jugé·e·s. De plus, nous pouvons tous être touché·e·s, près d'une personne sur cinq souffre d'une maladie mentale au cours de sa vie. Il s'agit d'ailleurs d'un phénomène grandissant, puisque les maladies mentales représentent la moitié des arrêts maladie. Par ailleurs, l'islam nous incite à aider les êtres vulnérables, comme rappelé dans la 107e sourate du Coran, insistant sur notre devoir envers les nécessiteux.

Pourquoi il est urgent de parler des troubles psychiques pour les musulman-e-s
Bien que la culpabilité soit un sentiment dont il est difficile de se débarrasser, il ne faut jamais oublier qu'Allah est conscient du fait qu'il est normal que les êtres humains vivent des expériences très douloureuses. « Que mon chagrin est grand pour Joseph ! Et ses yeux blanchirent d'affliction. Et il était accablé », peut-on lire au verset 84 de la sourate 12 concernant le prophète Yusuf (Joseph), dont le père Yacub (Jacob) est devenu aveugle parce qu'il avait beaucoup pleuré, pensant que son fils était mort. Le Prophète Muhammad a également beaucoup souffert du décès de son épouse Khadija, en 619, que l'on nomme « l’année du deuil ». Si les prophètes, dont le meilleur des hommes, s'autorisent à manifester autant d'émotions, pourquoi les croyant·e·s devraient-ils·elles se sentir coupables de leur tristesse ?

La lutte n'est pas synonyme de faiblesse et cette dernière n'est pas un péché – l'islam est une religion de miséricorde, ce mot apparaissant 79 fois dans le Coran. Nous n'avons pas le droit de nous juger, seul Allah le peut. « Et quiconque craint Allah, Il lui donnera une issue favorable et Il lui accordera Ses dons par des moyens sur lesquels il ne comptait pas. Et quiconque place sa confiance en Allah, Il lui suffit », peut-on lire aux versets 2 et 3 de la sourate 65. Il est ainsi essentiel de ne pas désespérer de la Miséricorde du Seigneur de l'Univers, dont l'une des fonctions fut rappelée par un hadith rapporté par Bukhari : « Allah n'a pas fait descendre une maladie sans descendre son remède. »

Pourquoi il est urgent de parler des troubles psychiques pour les musulman-e-s

Le manque de compréhension de l'islam des professionnel-le-s de santé

L'islam préconise également de demander de l'aide. Un hadith rapporté par At-Tirmidhi, grand savant du hadith, nous incite à « rechercher le traitement des maux ». Il est ainsi nécessaire de prendre soin de soi, de comprendre quels éléments de notre histoire personnelle ont déclenché la maladie, et de demander l'avis de nos proches quant aux variations de notre comportement, afin de prendre conscience de notre évolution. Ainsi, la famille et les ami·e·s peuvent être d'un grand soutien. Dans plusieurs entreprises, il est également possible de consulter un·e conseiller-e soumis·e au devoir de confidentialité, de façon gratuite ou peu coûteuse. C'est également le cas dans les hôpitaux et les services sociaux locaux.

Cependant, les recherches prouvent que certain·e·s musulman-e-s hésitent à demander de l'aide à des professionnel-le-s, dans les pays occidentaux, par peur que leurs croyances religieuses demeurent incomprises. Wassila, musulmane souffrant de dépression, a renoncé à consulter un·e psychologue : « Je me souviens qu'on me regardait avec de grands yeux, lorsque je me confiais sur ma peur de l'Enfer, en me disant simplement que cela n'existait pas. Ils ne comprennent pas le fait que je sois musulmane et que tout cela ait un impact sur ma vision de la vie. »

Ce problème est malheureusement récurrent, qu'il s'agisse d'incompréhension teintée de racisme, de sexisme, d'homophobie, de transphobie ou d'islamophobie. Quelques personnes ont tout de même essayé de dresser une liste de psychologues déconstruit·e·s sur ces sujets. Il est également nécessaire que les médecins prennent en compte les effets du jeûne sur le traitement des individus. La déshydratation entraîne par exemple un dosage inférieur à celui des journées habituelles.

Accompagner la pratique religieuse

Il m'est déjà arrivé d'entendre des musulman-e-s culpabiliser leurs coreligionnaires sur leur manque de pratique religieuse, alors que ces dernier·e·s étaient malades et qu'ils·elles tentaient, tant bien que mal, de renouer avec Allah. Bien que les cinq prières par jour constituent le deuxième pilier de l'Islam, le Miséricordieux reste toujours disponible en dehors de celles-ci. Quelle que soit la façon dont on Lui parle, quelle que soit la langue que l'on emploie, Allah sait tout et comprend tous nos propos.

Ainsi, il peut être apaisant d'oser se confier à Lui, à n'importe quel moment, parce que c’est un moyen de se rapprocher de Lui, durant des périodes où l'on ne se sent plus forcément apte à communiquer avec Lui de façon conventionnelle, par le biais des cinq prières quotidiennes. Dans le verset 186 de la deuxième sourate du Coran, il est écrit : « Et quand Mes serviteurs t'interrogent sur Moi... alors Je suis tout proche : Je réponds à l'appel de celui qui Me prie quand il Me prie », ce qui prouve que le·la croyant·e n'a pas besoin d'intermédiaire entre lui et Dieu. Cela peut, petit à petit, aider à pratiquer le deuxième pilier de l'islam de façon plus régulière.

Le Ramadan peut aussi être source de grande pression. Ce mois étant considéré comme béni, nous souhaitons souvent faire preuve de perfection, bien que celle-ci n'existe pas. Il est donc nécessaire de se donner des objectifs réalisables. Au verset 20 de la sourate 73, nous pouvons lire : « Il sait que vous ne saurez jamais passer toute la nuit en prière. Il a usé envers vous avec indulgence. » Au lieu de se promettre de prier toute la nuit, peut-être serait-il plus judicieux d'accomplir les cinq prières quotidiennes voire d'ajouter quelques autres prières, selon notre humeur et notre capacité à prier de façon concentrée ? Il ne faut pas non plus culpabiliser si on ne peut pas jeûner, qu'il s'agisse d'une maladie physique ou mentale. « Et ne vous tuez pas vous-même. Allah, en vérité, est Miséricordieux envers vous. » (Coran, Sourate 4, versets 29 et 30)

Pourquoi il est urgent de parler des troubles psychiques pour les musulman-e-s
Jeûner alors que l'on est malade et que cela peut considérablement nuire à notre santé est donc interdit et tous les savants musulmans sont d'accord là-dessus. Le devoir du malade, durant le Ramadan, est donc de préserver sa santé en ne jeûnant point, comme nous en informent les médecins Vohra et Sabri. Ainsi, il est important que nous prenions tou-te-s conscience du fait que tou-te-s les musulman·e·s ne peuvent pas forcément jeûner. Il est également inutile de leur demander les raisons pour lesquelles ils ou elles ne s'abstiennent pas de manger et de boire, parce que cela établit une distinction pouvant les blesser.

L'islam est une religion permettant de multiples actes de foi et il peut être intéressant de trouver différentes sources de pratique religieuse, telles que la charité, servant à la fois le dîne (la pratique religieuse) et la société, ou le fait d'être plus souriant-e, le sourire étant considéré comme une aumône. « Ne néglige aucune œuvre de bien, pas même le fait de rencontrer ton frère avec un visage radieux » est d'ailleurs un hadith rapporté par Muslim. At-Tirmidhi a aussi rapporté que le Prophète avait affirmé : « Et s'il y a un manque dans son obligation religieuse, le Seigneur (le Puissant et le Haut) dira : "Regardez si Mon serviteur a des actes accomplis volontairement afin de compléter le manque dans l'obligation" ». L'islam est censé être la religion de la facilité, il ne faut donc jamais se décourager, malgré les difficultés pour améliorer son dîne, conformément aux versets 5 et 6 de la sourate 94 : « A côté de la difficulté est, certes, une facilité ! A côté de la difficulté est, certes, une facilité ! » La patience est la clé, comme nous le rappelle le verset 115 de la sourate 11 : « Et sois patient. Dieu récompense les bienfaisants. »

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Shéhérazade est bénévole de l'association Lallab.





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