Points de vue

Rangez cette barbe que je ne saurais voir : l'étrange décision de la Cour d’appel de Versailles

Rédigé par | Vendredi 29 Décembre 2017 à 15:00

Une barbe « imposante » peut constituer, pour celui qui le porte, un manquement « à ses obligations au regard du respect de la laïcité et du principe de neutralité du service public », quand bien même le port de la barbe n’est accompagné « d'aucun acte de prosélytisme ni d'observations des usagers du service », selon la Cour administrative d'appel de Versailles (Yvelines). L'avocat Asif Arif analyse cette décision dont « l’erreur de droit semble se dresser à l’horizon si une saisine du Conseil d’Etat est confirmée ».



Une étrange décision de la Cour administrative d’appel de Versailles laisse la communauté des juristes pantois. Amenée à statuer sur la résiliation d’une convention de stage d’un étudiant en médecine en raison de sa barbe, la Cour décide en effet que la barbe, si elle n’est pas par principe un signe ostentatoire, peut devenir une entorse au principe de laïcité lorsqu’elle est imposante et qu’elle n’est pas régulièrement taillée :

« Considérant que le port d'une barbe, même longue, ne saurait à lui seul constituer un signe d'appartenance religieuse en dehors d'éléments justifiant qu'il représente effectivement, dans les circonstances propres à l'espèce, la manifestation d'une revendication ou d'une appartenance religieuse ; qu'en l'espèce, la direction du centre hospitalier, après avoir indiqué à M. A. que sa barbe, très imposante, était perçue par les membres du personnel comme un signe d'appartenance religieuse et que l'environnement multiculturel de l'établissement rendait l'application des principes de neutralité et de laïcité du service public d'autant plus importante, lui a demandé de tailler sa barbe afin qu'elle ne soit plus de nature à manifester, de façon ostentatoire, une appartenance religieuse. »

Un raisonnement farfelu et inédit de la Cour

Il faut ici rappeler quelques notions essentielles. Il semble que la Cour administrative d’appel ne tire pas les conclusions de ses propres constatations. Elle estime en effet que la barbe ne constitue pas en elle-même un signe religieux ostentatoire et qu’elle doit être accompagnée d’éléments supplémentaires pour faire l’objet d’une interdiction. Qu’en l’occurrence, en pratique, souvent les éléments supplémentaires sont les pressions exercées sur les autres membres du personnel du fait de sa religion.

Or, la Cour administrative d’appel reconnait elle-même que ce n’est pas celui qui portait la barbe qui faisait un quelconque prosélytisme : il se contentait de demander à ce qu’on respecte sa vie privée. En revanche, le zèle de certains membres de l’administration les poussait à demander au directeur de l’hôpital de traiter le cas de sa barbe.

Par un raisonnement farfelu et inédit, la Cour administrative d’appel inverse d’abord la charge de la preuve en sollicitant du médecin portant la barbe des éléments qui justifient qu’elle n’était pas ostentatoire alors que ce sont les autres membres du personnel qui l’accusent. Mais encore plus inédit, la Cour administrative d’appel reconnaît que ce dernier était irréprochable :

« Que, dans ces conditions, il doit être regardé comme ayant manqué à ses obligations au regard du respect de la laïcité et du principe de neutralité du service public, alors même que le port de sa barbe ne s'est accompagné d'aucun acte de prosélytisme ni d'observations des usagers du service. »

Une décision qui entérine l’intolérance de collègues du médecin

Il faut le dire, l’erreur de droit semble se dresser à l’horizon si une saisine du Conseil d’Etat est confirmée. En effet, si la barbe à elle seule n’est pas un signe religieux ostentatoire et que l’intéressé n’a jamais fait d’acte de prosélytisme ou d’observations de la part des usagers du service public, comment peut-on justifier cette interdiction qui se traduit davantage par l’intolérance de certains collègues plutôt que sur les actes du médecin ?

Rappelons que, en tant que représentant le service public hospitalier, le médecin portant la barbe ne doit pas manifester ses croyances religieuses : cela passe par l’impossibilité pour ce dernier de refuser de soigner une femme, ou encore l’interdiction pour ce dernier de porter un signe ostentatoire. Mais, dans les faits qui gouvernent cette affaire, rien ne semble venir alimenter une telle solution.

En réalité, la décision ne fait qu’entériner la mauvaise foi et l’intolérance de certains des collègues de ce médecin qui a simplement demandé à exercer son métier tranquillement. Il faut savoir désormais ce que nous souhaitons comme modèle de société ? Car on interdit aujourd’hui tout au nom de la laïcité. Dans certains cas, c’est justifié, mais il semble que, dans celui-ci, non seulement la Cour administrative d’appel a fait preuve d’une médiocrité dans l’analyse juridique de la situation mais également d’une décision contradictoire et insensée.

Il faut donc attendre patiemment l’issue d’un pourvoi en cassation.

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Asif Arif est Avocat au Barreau de Paris auteur et conférencier spécialiste de la laïcité. Il a écrit Outils pour maîtriser la laïcité, publié aux éditions La Boîte à Pandore.

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Asif Arif est avocat au Barreau de Paris, auteur de plusieurs ouvrages sur l’islam, le terrorisme… En savoir plus sur cet auteur