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Points de vue

1914-1918 : morts pour la France, « puissance musulmane »

Rédigé par Malika Guerbi | Lundi 11 Novembre 2013 à 00:40

           


Tirailleurs algériens blessés pendant la Première Guerre mondiale et évacués par des autobus parisiens transformés en ambulances militaires.
Tirailleurs algériens blessés pendant la Première Guerre mondiale et évacués par des autobus parisiens transformés en ambulances militaires.
Guerre totale, guerre mondiale, la Première Guerre mondiale dont nous allons célébrer le centenaire dès 2014 et ce, jusqu’en 2018, a mobilisé plusieurs pays et l’ensemble des populations.

Bien que, dans l’esprit des deux parties, la guerre ne devait durer que 15 jours et se solder par une victoire sur l’ennemi, le conflit s’enlise. Aux beaux jours succède l’hiver. Le front se stabilise dès 1915 et naissent les tranchées pour permettre aux soldats de s’abriter. Devant l’intensité des combats, les soldats n’ont plus le temps de se raser : ils deviennent des Poilus. Ils vivent alors dans des conditions extrêmes : la boue, le froid, les rats qui prolifèrent, la puanteur des cadavres que l’on a enterrés mais que la terre rejette lors des bombardements.

Mais pourquoi s’intéresser à ce conflit vieux d’un siècle, qui semble si loin et qui nous fait entrer brutalement dans la modernité et le XXe siècle ? Et pourtant...

La France, « première puissance musulmane »

En ce temps-là, la France se vantait d’être « la première puissance musulmane » en enrôlant massivement dans ses colonies : on compte 180 000 Algériens, 60 000 Tunisiens, 37 000 Marocains, 134 000 Noirs Africains, 430 00 Indochinois, 34000 Malgaches. En Algérie par exemple, c’est par tirage au sort que l’on devenait conscrits.

Et, sur le front, l’État français fait tout pour améliorer le moral des troupes : des mosquées en kit pour célébrer les prières mortuaires ou la prière, livraison de moutons pour l’Aïd el-Kébir. Mais, paradoxalement, pas de permissions comme celles des Français. Celles-ci ont lieu dans des camps contrôlées par l’armée.

Sujets français morts pour la France

Souvent le regard que l’on porte sur les trajectoires familiales est faussé : ce n’est pas le père qui est venu le premier en France pendant les Trente Glorieuses pour donner une vie meilleure à sa famille, y sacrifiant sa jeunesse et sa force de travail.

Pour ma part, il s’agit d’un autre ancêtre, né en 1893, qui est mort à quelques kilomètres de Compiègne, à Tracy-le-Mont, faisant partie du 2e régiment de tirailleurs algériens.

C’était un autre temps, sujet français, il résidait en Algérie, alors départements français. Il est mort pour la France, alors qu’il n’était encore ni Français ni tout à fait Algérien, juste un sujet.

Quelle a été sa trajectoire jusqu’à Tracy-le-Mont ? Quelles sont les circonstances de sa mort au poste de secours La Pensée du hameau de Berneval sans doute ? Et ceci, coup de théâtre du destin, à quelques kilomètres de chez moi, à une heure en voiture !

D’autres soldats de son régiment sont morts, eux enterrés vivants en 1915 lors d’un bombardement ; et la butte des zouaves rappelle pour celui qui s’y intéresse ce moment tragique. Mon ancêtre avait 21 ans et il est mort le 1er novembre 1914. Quarante ans jour pour jour avant la Toussaint Rouge, début d’une autre Histoire.

Invoquer Dieu ensemble au plus fort de la guerre

Si les lettres de Poilus sont nombreuses et rendent compte de conditions de vie extrêmes pendant le conflit, il n’y a aucune littérature du côté des troupes coloniales et on ne sait rien de leur ressenti. Pourtant le choc a dû être brutal ! Quel était l’état d’esprit de cet homme ? Ses pensées ? Quel rapport entretenait-il avec la France ?

Sur le plan culturel, la France métropolitaine n’est pas la France coloniale. Sur le plan climatique, c’est la découverte du froid et de ses conséquences. Sur le plan humain, d’autres relations naissent au front entre les Français et les indigènes.

Ainsi, dans sa traduction du Saint Coran, Salah ed-dine Kechrid (qui met de nombreuses et précieuses annotations pour commenter le texte coranique), pour expliquer le sens du verset 2 de la sourate Al-Hijr, rapporte que les anciens combattants tunisiens de la guerre de 1914 racontaient qu’au plus fort de la bataille de Verdun, alors que les obus pleuvaient dans les tranchées, les soldats tunisiens invoquaient à haute voix pour demander à Dieu de les épargner d’une mort certaine. Leurs camarades français leur demandaient de leur apprendre ces prières et ces invocations, et ils les répétaient avec eux sans même les comprendre.

Un destin commun

Le Service général des armées du ministère de la Défense a fait un travail important de numérisation de ses archives et, du coup, il permet à chacun d’entre nous d’en savoir un peu plus*.

L’Histoire nous apprend toujours des choses sur nous-mêmes et elle oriente notre rapport à la géographie. Il est important de s’intéresser à son histoire, de se la réapproprier et de faire également son travail de transmission. Nous avons toujours eu un destin commun. En ces temps troubles où les discours sont péjoratifs et indécents, il est bon d’éduquer en ce sens.

* Sur le site SGA mémoires des hommes, en tapant votre patronyme, vous pouvez rechercher si vous avez un ancêtre qui est mort pour la France, sachant que tous les hommes n’ont pas toujours été recensés.

Malika Guerbi, professeure d’Histoire et d’éducation civique.





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