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Société

Déradicalisation, la méthode Dounia Bouzar expliquée (3/3)

Du repenti-miroir et du recruteur de Daesh

Rédigé par | Lundi 17 Octobre 2016 à 11:00

           

Un jeune radicalisé n'est pas un jeune à jamais perdu. Dirigé par Dounia Bouzar, le Centre de prévention des dérives sectaires liées à l'islam (CPDSI) a ouvert ses coulisses à la réalisatrice Marie-Castille Mention Schaar pour « Le Ciel attendra », un film en salles depuis mercredi 5 octobre. A cette occasion, l'anthropologue, auteure de plusieurs livres dont fait dernièrement partie « Ma meilleure amie s'est fait embrigader » (Ed. La Martinière Jeunesse), a accepté de nous parler de sa méthode de déradicalisation à la française.



Dirigé par Dounia Bouzar, le Centre de prévention des dérives sectaires liées à l'islam (CPDSI) a ouvert ses coulisses à la réalisatrice Marie-Castille Mention Schaar pour « Le Ciel attendra », un film en salles depuis mercredi 5 octobre. © CPDSI
Dirigé par Dounia Bouzar, le Centre de prévention des dérives sectaires liées à l'islam (CPDSI) a ouvert ses coulisses à la réalisatrice Marie-Castille Mention Schaar pour « Le Ciel attendra », un film en salles depuis mercredi 5 octobre. © CPDSI

Saphirnews : Le repenti-miroir est essentiel dans votre méthode. Est-il facile d'en trouver ?

Dounia Bouzar : Non, c'est même assez compliqué. Nous nous disputons ceux qui sont disponibles. Les gens qui rentrent, après avoir vu Daesh de près, vont directement en prison quand ils arrivent en France. Parfois, nous faisons appel à des repentis belges quand nous ne trouvons pas de repentis français hors de prison. Actuellement, nous avons quelques anciens d'Al-Qaïda qui se proposent d'aider bénévolement après avoir purgé leurs peines de prison.

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Déradicalisation, la méthode Dounia Bouzar expliquée (1/3)
Déradicalisation, la méthode Dounia Bouzar expliquée (2/3)

Qu'est-ce qui motive ceux-là ?

Dounia Bouzar : Ils disent que le CPDSI est le seul à ne pas condamner les radicalisés, que nous sommes les seuls à leur donner leur chance au lieu de les enfermer dans une assignation de terroristes. Ils adhèrent à notre philosophie et voudraient nous aider.

Comptez-vous les accueillir ?

Dounia Bouzar : Ma première réaction est de vouloir les accueillir. Pour cela, il faut livrer une farouche bataille avec le ministère de l'Intérieur qui a peur pour nous. Comment savoir si un repenti dit vrai ou faux ? Je comprends que l'on se pose la question. Mais, par principe, si je ne peux plus croire qu'une personne peut s'en sortir, alors je n'ai plus de raison d'être ici à la tête du CPDSI. Je ne fais pas le pari qu'une personne qui a été terroriste, il y a cinq ans, vienne me voir aujourd'hui pour me tuer. Si je faisais un tel pari, je ne pourrais plus travailler... Je pense qu'il faut donner sa chance au repenti.

Ceux que vous déradicalisez sont naturellement des repentis-miroirs...

Dounia Bouzar : A mesure que nous déradicalisons dans un département, il s'y constitue un vivier de repentis. C'est un des signes de sortie de la radicalité. Lorsqu'un radicalisé commence à comprendre ce qui lui est arrivé, l'une de ses premières intentions est d'aider les autres. « Je ne veux pas laisser quelqu'un de plus petit que moi tomber dans ce piège de la mort. Je veux faire la chaine de la vie » : c'est une phase récurrente des nouveaux repentis. Ils passent ainsi par une période où ils reviennent donner un coup de main bénévolement. Cela reste compliqué pour ceux qui, et ils sont nombreux, sont sous le coup de contrôles judiciaires.

Ceux-là ne peuvent pas vraiment aider…

Dounia Bouzar : Ils le peuvent mais cela reste compliqué. Car il nous faut trouver une bonne raison pour amener le radicalisé et sa famille dans le département du repenti sous contrôle judiciaire (au stade du guet-apens, ndlr). Parfois, nous faisons une demande de dérogation auprès du juge au motif que le repenti va aider à déradicaliser un « plus petit ». Les juges antiterroristes sont compréhensifs. En général, ils sont disposés à lever le contrôle judiciaire pour une journée. Ils savent qu'aider les autres à s'en sortir fait partie de la rémission ; le repenti comprend mieux ce qui lui est arrivé lorsqu'on le met en position de celui qui explique à un autre.

De votre expérience, qu'est-ce qui est le plus difficile pour un jeune déradicalisé ?

Dounia Bouzar : Le plus difficile pour ces jeunes n'est pas le désembrigadement idéologique. Là où ils ont le plus de mal, c'est le désembrigadement relationnel. Pour les ados qu'ils sont, ces moins de 20 ans, il est très difficile de quitter un groupe où ils se sont sentis valorisés, un groupe avec lequel ils ont expérimenté un état de fusion. On ne peut pas l'ignorer.

Qu'est-ce que cela montre ?

Dounia Bouzar : Cela montre, si besoin, que les jeunes d'aujourd'hui se sentent seuls, qu'ils ont besoin d'un groupe. Leur solitude est grande lorsqu'on les coupe de leurs tribus-Internet qui, en vérité, sont nos premières ennemies. D'un côté, on enlève son téléphone au jeune pour le couper des recruteurs. De l'autre, ce jeune est rejeté par ses anciens amis qu'il a méprisés lorsqu'il était radicalisé. Autour de lui, les gens savent qu'il a été arrêté à la frontière en partance pour la Syrie : il est donc perçu comme « terroriste ». De tous les côtés, il est en difficulté.

Déradicalisation, la méthode Dounia Bouzar expliquée (3/3)

Ces tribus-Internet ne se sont jamais vues ?

Dounia Bouzar : De visu, non ! Ce qui n'enlève rien au sentiment de fusion qu'ils ressentent. Après déradicalisation, certains jeunes sont capables de faire une dissertation bien argumentée pour expliquer comment Daesh s'est servi de leur faiblesse. Mais, pourtant, il leur arrive de se reconnecter pour retrouver leur tribu numérique. Dans ces cas-là, ils disent tous la même chose : « C'est plus fort que moi », « De toute façon je n'y retournerai jamais ; je sais qu'ils sont des terroristes. Mais j'avais juste besoin de reparler avec les frères et les sœurs. J'en avais trop besoin... » Pour moi, ces réseaux en ligne sont nos premiers adversaires. En un an et demi, j'ai étudié plus de 1 040 cas de jeunes ; ils sont tous passés par Internet, à un moment ou à un autre...

On n'imagine pas une interdiction d'Internet !

Dounia Bouzar : Je le comprends, mais cela vaudrait le coup de lancer un CPDSI virtuel, c'est-à-dire de trouver le moyen de créer un espace où, 24 heures sur 24, un jeune peut venir parler de façon intime. Etablir ainsi un sas Internet de déradicalisation. C'est une idée à creuser. Mais elle nécessite que l'on soit disponible ou que l'on y mette les moyens. Mais, pour nous, s'il n'y avait pas cet embrigadement relationnel à travers Internet, nous pourrions déradicaliser un jeune en quelques jours.

Que peut-on faire contre cela ?

Dounia Bouzar : Je pense qu'il faut chouchouter les jeunes, les cooconer, les valoriser constamment. C'est d'ailleurs ce que nous faisons. Mais quand ils retournent à l'école ou qu’ils cherchent du travail, ils sont vus comme des terroristes. Ceux qui cherchent du travail n'en trouvent pas parce qu'ils sont encore vus comme des terroristes. C'est un vrai problème pour nous. J'en ai au moins une bonne dizaine dans ce cas actuellement. Mais, bientôt, ils seront quelques centaines...

Comment un patron sait-il qu'un jeune a été radicalisé ?

Dounia Bouzar : Lorsqu'un jeune est sous contrôle judiciaire, le patron le sait forcément. Puis vous avez les jeunes à qui on a retiré les papiers d'identité pour leur donner un récépissé, un document administratif que les patrons commencent à connaitre et qui veut dire « Je viens de Daesh ». Vous avez aussi ceux qui ont leur nom dans la presse. Les médias turcs ont la fâcheuse habitude de vendre les noms des jeunes qui passent par les centres de détention en Turquie. Les journaux français qui ont perdu l'usage des enquêtes de terrain se contentent d'acheter ces listes de noms. C'est ainsi qu'on retrouve des noms de nos jeunes sur Internet à côté de propos complètement mensongers ! Hélas, le mal est fait. Ces jeunes ne peuvent plus trouver de travail...

Même quand ils sortent de la radicalité ?

Dounia Bouzar : Bien sûr ! C'est un vrai problème que nous rencontrons et je ne vois pas comment cela peut s'arrêter, à moins d'une prise de conscience de l'ensemble de la société. Pour une famille de classe moyenne, le jeune déradicalisé peut profiter de la solidarité familiale et vivre au crochet de sa famille. Mais lorsqu'il s'agit d'une famille de la classe populaire dont les parents sont eux-mêmes au chômage, que peut faire un tel jeune ?

Venons-en aux recruteurs de Daesh. Qui sont-ils ?

Dounia Bouzar : C'est un vaste réseau de gens disséminés à travers le monde. Vous avez les professionnels engagés et payés par Daesh. Ceux-là sont dans tous les pays. Parmi eux, beaucoup ne peuvent pas faire la guerre pour raisons de santé ou de handicap. Certains recruteurs sont des gens convaincus qui font ce travail bénévolement, par conviction. Ceux-là croient au califat et il faut croire qu'ils n'ont rien de mieux à faire dans leur vie. Vous avez aussi les jeunes daeshisés convaincus qui, sans le faire exprès, mènent cette propagande à l'intérieur de réseaux sociaux. Ce sont des embrigadés qui deviennent ainsi des recruteurs !

Même s'ils n'ont jamais été sur zone ?

Dounia Bouzar : Ils n'en ont pas besoin ! Il faut savoir que tout jeune qui pense détenir la vérité va d'abord essayer de « sauver » son meilleur ami du monde des « endormis » avant de se mettre en rupture avec lui. Quand nous réunissons une cinquantaine de nouveaux parents dont les enfants ont été embrigadés, ils s'aperçoivent qu'ils ont déjà porté plainte les uns contre les autres. Car une telle a embrigadé une « plus petite » qui en a embrigadé un « plus petit », etc. Les parents s'en aperçoivent en cours de séance ! Chacun est coupable et victime à la fois.



Diplômé d'histoire et anthropologie, Amara Bamba est enseignant de mathématiques. Passionné de... En savoir plus sur cet auteur



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