Société

Pourquoi l’islam a encore mauvaise presse

Rédigé par Fouad Bahri | Lundi 12 Novembre 2012 à 08:00

En vingt ans, le profil sociologique des musulmans de France a considérablement évolué. Mais curieusement, la médiatisation de l’islam, largement négative, n’a pas épousé le même changement. D’après Alain Gresh, du Monde Diplomatique, l’émergence d’une islamophobie de gauche et la représentation obsessionnelle de faits divers expliquent la persistance de cette médiatisation négative.



« Nous sommes la Nation. » C’est sous ce titre hautement symbolique que le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) a choisi d’ouvrir sa dernière campagne publique de lutte contre le racisme anti-musulman. L’un des paris de l’association est qu’i[« une opinion plus informée sur l’islamophobie réagira [mieux] aux messages médiatiques erronés et stigmatisants »]i sur l’islam, d’après les déclarations de son président Samy Debah.

De fait, la perception négative de l’islam est plus généralement attribuée à une médiatisation tendancieuse de la seconde religion de France par les grands médias télé, presse écrite ou internet. La récente Une tapageuse de l’hebdomadaire Le Point sur « Cet islam sans gêne » n’a fait que renforcer cette perception. Avec une différence sensible néanmoins : la condamnation par de nombreux médias d’une Une « sans gêne » et racoleuse (Rue 89).

Une islamophobie de gauche décomplexée

D’autant qu’en vingt ans, la réalité sociologique des musulmans de France a foncièrement changé. La diversité et la grande richesse du tissu associatif musulman, l’émergence d’une classe moyenne issue de la diversité, souvent de confession musulmane, et la visibilité de nouveaux discours publics ancrés dans la réalité française, ont marqué cette rupture générationnelle.

Faut-il voir là les prémices d’un changement de rapport des médias français avec l’islam, plus nuancé, moins idéologique ? Pas sûr pour Alain Gresh, journaliste au Monde Diplomatique. « J’aimerais être optimiste mais les mêmes qui vont condamner la Une du Point vont dans leur couverture de l’islam reprendre de manière enrobée certaines de leurs thèses », explique le journaliste, qui cite à l’appui des radios comme France Inter ou France Culture.

Selon Alain Gresh, le traitement journalistique de l’islam a, bien au contraire, évolué très négativement, en touchant à présent des segments de l’opinion publique traditionnellement plutôt anti-racistes. Le journaliste estime ainsi que nous assistons désormais à « la montée d’un climat d’intolérance avec l’émergence de groupes qui ne se considèrent pas comme racistes et qui en même temps pensent que l’islam est une menace. »

Une double menace, ajoute-t-il : sur le plan intérieur, l’islam serait perçu médiatiquement comme une remise en cause de la laïcité ; et sur le plan international, comme la source du terrorisme. « Il s’agit d’un courant assez important qui se trouve plutôt à gauche et qui joue un rôle au niveau intellectuel et médiatique », insiste-t-il. A cette nouvelle donne d’une islamophobie de gauche décomplexée, se serait greffée une médiatisation excessive de faits divers devenus omniprésents. « Une affaire de femme en burqa peut faire la une des journaux pendant plusieurs jours. Tous les jours, une nouvelle affaire est relayée à cet objet imaginaire qu’est l’islam. Les médias ont trouvé un terme global qui leur permet de dire qu’il y a quelque chose de global qui est cet islam menaçant », poursuit le journaliste du Monde diplomatique.

La fabrique de l’opinion française

Surreprésentation de faits divers, vision caricaturale et traitement orienté de l’information : d’après Jad Ouaidat, docteur en science de l’information et de la communication, il s’agit là de quelques éléments représentatifs de ce qu’il nomme dans son ouvrage « La représentation du monde arabo-musulman à la télévision française » (L’Harmattan), « modèle occidental de l’information ». Dans ce modèle, « l’Arabo-musulman est présenté de manière stéréotypé, avec des clichés repris sans esprit critique autour du slogan "La France a peur" », dit-il.

Selon le chercheur, ce modèle construit autour de vieilles représentations essentialisantes et le plus souvent négatives (violence du jihad, soumission du voile, etc.), serait régulièrement réactivé et fonctionnerait par « mutualisation » entre des émetteurs (les médias) et des récepteurs (l’opinion publique). « Le citoyen lambda est influencé par cette médiatisation alimentée par des faits divers qui met en cause toute une communauté de musulmans qui sont pour la plupart bien intégrés en France », ajoute Jad Ouaidat.