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Points de vue

Egypte : al-Sissi président est-il désormais plus légitime ?

Rédigé par Alain Gabon | Mercredi 11 Juin 2014 à 04:34

           


Egypte : al-Sissi président est-il désormais plus légitime ?
S'il fallait donner une réponse rapide à cette question, elle sera bien évidemment négative. Encore faut-il présenter les raisons qui mènent à cette réponse, ô combien importantes, et exposer le rôle des puissances occidentales dans le soutien à la nouvelle Egypte.

La farce électorale des 27 et 28 mai visant à conférer au régime putschiste de l'ex-chef des armées un semblant de légitimité populaire s'est avéré un échec. Bien qu'élu président à un taux soviétique de 96 %, al-Sissi a bel et bien échoué dans son opération de propagande-plébiscite visant à montrer que la majorité des Egyptiens, le « peuple » était avec lui. Avec une participation à 45 %, on est loin du compte. Et ce d'autant plus que al-Sissi lui-même avait pendant des semaines appelé les Egyptiens à lui donner un adoubement populaire massif, spécifiant qu'il ne voulait pas moins de « 45 millions » de voix. A 21 millions, il n'en obtient même pas la moitié.

Encore faut-il prendre en considération le fait que ces chiffres sont totalement invérifiables et proviennent tous du gouvernement putschiste lui-même. Ce même gouvernement qui, par exemple, lors de la tuerie du 14 août où ils massacrèrent pas moins de 1 000 Egyptiens et en blessèrent encore plus, déclarait officiellement que leurs forces armées n'utilisaient aucune balle réelle, seulement des balles en caoutchouc et des canons à eau. On voit à quel point ce régime est crédible dans le département Vérité.

L'échec de al-Sissi est d'autant plus patent qu'il a passé la majeure partie de ses 11 mois de règne sanglant à réprimer, tuer, ou emprisonner toute opposition véritable, tant islamique que libérale-laïque. Frères Musulmans bannis, opposants sécularistes emprisonnés et eux aussi interdits comme le Mouvement du 6 avril. On en conviendra, rien de tel que d'éliminer la concurrence, y compris physiquement, pour gagner une élection. D'autant plus que son seul rival, Hamdeen Sabbah, un leader sans charisme de la vieille gauche poussive, ne figurait dans cette triste comédie qu'à titre de faire-valoir, un pantin complice de la farce, histoire de pouvoir dire qu'il y avait au moins deux candidats.

Une élection farce jouée d'avance

Ajoutons enfin qu'un jour férié fut exceptionnellement décrété pour maximiser la participation, qu'une flopée d'autocars gratuits fut déployée pour aller chercher les électeurs, que la totalité des médias publics et privés se firent purement et simplement l'organe de propagande d'al-Sissi, présenté comme le Nouveau Messie et Sauveur de l'Egypte contre les vilains « terroristes », et que la commission électorale, devant un taux de participation à seulement 37 % , rajouta à la dernière minute (et en violation de ses propres règles électorales) une troisième journée de vote, prouvant par là qu'elle aidait bel et bien de façon ouvertement partisane le candidat al-Sissi.

Pour faire bonne mesure, les autorités menacèrent même copieusement d'infliger aux abstentionnistes une amende de 500 livres égyptiennes, soit environ 51 euros, une petite fortune pour nombre d'Egyptiens dont près de 30 % vivent maintenant sous le seuil de pauvreté.

Malgré tous ces efforts et les ressources massives désespérément jetées dans cette opération de propagande, le clown-tueur al-Sissi, nouveau Père Ubu aussi grotesque et ridicule que sanglant, n'aura même pas réussi à atteindre le taux de participation des élections de 2012 (presque 52 %), elles légales et légitimes, qui avaient démocratiquement porté Morsi au pouvoir. Loin du plébiscite populaire qu'il demandait comme gage de sa légitimité, et même en utilisant terreur, chantage, intimidation et menace, al-Sissi n'a pas réussi à prouver qu'une majorité d'Egyptiens, aussi infime soit-elle, le soutient.

Sa tentative de légitimer par le vote populaire son coup d'Etat du 3 juillet 2013 ayant tourné au fiasco, et ce d'après les critères qu'il avait lui-même librement choisis, ce régime, issu d'un putsch militaire et de la violence des armes, reste donc tout aussi illégal et illégitime qu'il l'était au soir du 3 juillet, lorsqu'il kidnappa Morsi.

Et l'Occident dans tout cela ?

Prenons-en le pari, rien de cela n'empêchera nos hypocrites gouvernements de normaliser leurs relations avec ce régime despotique et ultra-violent, né dans la force des armes et qui se perpétue par la répression, la persécution, l'emprisonnement de masse et l'assassinat d'opposants par milliers.

Depuis le 3 juillet, il est en effet difficile de dire qui devrait remporter la Palme d'Or du Festival International de l'Abjection Morale, tant les candidats sont nombreux à lutter entre eux et à se stimuler dans l'hypocrisie et la trahison des idéaux de liberté et de droits humains qu'ils professent, tout en n'ayant de cesse de les fouler du pied.

Entre la couardise silencieuse et complice d'une Angela Merkel ou d'un François Hollande devant les massacres à répétition de la brute al-Sissi ou les condamnations à mort de masse, 500 opposants d'un seul coup après des parodies de procès-minute, le cynisme imbécile d'un John Kerry qui félicite benoîtement le général égyptien pour avoir « restauré la démocratie » grâce à son coup d'Etat (déclaration d'autant plus hallucinante qu'il la proféra tout de suite après les deux premiers massacres de masse du 8 et du 27 juillet), le cynisme plus calculé et délibéré d'un Tony Blair qui, dès le début du coup d'Etat, se fit le porte-parole international du Boucher du Caire récitant tel un perroquet tous les alibis bidons utilisés par al-Sissi lui-même, dans cette sordide galerie de traîtres à la démocratie et aux droits de l'homme, on ne sait qui l'emporte.

Et le Grand prix de la couardise revient à...

Mais comme il faut bien départager ces zélés challengers, grands amateurs d'autocrates arabes depuis leurs amis et alliés du Golfe jusqu'au nouveau tyran égyptien, attribuons le Grand Prix au président américain en personne, le grisonnant Obama.

Afin de continuer à envoyer les 1,3 milliards de dollars annuels au régime égyptien au nom d'une real politik de « l'ordre et de la stabilité » qui, partout, de la Palestine à la Syrie, a échoué misérablement, Obama eut recours à une pirouette lexicale : tout simplement, il n'employa jamais le mot « coup d'Etat ». En effet, le dire l'aurait immédiatement contraint à stopper toute aide américaine au régime al-Sissi, en vertu du Foreign Assistance Act,; dont la section 508 force les autorités américaine à « interrompre toute assistance à un pays dont le chef d'Etat légitimement élu (dans ce cas, Morsi) est déposé par un coup d'état militaire ou par décret ». Obligation que le président américain, de surcroît constitutionnaliste de formation diplômé d'Harvard, pouvait difficilement ignorer, d'autant plus que la presse internationale se chargea, en vain, de le lui rappeler.

Or, non seulement Obama poursuivit l'aide américaine à coups de centaines de millions de dollars, mais avec le Pentagone, il tente depuis janvier d'y rajouter la partie militaire, initialement gelée, et ce malgré les multiples tueries d'Egyptiens par les forces armées du général, malgré la féroce répression des opposants de tout bord, malgré les condamnations à mort de masse dont l'Egypte s'est maintenant fait une spécialité.

Comme quoi lorsqu'il s'agit de soutenir des autocrates, despotes, tyrans et assassins de masse dans le monde arabo-musulman (et au-delà), les présidents américains, qu'ils soient républicains comme Bush ou démocrates comme Obama, n'hésitent jamais à piétiner leur propre Constitution et violer les lois qu'ils jurent pourtant formellement, sur la Bible et main sur le cœur, de respecter.

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Alain Gabon, professeur des universités aux États-Unis, dirige le programme de français à Virginia Wesleyan College (université affiliée à l’Église méthodiste de John Wesley), où il est maître de conférences. Il est l’auteur de nombreuses présentations et articles sur la France contemporaine et la culture française.





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