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Points de vue

L’« acculturation » revendiquée ou le coefficient autoréducteur

Rédigé par Youssef Girard | Vendredi 3 Janvier 2014 à 06:00

           


Durant la période coloniale, les peuples colonisés ont lutté contre les politiques de dépersonnalisation et d’assimilation des puissances occupantes – singulièrement les peuples ayant vécu sous le joug de l’impérialisme français passé maître dans l’art de détruire les cultures des peuples vivant sous sa domination. La résistance culturelle à la colonisation s’incarnait dans un mouvement de retour aux sources de la culture nationale, dans une volonté de préservation de l’authenticité des modes de vie et dans un attachement à un héritage historique multiséculaire. Cette résistance culturelle représentait à la fois un des fondements et des objectifs des luttes de libération nationale.

En opposition à cette histoire, des musulmans se définissant comme « patriotes français » en appellent aujourd’hui à l’« acculturation » de la communauté musulmane vivant dans l’Hexagone pour construire un « islam authentiquement français » purifié de ses « influences maghrébines » impures. Cet « islam authentiquement français » - nous passerons sur cet oxymore – doit permettre de développer une théologie islamique spécifiquement française et aux musulmans d’adopter la culture hexagonale.

L’« acculturation » est le nouveau concept magique par lequel ces « musulmans patriotes » espèrent régler tous les problèmes de la communauté musulmane. Le racisme, l’islamophobie et autres discrimination résulteraient uniquement d’un défaut d’acculturation des musulmans. La France se retrouverait ainsi lavée de tous ses pêchés. Mais qu’est-ce que l’« acculturation » sinon la revendication délibérée de la dépersonnalisation et de l’assimilation de sa communauté ?

Les appels à l’« acculturation » sont en réalité des appels à une amputation de la communauté musulmane à qui il est demandé de renoncer à son histoire, à sa culture et à sa civilisation. Ils incarnent ce que Malek Bennabi appelait le « coefficient autoréducteur » c’est-à-dire l’adoption délibérée par les colonisés, et maintenant par les post-colonisés, de la pensée et du comportement décidés par le système colonial puis postcolonial. Le système de domination occidentale qui s’efforce depuis des décennies de dépersonnaliser et d’assimiler les peuples musulmans, a maintenant trouvé des musulmans colonisables brandissant fièrement le concept de l’« acculturation » contre eux-mêmes.

Durant la période coloniale, Malek Bennabi expliquait le phénomène du « coefficient autoréducteur » en affirmant que l’« on n’a pas vu d’eunuque se nommer lui-même "eunuque", mais on a vu des intellectuels algériens se nommer, à l’envi, "indigènes" » ou « humble pour justifier la thèse des colons ». Il s’agissait là d’expressions de la colonisabilité d’une partie de l’élite algérienne qui adoptait volontairement le vocabulaire de l’« administration indigène ». Selon Bennabi, ils incarnaient le « prototype de l’être colonisé ».

En période postcoloniale, les mêmes processus de servitude volontaire se retrouvent à l’œuvre. Certains musulmans postcolonisés affirment leur acculturation, c’est-à-dire leur dépersonnalisation et leur assimilation de manière aussi étrange qu’un eunuque proclamant fièrement son émasculation. Ils se revendiquent français et même patriotes, bien qu’ils soient la risée de la droite nationaliste française qui ne les considérera jamais comme leurs compatriotes. Ils se pensent inscrits définitivement dans le terroir national, oubliant que certains planifient d’ores et déjà leur expulsion et leur éradication. Finalement, toutes leurs postures transpirent la colonisabilité d’êtres sans racines que les vents de la lutte idéologique savamment soufflés par le colonialisme transportent.

L’« acculturation » assumée n’est qu’un pseudo-concept exprimant la colonisabilité de celui qui la revendique. Elle n’est que l’énième tentative de neutraliser les musulmans en lutte contre une domination occidentale négatrice de leur spiritualité et de leur identité. Évidemment, le salut des musulmans ne saurait se trouver dans les perspectives aliénantes de l’« acculturation ». Il naîtra uniquement d’un retour aux sources du « capital historique » de la civilisation musulmane et de ses luttes libératrices contre la colonisation occidentale.






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