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Points de vue

Pourquoi Lallab s’oppose à la pénalisation du harcèlement de rue

Rédigé par Lallab | Samedi 21 Octobre 2017 à 09:00

           

Depuis plusieurs semaines, la pénalisation du harcèlement de rue, défendue par Marlène Schiappa, la secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, fait débat. L’objectif de ce projet est de donner un nouveau cadre légal au harcèlement de rue et de verbaliser directement les auteurs de ces comportements, notamment en mobilisant 10 000 agent-e-s de police de proximité, déployé-e-s sur tout le territoire. Beaucoup de collectifs, de militant·e·s féministes et de chercheur-se-s ont émis de sérieuses critiques et se sont opposé-e-s fermement à cette proposition. Même si nous saluons l’intérêt porté à ce problème de masse dont sont victimes beaucoup trop de femmes, nous rejoignons les critiques faites à ce projet, et Lallab s'y oppose fermement pour huit raisons.



Pourquoi Lallab s’oppose à la pénalisation du harcèlement de rue

1. Il existe déjà des lois pénalisant les agressions et les insultes

En France, les insultes et le harcèlement font déjà l’objet de plusieurs lois, et sont déjà considérés comme des infractions. Les injures non publiques (soit dans la rue) sont passibles d’une amende de première classe (au minimum 38€). Le harcèlement est passible de deux à trois ans d’emprisonnement et de 30 000 à 45 000€ d’amende. Il est donc déjà possible légalement de faire condamner quelqu’un pour des faits de harcèlements… encore faudrait-il que cet arsenal juridique soit appliqué.

2. Comment prouver le harcèlement ou l’agression ?

Aux yeux de la loi, ce sera toujours à la victime d’apporter les preuves de son agression, et de prouver qu’elle n’était pas consentante. Or, il nous paraît difficile, pour une victime de harcèlement, d’en apporter la preuve. Le propre du harcèlement de rue est que ce sont des inconnus qui vous interpellent, vous insultent, à pied ou en voiture, vous glissent un mot cinglant en vous croisant, se frottent à vous dans le métro, etc.

Dans la plupart des cas, le contact avec l’agresseur est très court dans le temps. On le croise seulement dans la rue et il est souvent impossible de le retrouver. Il semble donc difficile de prouver l’agression et d’arriver à ce que ce sombre inconnu parti au loin écope d’une amende. A moins qu’un-e agent-e en soit témoin, ce qui parait compliqué, puisque les harceleurs n’ont pas encore pris pour habitude de sévir juste à côté des agent-e-s de police. Et même si un·e agent·e est à proximité, il nous paraît compliqué d’amener notre agresseur jusqu’à l’agent-e en le tirant par l’oreille pour qu’il avoue ses torts. D’autant plus que les personnes verbalisées auront la possibilité de contester l’amende a posteriori…


3. La Belgique l’a déjà fait, et ça n’a pas marché

En 2012, une étudiante flamande a diffusé une vidéo tournée en caméra cachée pour dénoncer le harcèlement de rue. Suite à cela, la même année, le gouvernement belge a adopté une loi pénalisant le harcèlement dans l’espace public, puis, en 2014, une loi tendant à lutter contre le sexisme. Elle punit l’auteur « d’un geste qui pourrait exprimer un mépris envers une personne en raison de son sexe » d’une peine d’emprisonnement allant d’un mois à un an et/ou d’une amende allant de 50 à 1 000 euros.

Cependant, un an plus tard, trois plaintes seulement avaient abouti. On peut donc en conclure que cette loi est inefficace. Les spécialistes l’expliquent par plusieurs raisons… Devinez lesquelles ? Toutes celles qu’on vient d’énumérer plus haut ! Alors pourquoi persister avec cette mesure ?

4. Le manque de formation des agent-e-s reste un problème majeur

De nombreux témoignages, recueillis notamment par le tumblr Paye ta police nous montrent et nous prouvent le manque de formation évident des agent-e-s de police : culpabilisation des victimes, remise en question de leur parole, refus de prendre leurs plaintes, non-reconnaissance du harcèlement de rue comme une réelle violence, voire actes de harcèlement sexuel perpétrés par les forces de police elles-mêmes… La liste des problèmes est longue.

En plus de toutes les autres raisons, les victimes n’osent pas aller porter plainte parce qu’elles ont peur de ne pas être prises au sérieux par les forces de l’ordre, ce qui est souvent vécu comme une seconde agression. Former les agent-e-s de police à la prise en charge des violences faites aux femmes serait bien plus utile que d’en rajouter 10 000 non-formé-e-s.

5. Ce n’est pas en réduisant les fonds pour les associations féministes et en augmentant le nombre d’agent-e-s de police que l’on lutte contre le patriarcat

Les coupes budgétaires importantes et la fin des contrats aidés par le gouvernement affectent et rendent difficile le travail des associations, et notamment les associations féministes qui luttent contre les violences faites aux femmes. La baisse des subventions aggrave le manque de moyens de ces associations de terrain, vitales pour certaines femmes. La fin des contrats aidés aura pour conséquence de réduire leurs effectifs.

Si le but est réellement de lutter contre le harcèlement et les violences faites aux femmes, pourquoi empêcher les associations dédiées à ces problématiques, formées de personnes compétentes, de mener à bien leurs actions ? Augmenter le nombre d’agent·e·s de police, de surcroît non-formé·e·s à ces problématiques, mais mettre en péril ces associations n’a clairement aucun sens, et desservira les victimes.

6. Pourquoi seulement le harcèlement de rue ?

Les femmes sont victimes de harcèlement dans toutes les sphères publiques de notre société, que ce soit dans la rue, dans les bars, au travail ou au Parlement… Le harcèlement est quotidien et ne s’arrête pas une fois que l’on quitte le trottoir. Si la logique est de protéger les femmes, pourquoi se préoccuper et pénaliser uniquement le harcèlement qui a lieu dans la rue ? Certes, celui-ci a des manifestations spécifiques, notamment l’identité des auteurs, que les victimes ne revoient pas. Mais si l’on considère les interventions de Marlène Schiappa, on constate que l’insistance est retenue comme critère pour définir le harcèlement de rue : dans ce cas, comment le distinguer des autres types de harcèlement ? Sa définition promet des débats tournant en rond, pour finalement revenir à la définition actuelle du harcèlement sous toutes ses formes…

Par ailleurs, en plus de ne se préoccuper que du harcèlement de rue, le gouvernement, par les réformes du Code du travail, vient de mettre un coup d’arrêt à la lutte contre le harcèlement au travail. Les victimes, leurs avocat·e·s et l’Association européenne contre les violences faîtes aux femmes au travail (AVFT) dénoncent « la mise à mort des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail » qui étaient un outil de plus en plus utilisé pour lutter contre le harcèlement au travail. Rappelons qu’en France, une femme sur cinq en est victime.


7. La loi pénalisant le harcèlement de rue risque de cibler une catégorie d’hommes issus de quartiers populaires et renforcer le délit de faciès

Si cette loi ne cible qu’un type de harcèlement, c’est parce qu’elle cible une catégorie de personnes. Le harcèlement de rue, bien qu’étant le fait d’hommes de toutes catégories sociales et de toutes origines, est largement et abusivement associé à une population d’hommes de classe populaire et/ou racisés. Or, ceux-ci sont déjà fortement criminalisés, surveillés et brutalisés par la police. Nous imaginons aisément que le déploiement de 10 000 agent-e-s supplémentaires ne se fera pas dans le 16e arrondissement de Paris, mais dans les quartiers populaires, pour ainsi renforcer la surveillance policière sur les populations qui y habitent. Refusons que le féminisme soit instrumentalisé pour renforcer les dérives racistes et sécuritaires de l’Etat français.

8. Cette loi ne protègera pas toutes les femmes (en particulier les femmes musulmanes)

Le harcèlement de rue n’est pas seulement sexiste. Il peut être également islamophobe, raciste, grossophobe, queerphobe… Chez Lallab, nous recevons énormément de témoignages de femmes musulmanes, en particulier de femmes musulmanes voilées, qui sont victimes de harcèlement en raison de leur appartenance religieuse. Elles sont victimes d’insultes, d’agressions verbales voire physiques, ce qui a des conséquences graves sur leur santé physique et morale. Les femmes sont les premières victimes d’agressions islamophobes en France.

De plus, ces femmes sont régulièrement victimes de comportements rarement perçus par les autres, tels que des regards insistants, méprisants ou des gestes menaçants. L’espace public est vécu alors comme un lieu de rejet et de violences, et il faut que cela cesse ! Ces faits sont très peu médiatisés, dénoncés ou pénalisés car l’islamophobie ambiante banalise ces violences.

Le harcèlement de rue n’est pas un fait nouveau, il a toujours existé et est le produit de notre société sexiste. Même si le fait que ce sujet entre dans les débats publics est une bonne nouvelle car cela signifie qu’il est pris en compte, cette proposition du gouvernement n’est pas une bonne solution pour toutes les raisons que nous venons de citer.

Le harcèlement de rue est une question d’éducation et sa lutte se mène dans les mentalités de chacun-e. Nous soutenons les projets qui visent à améliorer la vie de toutes les femmes, et pas seulement celle d’une seule partie d’entre elles. Nous réaffirmons notre soutien aux militant·e·s féministes de Paye Ta Shnek et de Stop harcèlement de rue. Pour connaître les propositions que nous soutenons, c’est par ici.






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