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Points de vue

Les musulmans face à Daesh - Lettre à Tahar Ben Jelloun (et à toute la France)

Rédigé par Mabrouck Rachedi | Lundi 1 Août 2016 à 17:00

           


Les musulmans face à Daesh - Lettre à Tahar Ben Jelloun (et à toute la France)
Dans Le Monde daté du samedi 30 juillet, Tahar Ben Jelloun écrit une lettre aux musulmans. Il a bien raison de rappeler l’horreur des attentats en France depuis un an et demi. Toutes les voix sont importantes pour exprimer cette douleur qui nous touche tous - et quand j’écris « nous », je ne distingue ni les religions, ni les origines, ni les nationalités… « Nous », ce ne sont pas que les musulmans, ce ne sont pas que les Français. « Nous », c’est toute la France.

Je partage évidemment l’opinion de M. Ben Jelloun : il faut faire tout ce qui est en notre pouvoir pour que cesse cette folie meurtrière. C’est notre devoir de citoyens, pas de musulmans. Pour moi, une ligne rouge n’a pas été franchie par Daesh avec l’ignoble assassinat du père Jacques Hamel. Elle l’a été dès le premier sang versé, lors des attentats de Charlie Hebdo et de l’Hypercasher, lesquels visaient déjà à confronter les communautés entre elles (et nous ne sommes heureusement pas tombés dans le piège.

M. Ben Jelloun souhaite dégager l’islam des griffes de Daesh. C’est tout à son honneur. Chaque citoyen sensé n’aura pas attendu sa lettre pour se mobiliser, autant qu’il le peut, dans cette vaste entreprise. Si les attentats sont un échec pour tous, je ne m’en sens pas plus responsable que mes voisins. Sauf à créer une milice musulmane, les musulmans n’ont pas de pouvoir policier - et c’est heureux - pour traquer Daesh.

Le véritable échec serait dans une absence de réaction des citoyens français, en particulier musulmans : la mobilisation, des musulmans et autres, je la vois tous les jours autour de moi. Certains sont plus visibles que d’autres : tout le monde n’a pas la chance d’avoir accès à des tribunes médiatiques comme Tahar Ben Jelloun. Cela ne signifie pas qu’ils ne disent rien, qu’ils ne font rien, qu’ils ne pensent rien, et ce serait un grand tort de le laisser croire. C’est aussi un grand tort de laisser penser que les musulmans ne s’adaptent pas aux lois et aux droits de la République. Ce que fait M. Ben Jelloun quand il écrit : « Il faudra s’adapter aux lois et droits de la République. » Comme si ce n’était pas déjà le cas, comme si les musulmans étaient une bande de renégats.

Le danger de tout vouloir lier à Daesh

M. Ben Jelloun énumère une liste de devoirs des musulmans dont le premier : « Nous devons renoncer à tous les signes provocants d’appartenance à la religion de Mahomet. Nous n’avons pas besoin de couvrir nos femmes comme des fantômes noirs qui font peur aux enfants dans la rue. » On rappellera à l’auteur que la loi n’interdit pas le port du voile dans l’espace public, qu’il confond le droit français et ses souhaits (qu’il a le doit d’exprimer mais qu’il serait mensonger de faire passer pour des lois).

Par ailleurs, il exclut dans son énoncé que les femmes puissent choisir de se couvrir puisque « nous » les couvrons. C’est très discutable. Quant à la peur que le voile suscite aux enfants dans la rue, nous dirons que M. Ben Jelloun s’est laissé emporter par son imagination de romancier. J’ai tendance à croire que le voile fait plus peur à certains adultes qu’aux enfants.

On s’étonnera aussi que M. Ben Jelloun fasse un lien entre le voile, la séparation dans les piscines, l’auscultation des femmes musulmanes par des médecins hommes avec Daesh. On peut être contre tout ce qui précède mais il est difficile d’établir un lien entre ces comportements et des actes de terrorisme, sauf à croire que Daesh ait un pouvoir magique sur les tissus, les stéthoscopes, ou le chlore des piscines.

Les musulmans de France, complices de Daesh ?

M. Ben Jelloun va plus loin : « Nous n’avons pas le droit de laisser faire des criminels qui ont décidé que leur vie n’a plus d’importance et qu’ils l’offrent à Daech. » Est-ce à dire que « nous » laissons faire des criminels ? Ce serait une complicité extrêmement grave. Et M. Ben Jelloun de poursuivre : « Nous devons parler, mettre en garde ceux parmi nous qui sont tentés par l’aventure criminelle de Daech. » Je ne sais pas si M. Ben Jelloun a dans son entourage des « personnes tentées par l’aventure criminelle de Daech », mais moi, et ceux que j’ai interrogés avant d’écrire cette tribune, non.

J’ai tendance à penser que des gens prêts aux pires crimes, dont certains échappent à la vigilance dans nos services de renseignement, sont peu portés sur la confidence, et donc que ce dialogue que Tahar Ben Jelloun appelle de ses vœux soit très difficile à établir. L’accusation de passivité est non seulement injuste mais aussi dangereuse, parce qu’elle rend les musulmans responsables d’actes dont M. Ben Jelloun reconnaît qu’ils sont aussi parmi les victimes. Si « nous » regardions passivement ce qui se trame devant nous, « nous » serions déjà complices de ces assassins.

Balayer le mythe du « retour au pays natal »

M. Ben Jelloun finit sa lettre par : « Sinon il ne nous restera plus qu’à faire nos valises et retourner dans le pays natal. » J’ai peur qu’il emprunte aux discours de certains partis politiques peu fréquentables. Faut-il lui rappeler que des millions de musulmans sont nés en France ? Que la « musulmanie » n’existe pas ? Mon pays natal, c’est la France. Je réponds à M. Ben Jelloun en tant que Français, comme des millions tout aussi actifs que lui mais qu’il pointe du doigt en pratiquant des amalgames qu’un intellectuel tel que lui ne devrait pas faire.

Cette tribune aurait pu ne pas être publiée car je n’ai pas la renommée de M. Ben Jelloun. Contrairement à lui, j’ai conscience d’être un privilégié. Ma parole est entendue par un plus grand nombre que ces millions de personnes sans écho médiatique, qui s’expriment pourtant aussi fermement que moi. Il serait injuste d’affirmer que ces invisibles, musulmans ou autres, sont muets : on ne les écoute jamais, on ne leur laisse jamais la parole, ce qui ne signifie pas qu’ils ne disent rien ou qu’ils n’ont rien à dire.

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Mabrouck Rachedi est chroniqueur et écrivain, auteur dernièrement du roman Tous les hommes sont des causes perdues (mars 2015, L'Âge d'Homme).






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