Société

Un buste pour Elie Wiesel le survivant !

Rédigé par | Vendredi 16 Juin 2023 à 20:40

En ce mardi 6 juin dernier, une soixantaine de personnes ont répondu à l’invitation de l'Espace culturel et universitaire juif d'Europe (ECUJE) pour venir assister dans le 10e arrondissement de Paris à l’inauguration du buste d’Elie Wiesel, en présence du ministre de l’Éducation Nationale et de la Jeunesse, Pap Ndiaye.



« Regardez, nos amis juifs sont ici très divers, on y trouve les orthodoxes très conservateurs et les libéraux mais voilà, ils se respectent eux ! Il y a de la place pour tout le monde. Il faudrait que les musulmans fassent de même », souffle à Saphirnews l’imam Hassan Chalghoumi, le seul dignitaire musulman présent à la cérémonie. Un propos qui entre en résonnance avec les prises de parole successives illustrant la diversité du judaïsme français.

Yves Rouas, président de l'Institut français dédié à la civilisation du judaïsme portant le nom d'Elie Wiesel, rappelle le rôle essentiel de ce dernier en tant que conscience juive pour l'humanité. Il souligne comment Elie Wiesel identifiait, dans chaque acte de violence et chaque crime de guerre, le visage de ses frères et sœurs juifs assassinés pendant la Shoah.

Dans une confidence empreinte d'émotion, Serge Klarsfeld, dont le père fut interné à Drancy avant d'être déporté et de mourir à Auschwitz, se souvient : « Elie Wiesel et moi étions amis. Nous sommes tous deux nés roumains, lui d'une famille profondément orthodoxe et pratiquante tandis que moi d'une famille où la religion ne jouait pas de rôle. »

« Elie était pour moi le survivant. Pas seulement celui qui avait réussi à survivre. Il y en avait d'autres autour de moi. Mais surtout celui qui le premier avait réussi à faire entendre sa voix et à faire comprendre par la puissance de son récit ce qu'avait été le génocide des Juifs. Je lui en étais reconnaissant. Et tous les Juifs lui en étaient reconnaissants », confie-t-il.

Le président de l'association Fils et filles de déportés juifs de France, qui a offert le buste réalisé par Denis Chetboune, évoque avec émotion le décès d'Elie Wiesel en 2016, soulignant que bientôt plus personne n'aura connu et aimé une victime de la Shoah. Il exprime sa fierté que le ministre de l'Éducation nationale ait accepté de dévoiler le buste, en soulignant le lien d'Elie Wiesel avec la France et la culture française.

L’indifférence un fléau pire que la haine

« C’est toujours compliqué de prendre la parole après une telle personnalité dotée d’une voix semblable aux prophètes de la Bible », reconnait avec un léger sourire Haïm Korsia, le Grand rabbin de France.

Il invite l’assistance à rendre hommage à l'ECUJE car, pour lui, l’institution a su « garder non seulement la mémoire d'Elie Wiesel mais aussi son esprit, son souffle ».

« Wiesel, c'est deux choses pour moi. C'est tout d'abord celui qui a dit que l'opposé de l'amour n'est pas la haine mais l'indifférence. D'ailleurs, Élie Buzyn me disait la même chose quand nous nous rendions à Auschwitz, c'est l'indifférence que nous percevions... Et nous, quand nous manifestions seuls dans les rues, sans nos concitoyens, nous ne nous sentions pas seuls ? Il faut alerter les sociétés modernes. Attention, ne sombrez pas dans l'indifférence ! », met-il en garde.

« La seconde parole est certainement la signature de toute sa vie. Vivre une expérience et ne pas la transmettre, c'est la trahir. Oui, c'est peut-être plus facile lorsque l'on vit des catastrophes, des traumatismes, de se couper de son passé, de ne plus en parler, de laisser couler, de laisser partir les horreurs et les souvenirs de ces cataclysmes. Lui a fait le choix de considérer que s'il ne transmettait pas cela alors il risquait de trahir la promesse induite envers toutes les victimes qui sont mortes parce que tous les témoins ont introduit un biais incroyablement terrifiant ! C'est qu'ils ne parlent qu'au nom des survivants ! Parce que par nature, aucune victime morte ne peut parler », souligne-t-il.

Le Grand rabbin, faisant référence au prophète Elie, interroge : « Veilleur, qu'en est-il de la nuit ? » Avant de répondre : « Notre société a besoin de veilleurs ! »

Ne pouvoir oublier même si condamné à vivre aussi longtemps que Dieu Lui-même

Le ministre de l’Éducation Nationale, Pap Ndiaye, prend enfin la parole en ces termes : « Dans la Genèse, chapitre 1, verset 5, on peut lire : Dieu appela la lumière jour, Dieu appela les ténèbres nuit. Il y eut un soir, il y eut un matin. Ce fut le premier jour. Cette séparation des ténèbres et de la lumière qui préside au commencement du monde, d’après la genèse, c’est cette possibilité de nous distinguer, c’est précisément ce qui a occupé la vie d’Elie Wiesel. »

Il poursuit en citant le passage le plus célèbre du premier livre d'Elie Wiesel : « Jamais je n'oublierai cette nuit, la première nuit de camp, qui a fait de ma vie une nuit longue et sept fois verrouillée. Jamais je n'oublierai cette fumée. Jamais je n'oublierai les petits visages des enfants dont j'avais vu les corps se transformer en volutes sous un azur muet (...). Jamais je n'oublierai cela, même si j'étais condamné à vivre aussi longtemps que Dieu lui-même. Jamais. »

Au moment de dévoiler le buste, le ministre évoque le surgissement de la liberté tel que relaté par le prix Nobel de la paix : « Cette vision de la liberté est celle d'un visage d'un soldat noir américain qui se penche vers lui avec les larmes aux yeux sur ce corps qui se meurt. »

Elie Wiesel, l'homme qui a consacré sa vie entière à empêcher la Shoah de sombrer dans l'oubli, et qui n'a pas hésité à pointer du doigt la responsabilité des dirigeants politiques de l'époque, tels que Roosevelt et Churchill, qui connaissaient le sort des Juifs déportés dès 1942, ne tombera pas dans l'oubli. Prix Nobel de la paix, il a su mettre des mots sur l'indicible et réunir les Juifs au-delà de leurs différences, les réconciliant ainsi avec le monde.


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