Religions

Quel état des lieux dresser de l'expression et de la visibilité religieuses dans l’espace public en France ?

Rédigé par Lina Farelli | Mercredi 4 Septembre 2019 à 12:30

Peut-on parler d’un réel regain du religieux dans l’espace public français ? A partir de réflexions universitaires, l’Observatoire de la laïcité fait le point sur cette idée reçue dans une étude sur l’expression et la visibilité religieuses en France, pays qui compte l’une des plus fortes proportions d’athées dans le monde. Eclairage.



L’Observatoire de la laïcité a rendu public, en pleine période estivale, les résultats de son étude sur la visibilité et l’expression religieuses dans l’espace public en France. Conscient de la récurrence de ce débat sur la sphère publique, l’instance s’est autosaisie fin mai 2018 pour mener une étude fondée « sur 10 auditions répartie sur le troisième semestre de 2018 et le premier semestre de 2019 ».

« Le regain du religieux apparaît davantage le fait d’une visibilité publique et d’une pratique accrues chez certains croyants que celui d’une multiplication des fidèles se déclarant appartenir à une religion donnée », souligne l’étude.

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Des causes variées à l’augmentation de la visibilité religieuse

En se basant sur des réflexions universitaires, l’Observatoire de la laïcité souligne que « si l’augmentation de la visibilité et de l’expression religieuses ne concerne en réalité que certains croyants de toutes les religions (en particulier de l’islam pour la visibilité, et du protestantisme évangélique pour la pratique et le prosélytisme), elles donnent une impression plus générale de regain du religieux ». Or, poursuit-il, « les études quantitatives confirment au contraire, encore ces dernières années, une hausse constante du nombre de personnes se déclarant "athées", "agnostiques" ou "indifférentes", en parallèle d’une baisse des fidèles se déclarant appartenir à une religion donnée » (voir encadré).

En la matière, cette hausse de la visibilité est expliquée par six raisons : « l’installation en France métropolitaine de religions auparavant "étrangères" à l’Hexagone », comme l’islam mais aussi le bouddhisme et les nouvelles formes du protestantisme évangélique, « le redéploiement des religions dans une société profondément sécularisée » où les fidèles de religions diverses n’hésitent pas à faire étalage de « signalétiques visant à capter l’attention des pouvoirs publics et/ou de l’opinion », et les « modes d’expressions religieuses » qui répondent à un besoin d’affirmation identitaire.

L’Observatoire de la laïcité explique également l’augmentation de la visibilité et de l’expression religieuses par « l’affaiblissement d’idéologies séculières » comme le nationalisme, le socialisme et le libéralisme, qui cache une « inquiétude devant la sécularisation de la société ». Aussi, l’instance relève « le refuge sécurisant de la religion face aux incertitudes de demain » et « les emprunts et répudiations entre société d’origine et société d’accueil » pour les populations qui ont migré et parfois leurs enfants.

Des crispations réelles auxquelles il faut répondre

« Cet ensemble de causes pousse la majorité des experts auditionnés et étudiés ici à affirmer que nous ne sommes pas confrontés à un "retour du religieux", mais plus exactement à "un recours au religieux", phénomène largement étudié par les "pères fondateurs" de la sociologie », lit-on dans le rapport. Pour autant, « cette sécularisation qui continue ne doit pas empêcher de répondre aux crispations suscitées par l’augmentation de la visibilité et de l’expression religieuses qui, elle, s’est confirmée durant ces trente dernières années ».

L’étude est parue le 10 juillet, au jour même de la remise du sixième rapport annuel de l’Observatoire de la laïcité. Si les tensions et les crispations relatives aux débats entourant la visibilité religieuse demeurent « très vives », « les atteintes directes à la laïcité (qu’elles émanent d’individus, d’associations, d’administrations ou de collectivités) restent en réalité peu répandues au niveau national » et sont même « mieux contenues grâce à la multiplication, ces dernières années et à destination des acteurs de terrain, des formations à la laïcité et à la gestion des faits religieux ».

Dans ce contexte, l’institution entend « continuer d’aider à l’application ferme et sereine des principes qui fondent la laïcité », en faisant œuvre de pédagogie et en appelant tous les acteurs à traiter la question laïque « avec une grande rigueur ».

Quel est le nombre de croyants, d’athées, d’agnostiques et indifférents en France ? Les chiffres qui suivent sont, pour grande partie, issus de l’enquête d’opinion Viavoice commandée par l’Observatoire de la laïcité et publiée en février 2019.

- Les croyants, toutes croyances confondues mais sans prendre en compte l’agnosticisme (voir plus bas), regroupent 37% de la population totale, soit 25,2 millions de Français croyants, dont 19,9 millions de catholiques (pour 32,6 millions de Français qui « se sentent liés au catholicisme », sans qu’ils ne soient forcément tous « croyants »).

L’islam est la religion qui, après le catholicisme, compte le plus de fidèles et de pratiquants, avec une estimation comprise entre 4 et 5 millions de musulmans selon l'Ined. Le protestantisme est, en France, la 3e religion en termes de fidèles (2,1 millions de personnes, qui « se sentent liés au protestantisme »), et la 2e en termes de lieux de culte, loin devant l’orthodoxie, qui est la 6e religion en France en termes de fidèles dont le nombre est estimé entre 300 000 et 500 000 personnes selon l’Assemblée des évêques orthodoxes de France (AEOF).

Le judaïsme regroupe, pour sa part, moins de 1 % des Français, avec 476 000 personnes qui « se sentent liés au judaïsme », faisant de ce culte la 4e ou la 5e religion de France en termes de fidèles. Le bouddhisme, selon l’Union bouddhiste de France (UBF), comptabilise entre 500 000 et 1 million de fidèles dans le pays.

- L’athéisme, défini comme la non-croyance en un Dieu ou l’absence ou le refus de toute croyance en quelque divinité que ce soit, réunit, 31% de la population, soit 21 millions de personnes, faisant de la France l'un des pays les moins « religieux » au monde.

- L’agnosticisme, défini comme le scepticisme vis-à-vis de l’existence d’un Dieu et l’impossibilité de trancher le débat sur l’existence d’un Dieu ou d’une divinité, réunit 15 % de la population française, soit plus de 10 millions de personnes.

- L’indifférence regroupe, quant à elle, 10% de la population française, soit 6,8 millions de personnes, qui ne souhaitent pas se qualifier de « croyant », d’« agnostique » ou d'« athée ».