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Points de vue

Ni ange ni démon : juste un être humain

Rédigé par Mohamed Bajrafil | Vendredi 3 Novembre 2017 à 16:30

           

Mohamed Bajrafil, théologien et imam à la mosquée d'Ivry-sur-Seine, avait produit un texte le 25 septembre à la suite d'accusations de pratiques de harcèlements sexuels contre des leaders religieux musulmans outre-Atlantique et outre-Manche. Compte tenu de l'actualité française s'agissant de l'affaire Tariq Ramadan, l'auteur a souhaité faire paraître cette tribune sur Saphirnews, afin d'aller au-delà de l'émotion et de la vindicte populaire.



Ni ange ni démon : juste un être humain
Depuis la nuit des temps, l'homme qui prêche la parole de Dieu, quelle que soit la religion dans laquelle il le fait, reçoit de la part des gens une considération qui lui octroie un certain pouvoir. Cette considération est d'autant plus forte qu'elle confond souvent la parole prêchée avec le prêcheur. La sainteté de celle-ci est transposée sur sa personnalité et il finit par être adulé, parfois même adoré, par les gens de son obédience.

C'est un fait anthropologique dont les temps ne semblent pas avoir raison. On continue encore à croire que le religieux est saint et on lui voue encore un culte. Les confréries d'autrefois sont aujourd'hui remplacées par d'autres formes de groupements qu'on appelle fan-clubs. Au centre, on trouve toujours un homme ou une femme qui, pour les groupies, prêche la bonne parole.

Une différence nette existe toutefois entre les groupies d'hier et ceux d'aujourd'hui. On a recours au marketing comme pour vendre un produit marchand afin de mobiliser le maximum de groupies possibles. L'image est étudiée, les mots pesés, le cadre choisi pour attirer le maximum de personnes. On en arrive même à acheter des followers, c'est-à-dire des groupies factices, dans le but de donner une impression de puissance, la vérité se mesurant à l'aune du nombre de likes et de vues.

Le musulman d'aujourd'hui marche sur la tête : idolâtrie et disgrâce

Pourquoi en parler aujourd'hui ? Pour deux raisons. D'abord parce que l'actualité exige qu'on en parle. Je vois le désarroi de certains de mes coreligionnaires lorsqu'ils voient tel ou tel savant, tel ou tel prédicateur embourbé dans une affaire pas très musulmane ou adopter un comportement aux antipodes de la bonne parole qu'il prêche pourtant régulièrement. Je les entends dire ne plus savoir à quel saint se vouer, ni qui croire.

Leur déception est à la hauteur de la confiance qu'ils avaient en cet homme ou cette femme. Les réseaux sociaux s'emballent et on ne parle que de cela pendant des jours et des jours. La disgrâce tombe sur le héros ; et comme les réseaux sociaux l'ont fait ils le défont, comme le pouvoir des médias l'a fait il le défait. Tel un ballon de baudruche, la bulle Untel perd son vent et disparaît dans la nature.

En islam, pourtant, tout est dit pour éviter l'idolâtrie aux gens et la disgrâce des stars 2.0. En effet, le Coran présente constamment le Prophète comme un homme. Rien qu'un homme. « Dis-leur : je ne suis qu'un homme », dit Dieu au Prophète dans le Coran. « Qu'a-t-il ce messager ?, disaient les Quraishites. Il mange et va au marché (sous-entendu comme nous) », rapporte le Coran.

Si telle est la manière dont le Prophète – notre modèle – est présenté par Dieu, le but recherché est d'éviter que les musulman-e-s arrivent un jour à idolâtrer quelque personne que ce soit.

Pourtant, on est hélas loin du compte. La vérité n'est pas celle que notre intelligence trouve comme telle, mais plutôt celle de notre idole. Oups de notre « cheikh ». On a mis nos cerveaux en veilleuse pour laisser d'autres réfléchir à notre place. Pourtant, aucun des Livres révélés n'interpelle autant le libre arbitre de l'être humain que le Coran. Aucune religion n'a autant anobli l'intelligence, faisant d'elle une source de loi, comme le soutient le mu'tazilisme, que l'islam. Pourtant, appeler les gens à la réflexion est considéré comme une hérésie. Chers vous, le musulman d'aujourd'hui marche sur la tête !

Ni ange ni démon : juste un être humain

L'humilité n'est pas une option

L'autre raison est que, fort de ses followers, le prédicateur en vient à oublier qu'il n'est rien d'autre qu'un humain. Ce que lui disent les gens finit par le convaincre qu'il est quelqu'un, un surhomme. Facebook lui monte à la tête et il se met à se prendre pour ce qu'il n'est pas. À mesure qu'on l'applaudit, son ego grossit. Il cesse d'être un homme pour devenir la sunna.

Diverger avec lui, revient, donne-t-il parfois l'impression, à diverger avec la sunna. Il se croit infaillible et oublie pourtant qu'il n'est rien d'autre qu'un pécheur. Un de mes maîtres me disait tout le temps que quand on t'appelle cheikh et que tu te crois comme tel, alors tu es si ignorant que tu pourrais prendre tes excréments pour du musc.

Qui que nous soyons, nous restons des êtres humains, avec nos qualités et nos défauts. L'humilité n'est pas une option. C'est l'habit dont nous devons tous nous couvrir. Le Prophète dit un jour : « Si Dieu devait nous juger, Jésus et moi, pour ce que l'index et le majeur ont commis, il nous punirait. » Nous rendons-nous compte ? Pour le musulman/la musulmane que nous sommes, le propre d'un Prophète est qu'il ne peut pas commettre de péché. Une telle déclaration vise à nous rappeler ce que nous sommes : des pécheurs invétérés. Ne l'oublions jamais.

Alors, pour ne jamais être déçu par tel cheikh qui se range du côté d'une dictature sanguinaire ou soutient tel gouvernement injuste, ou tel autre soupçonné de recourir à telle ou telle pratique pécheresse, une solution : les voir comme des êtres humains. Il ne faut pas oublier qu'il n'y a pas de héros éternel. Exceptés les élus de Dieu. Sauf que ceux-ci n'atteignent ce degré qu'une fois qu'ils se sont déshabillés de l'orgueil humain pour enfiler la tunique de l'humilité. « Je ne mets pas ma personne hors de cause. L'âme est exponentiellement instigatrice du mal. Sauf celle frappée du sceau de la miséricorde divine. » Telle est la déclaration du Prophète Youssouf (Joseph), d'après certains exégètes.

N'épiloguons donc jamais outre mesure sur les dérives de telle ou telle star. Oups ! Je voulais dire cheikh. Utilisons seulement nos méninges et nous cesserons de les voir comme des surhommes. Utilisons nos méninges et personne ne nous surprendra.

Quant à nous autres, nous avons atteint un degré de notoriété qu'aucun de nos maîtres n'a jamais atteint, malgré plus d'un demi-siècle de prédication et d'enseignement pour Dieu. Aucun d'eux n'avait pourtant un salaire de quelque organisation que ce soit, en nous enseignant. Ils l'ont fait pour Dieu. Ils l'ont fait dans le but de faire des petits cerveaux que nous étions de bonnes personnes. Puisse Dieu nous accorder leur dévouement, leur dévotion et leur sincérité. Puisse-t-Il dévoiler nos défauts à nos yeux pour que nous ne nous prenions jamais pour ce que nous ne sommes pas. Nous ne sommes ni des anges ni des démons. Seulement des êtres humains.

Humainement vôtre !

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Mohamed Bajrafil est linguiste, théologien, imam de la mosquée d’Ivry-sur-Seine et secrétaire général du Conseil théologique musulman de France. Il est auteur de l’ouvrage Islam de France, l’an I.






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