Ma foi, le droit et moi

Un Noël pour tous

Rédigé par | Lundi 20 Décembre 2010 à 20:09



Vous êtes animateur au sein d’une maison des jeunes, chargé de l’organisation du buffet de la fête de Noël pour tous les habitants du quartier.

L’objectif est de renforcer la cohésion sociale du quartier, en faisant en sorte que tous les habitants se rencontrent autour de ce repas de fête. Pour n’exclure personne, vous innovez en rajoutant du foie gras halal et casher à votre commande habituelle.

Cependant, les problèmes commencent : plusieurs adolescents, très impliqués dans la vie du quartier, déclarent qu’ils ne participeront plus à la fête de Noël tant qu’un repas n’est pas organisé pour l’Aïd : égalité des cultes oblige ! Max, également très actif dans le quartier, veut obtenir la garantie qu’aucune viande halal ne lui sera servie : il exige que sa liberté de conscience de non-croyant soit respectée.

QUE DIT LA LOI ?

Pour sortir de la longue histoire des persécutions religieuses, pour abolir le temps où « les sujets du roi » devaient embrasser « la religion du roi », l’article 1 de la loi du 9 décembre 1905 énonce que la République « assure la liberté de conscience et garantit le libre exercice des cultes », sauf entrave à l’ordre public.

Assurer la liberté de conscience, c’est permettre aux citoyens de croire, de ne pas croire, de croire en ce qu’ils veulent. La laïcité est un système juridique instauré pour que les Français puissent tous ensemble avoir un destin commun, avec leurs identités multiples, variées, qui peuvent d’ailleurs évoluer. La laïcité est instituée aussi pour qu’il n’y ait plus jamais de morale unique.

On peut donc être croyant et laïc, si on n’impose pas sa vision du monde aux autres. Mais on peut également être athée et non laïc, si on estime que l’athéisme est la seule façon d’être « évolué ».

MISE EN SITUATION

Rien n’interdit à une maison de jeunes ou à un centre social d’organiser une fête dont la racine est religieuse. Le fait d’être « laïc » ne signifie pas d’être « antireligieux », d’autant que l’on peut en profiter pour en parler de manière historique et non pas sur le registre des croyances, afin de construire une culture partagée.

Noël ou l’Aïd peuvent être l’occasion d’une fête au centre social, à condition de créer un moment d’échanges collectifs autour de valeurs communes.

ÉLÉMENTS DU DÉBAT

Ce type de festivité doit suivre quelques principes fondamentaux :
– aucune segmentation ne doit être pratiquée : tous les habitants sont invités à y participer, quelles que soient leurs croyances ou leurs non-croyances ;
– aucun prosélytisme n’est déployé : la crèche n’est pas reproduite, il n’y a ni chants religieux, ni cérémonies religieuses, ni discours religieux ;
– les professionnels doivent maintenir une posture neutre, sans afficher leur croyance personnelle.

Sur la question de l’alimentation, il s’agit donc d’appliquer la philosophie de la loi de 1905 et de montrer qu’aucune vision du monde n’est supérieure à une autre. Dans la gestion de la nourriture, cela peut se traduire ainsi : la liberté de conscience de l’un s’arrête où commence celle de l’autre et ne doit pas le séparer de l’autre. Ce qui revient à proscrire le « tout-halal » le « tout-casher » ou le « tout-porc ».

QUE FAIRE ?

Vous tenez à atteindre votre objectif pédagogique de ce repas de fin d’année, qui consiste à rassembler les habitants pour « faire du lien ». Il s’agit de « manger ensemble », quelles que soient les convictions des uns et des autres.

Quelques mois auparavant, le groupe d’adolescents (qui refuse de venir au dîner) avait demandé aux animateurs l’autorisation d’organiser une fête à l’occasion de la fin du ramadan pour tous les musulmans et la réponse avait été négative. Ils réclamaient le droit de fêter l’Aïd entre musulmans comme les chrétiens fêtent Noël.
Il y a eu un conflit d’équipe : une partie de vos collègues considéraient qu’on ne peut comparer Noël et l’Aïd, du fait que, pour eux, Noël n’est plus une fête religieuse mais est une simple tradition française… Ils ont estimé que le sapin était non pas un signe religieux, mais une tradition païenne. Ils ont donc refusé de fêter l’Aïd, qu’ils considéraient comme exclusivement religieux…

Vous pouvez donc aider ces jeunes à faire la « bonne demande » : au lieu d’organiser un « Aïd pour les musulmans », ils peuvent proposer un « Aïd ouvert à tous », de façon à ce que celui-ci puisse être investi comme une fête culturelle. Ainsi, l’« Aïd pour tous » (1) deviendra une fête culturelle partagée, comme le « Noël pour tous ».

En revanche, un Yom Kippour réservé aux juifs, un Aïd réservé aux musulmans ou un Noël réservé aux chrétiens relèveraient d’une gestion communautariste, incompatible avec les valeurs de la maison de jeunes et, notamment, avec son objectif pédagogique de mélange et du vivre-ensemble.

Ensuite, pour préparer ce fameux repas de Noël, vous maintenez votre décision et décidez de mettre à disposition des habitants une réelle diversité alimentaire sur les mêmes tables : foie gras habituel, foie gras halal et casher le cas échéant, porc, jus de fruit, alcools…, et vous commandez des « plats communs », réalisés à partir de poisson ou d’œufs, qui peuvent être partagés par tous.

Cela revient à garantir une diversité alimentaire de façon que ceux qui mangent de la viande halal se mélangent avec ceux qui préfèrent du porc et inversement. Cela transmet également le principe selon lequel aucune vision du monde ne s’impose comme supérieure, puisque toutes les références sont respectées, mais chacun doit accepter celle de l’autre.

Enfin et surtout, vous demandez à vos animateurs de réagir fortement si :
– Alain traite Karim ou David de « pas civilisé » parce qu’il pratique sa religion et que « quand même, il devrait en finir avec tout ça »… ;
– si Karim traite Alain de « gros cochon » parce qu’il mange du porc… ;
– si Pierre veut absolument faire boire Ahmed pour « montrer qu’il est un homme »… ;
– si Ahmed traite Kader de « mécréant » lorsqu’il se gave de charcuterie corse dont il raffole… ;
– si Alain traite Noémie d’« endoctrinée » parce qu’elle déclare s’être convertie… ;
– si Noémie traite l’assiette d’Alain d’« impure »

Bonnes fêtes à tous !


Note
(1) Cela se passe ainsi à Marseille, où tous les Marseillais fêtent l’Aïd, quelles que soient leurs convictions, de manière cultuelle pour les uns et de manière culturelle pour les autres. « L’Aïd dans la cité  » est ainsi organisé depuis de nombreuses années par l’Union des familles musulmanes (UFM).


Dounia Bouzar, anthropologue du fait religieux, est directrice scientifique du Cabinet… En savoir plus sur cet auteur