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Points de vue

Les femmes musulmanes interpellent la Commission européenne

Par Noura Jaballah*

Rédigé par Noura Jaballah | Vendredi 8 Mars 2013 à 02:26

           

Créé en 2006 et rassemblant une vingtaine d'associations de femmes musulmanes, le Forum Européen des Femmes Musulmanes (EFOMW) a interpellé le département Justice de la Commission européenne afin de mettre en œuvre une vraie égalité de traitement des femmes musulmanes face à l'emploi. Celles-ci ne sauraient être discriminées sur le marché du travail pour le simple port d'un foulard. Voici la teneur de la lettre adressée à la Commission européenne.



Les femmes musulmanes interpellent la Commission européenne
Dans le cadre du processus de révision de la directive 2000/78/CE portant sur le cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, le Forum Européen des Femmes Musulmanes (EFOMW), plateforme européenne qui regroupe une vingtaine d’associations œuvrant à l’autonomisation des femmes musulmanes, souhaite attirer l’attention de la Commission sur les difficultés rencontrées dans la lutte contre les discriminations sur la base de l’appartenance religieuse et des convictions, et plus particulièrement sur le cas des personnes arborant un insigne religieux.

L’exemple le plus emblématique est sans conteste celui des femmes musulmanes désireuses de garder leur foulard sur leur lieu de travail. Plusieurs études sociologiques attestent en effet des difficultés que les femmes musulmanes en Europe rencontrent pour accéder au marché de l’emploi, et ce quel que soit leur niveau d’éducation (voir les résultats d’une étude doctorale menée par Fatiha Ajbli portant sur la situation des femmes musulmanes voilées sur le marché du travail en France).

On constate partout en Europe que, malgré des études brillantes et la volonté réelle de s’insérer socioprofessionnellement, des femmes se retrouvent face à un plafond de verre les empêchant de connaître une ascension sociale qu’auraient dû leur offrir leur parcours académique et la motivation qui est la leur à faire mieux que leur entourage. Ce blocage aux portes de la réussite sociale les cantonne dans un statut socio-économique précaire et leur inflige une souffrance psychologique les poussant à se replier sur elles, mettant en péril l’ouverture sur la société.

Les plus déterminées contournent ces obstacles en acceptant des emplois pour lesquels elles sont surqualifiées ou encore en tentant de trouver une place dans les niches de travail ethniques. Cette situation met à mal la mixité sociale dans nos sociétés européennes qui sont pourtant fières de leur diversité.

En plus de la crise économique qui fragilise de nombreux citoyens européens,ces femmes se voient triplement discriminées en raison de leur sexe, de leur origine ethnique et de leur appartenance religieuse.

Pire encore, cette discrimination est communément acceptée et admise sous prétexte que le port du foulard est une particularité parmi les motifs de discrimination. En effet, l’EFOMW regrette le manque de volonté politique de s’engager clairement en faveur de la discrimination contre les femmes portant le foulard sous prétexte que cela cautionnerait l’oppression des femmes ou encore l’inégalité entre hommes et femmes. Cette prise de position amène à considérer que le droit n’a pas à s’appliquer de la même manière à tous les individus.

La bienveillance à l’égard des femmes musulmanes voilées, qui amène à penser à leur place et à décider de ce qui est bon pour elles produit l’effet inverse de celui escompté : en les excluant du marché du travail, on les enferme chez elles. Or, le travail reste aujourd’hui une source importante d’identité sociale et un vecteur fondamental de cohésion sociale et d’épanouissement personnel.

Comme tout citoyen européen, les femmes musulmanes devraient pouvoir bénéficier de la protection que confèrent les textes légaux européens et le cadre juridique international. En effet, malgré l’existence de lois et de directives punissant la discrimination fondée sur l’appartenance religieuse et les convictions, bon nombre d’employeurs se réfèrent eux-mêmes aux textes de loi et, notamment, à la possibilité d’exercer une différence de traitement en raison d’une « exigence professionnelle essentielle et déterminante » proportionnée au but visé pour justifier leur refus d’embaucher des personnes rendant visible leur appartenance religieuse.

Or, raisonnablement, l’exclusion pure et simple du marché du travail de ces personnes pour des motifs tels que le respect de la clientèle, la protection de l’image de marque de la société ou encore le respect du principe de neutralité ne pourrait être, dans la majorité des cas, considérée comme proportionnelle au but visé. Plusieurs plaintes portées devant les tribunaux se sont soldées par un jugement favorable aux employeurs, les cours de justice nationales estimant que ces décisions étaient fondées.

C’est pourquoi l’EFOMW demande à la Commission européenne de suivre de plus près la transposition de la directive 2000/78/CE en droit national, et plus particulièrement son interprétation qui ne devrait pas trahir l’objectif et l’esprit qui l’ont initié. Cette directive offre aujourd’hui une dérogation aux employeurs leur permettant d’exercer une différence de traitement lorsqu’il s’agit de personnes portant un insigne religieux. La notion d’exigence professionnelle essentielle et déterminante devrait être clarifiée afin de faire l’objet d’une interprétation plus restrictive.

De plus, l’EFOMW appelle la Commission Européenne à adopter une approche globale dans sa politique de lutte contre les discriminations et un cadre juridique plus performant permettant de lutter contre toute forme de discrimination dans tous les domaines.

Enfin, au regard de la situation d’exclusion que vit une majorité de femmes musulmanes portant le foulard et de la discrimination multiple qu’elles subissent, l’EFOMW appelle de ses vœux à une prise en charge réelle de cette problématique en la plaçant comme question prioritaire dans les politiques d’intégration et de lutte contre les discriminations. L’exclusion sociale telle que vécue par ces milliers de femmes menace la paix sociale et le bon vivre ensemble.


* Noura Jaballah est présidente du Forum Européen des Femmes Musulmanes (EFOMW).






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