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Points de vue

De Boko Haram en général à l’éducation des filles en particulier

Rédigé par Karima Mondon | Mardi 20 Mai 2014 à 06:00

           


Je rentre du Bénin, pays voisin du Nigeria. Là­-bas, le rapt de plus de 200 jeunes filles par Boko Haram résonne avec une acuité bien plus forte qu’ici. Là-­bas, toutes les communautés se soutiennent dans cette douloureuse épreuve.

Je ne reviendrai pas sur les questions suivantes : les musulmans doivent-­ils condamner cet acte ? Doit­on considérer ce mouvement comme musulman ? Ce sont des non-questions : le croyant doit combattre l’injustice là où il la trouve, le statut du cœur des personnes ne dépend pas de moi.

En revanche, ce qui m’interpelle dans cette folie, c’est le choix par ces mercenaires d’un champ particulier pour donner du poids à leurs actions : l’éducation en général et celle des filles en particulier.

L’éducation a toujours été un champ de bataille idéologique. Que l’on repense aux hussards noirs de la République, proclamés par Jules Ferry ou à l’école du capital que l’on observe depuis 30 ans.

L’éducation est la clef de la construction sociale. Difficile donc de passer à côté...

Enlever des jeunes filles sur l’un des symboles de l’éducation, c’est­à­dire l’école, c’est situer la lutte sur un plan idéologique bien précis, c’est renvoyer ces filles à leur identité biologique et les sortir de la sphère sociale. Dénier le droit de s’éduquer à ces filles, c’est leur signifier qu’elles ne sont pas appelées à jouer un rôle d’actant social mais à assurer la pérennité d’un système patriarcal.

Cette réification à la fois symbolique et réelle (menace de réduire en esclavage ces jeunes filles) n’est pas anodine et forme, de mon point de vue, l’expression paroxystique de la déconsidération des femmes.

L’éducation est ce qui nous prépare à la vie sociale, à l’entrée dans la culture, non pas la culture humaniste mais la culture humaine. Lorsque que l’on restreint l’accès à l’éducation pour une catégorie de personnes, on met en place une cassure sociale, on organise la différenciation et le rejet. Nous indiquons aux êtres ainsi privés de ce droit humain fondamental qu’ils n’appartiennent plus vraiment à la lignée des hommes. Nous leur refusons cette inscription dans l’histoire humaine, indispensable à l’émergence du sujet.

Renier aux femmes le droit d’être des êtres humains à part entière, rien de neuf sous le soleil en somme. À bien y regarder, cet acte infamant posé par Boko Haram ne fait que perpétrer, sous une forme hideuse, une logique partout à l’œuvre : la réification des femmes.

Partout où se pose notre regard, nous devons admettre que l’idée que la femme est un homme comme les autres n’est pas acquise. Ces jeunes filles enlevées par Boko Haram sont une allégorie des souffrances féminines à travers le monde. Se battre pour se voir offrir les mêmes capabilités, défendre sa dignité, tel est le lot commun de beaucoup de mes sœurs. Bring back ours girls, rendez­ nous toutes nos filles, toutes celles que l’oppression maintient dans la servitude et la terreur.

Pour s’opposer à l’oppression, l’éducation est le chemin, la voie. Malheureusement, il est souvent rendu difficile pour les plus fragiles. Cet enjeu de pouvoir majeur est parfois utilisé comme une arme de chantage et pas seulement dans le nord du Nigeria.

Il y a 10 ans, en France, berceau des droits de l’homme, les gouvernants ont voté une loi sous forme de chantage, visant précisément des filles. En France, l’école est gratuite, publique et laïque mais vous n’y accéderez que si vous acceptez de vous vêtir comme nous le jugeons conformes à nos souhaits. N’est­ce pas là une forme de pression qui ne devrait même pas exister dans une démocratie, si ce mot a encore un sens ?

Loin de moi l’idée de comparer les souffrances pour les hiérarchiser. Il s’agit juste de comprendre comment la non-reconnaissance de l’altérité conduit à des errements qui se font le plus souvent sur le dos des plus fragiles. Il faut pouvoir regarder la barbarie humaine et analyser nos pratiques à l’aune de cette barbarie. Ne suis­-je pas moi­-même barbare dans mes actions ? Puis-­je dire que j’agis en considérant le respect de l’humain ? Mes actions concourent-­elles à l’équilibre du monde ?

Ce sont toutes ces questions que nous devrions nous poser lorsque des limbes de l’information surgit pareille catastrophe. À chaque fois que l’esprit humain produit le pire, nous avons la chance de saisir un pan de notre psyché humaine, nous avons la chance de nous saisir de ce miroir tendu et de voir quelle est notre humanité. Nous ne sommes pas ces familles du Nigeria qui veillent, jour et nuit, en espérant revoir leurs filles. Nous pouvons œuvrer, lutter et les accompagner mais nous n’éprouverons jamais leur peine.

Nous avons, en revanche, le devoir d’observer nos sociétés et de nous assurer que les possibilités de ces actes n’existent pas et que, si elles existent, nous devons résister et œuvrer à leur disparition. Tant que nos sociétés ne traiteront pas d’égale à égale toutes les femmes, ces possibilités existent.

Il nous faut donc lutter avec toutes nos forces pour ne pas se laisser imposer une vision injuste du monde.

Il est illusoire de vouloir combattre le Mal, par-delà nos frontières, lorsque les possibilités du Mal existe déjà chez nous. C’est l’histoire de la poutre et de la paille, en somme. Au-delà du caractère spectaculaire de l’action de Boko Haram, il nous faut voir les mécanismes à l’œuvre, car c’est en les analysant que l’on peut s’en prémunir. J’utilise spectaculaire à dessein car il s’agit bien d’un coup d’éclat, censé attirer l’attention du monde. Quelle réussite et quel échec pour notre ère de la prétendue information !

Éduquer, c’est libérer. Résister, c’est créer. Entrons dans la résistance !

Karima Mondon est enseignante et présidente de l’association Éducation en héritage.






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