Points de vue

Pour un printemps de la liberté, de l'égalité et de la fraternité

Rédigé par Agir contre l'islamophobie et les racismes (ALCIR) | Mercredi 14 Septembre 2016 à 08:00



Le 20 mars 2016 se tenait à la Bellevilloise, dans le 20e arrondissement de Paris, la première réunion du Printemps républicain. Selon son texte manifeste, publié par Marianne et Causeur, et signé par des « personnalités de gauche qui veulent défendre la laïcité (…) face aux attaques contre la République », il s’agissait d’ouvrir « un lieu de débat et de pluralisme», un « mouvement du bas (qui) ne part pas des institutions mais de la société civile ».

En fait de « mouvement du bas », nous avons assisté à un rassemblement de personnalités très médiatiques et politiques auxquelles la plupart des rédactions ont largement ouvert leurs portes. Et en fait de « débat », en dépit des dénégations de certains orateurs, et des prudences de Laurent Bouvet, son principal organisateur, on y a vu l’affirmation décomplexée des préjugés les plus éculés sur l’islam et les musulman-e-s de France.

En s’appuyant sur des témoignages fantaisistes selon lesquels il y aurait dans Paris des lignes de bus où « l’on entre difficilement si l’on n’est pas barbu » et, hors de Paris, des « banlieues islamisées et arabisées », où se pratiquerait un « clientélisme communautaire », les orateurs du Printemps républicain ont développé le fantasme d’une République attaquée et même déjà partiellement livrée aux « hommes barbus », aux salafistes, et aux femmes en hijab.

En creux s’y dévoilaient une conception de la « patrie » repliée sur elle-même et excluante, et un projet politique préoccupé quasi exclusivement des musulman(e)s et aveugle à toutes les menaces, réelles celles-là, qui pèsent sur la démocratie et nos institutions : les inégalités sociales croissantes, le racisme, le Front national, la relégation de nombreux quartiers et l’exclusion de populations entières...

Le temps d'une contre-offensive

Une offensive laissée sans réponse cohérente. La couverture médiatique de cet événement a été très importante. Nombre de médias ont annoncé l’événement, puis en ont rendu compte, en termes le plus souvent acritiques, et parfois très élogieux.

A l’époque, la gauche antiraciste, associative et politique, faute de temps et de relais médiatiques, n’y avait répondu que de façon impressionniste et dispersée. Et nous avions laissée sans véritable réponse l’offensive idéologico-médiatique d’un groupe somme toute très réduit de quelques dizaines de personnes...

Le temps de la contre-offensive est venu. Le 21 septembre prochain, les organisateurs du Printemps républicain comptent récidiver et se réunir de nouveau. Sur leur site, ils confirment à la fois leur volonté de poursuivre la bataille idéologique engagée en mars dernier, mais expliquent aussi, au seuil d’une importante année électorale, vouloir interpeller « les futurs candidats à l’élection présidentielle sur un certain nombre de sujets ayant trait à la défense et à la promotion des valeurs républicaines ».

Cette fois-ci, nous ne resterons pas sans réagir.

Le 21 septembre, nous, citoyen(ne)s, militant(e)s, adhérent(e)s ou sympathisant(e)s d’organisations antiracistes ou progressistes, nous qui vivons dans des quartiers populaires, nous qui sommes divers socialement, culturellement, spirituellement, nous dont la vie quotidienne est rendue difficile non par l’Islam, mais par le chômage, la précarité, les bas salaires, nous qui sommes lassé(e)s d’être perpétuellement la cible de discours médiatiques soupçonneux, du racisme, des violences policières, nous serons rassemblé(e)s pour faire entendre une autre voix, et crier notre soif de liberté, d’égalité, de fraternité.*

- Contre la volonté de confisquer la laïcité pour en faire un instrument d’exclusion et de stigmatisation, nous dirons l’urgence de défendre l’esprit et la lettre de la loi de 1905.

- Contre le fantasme d’une république qui serait assiégée par une communauté musulmane présentée comme un tout homogène, nous ferons valoir que les musulmanes et les musulmans qui vivent ici ne poursuivent en rien on ne sait quelle ambition d’islamisation de notre pays. Qu’ils sont comme tout un chacun attachés aux droits et aux libertés dont la France se targue d’être la patrie.

- Contre les paniques sécuritaires répandues par le « Printemps républicain » qui parle de quartiers « perdus », nous réaffirmerons que les quartiers populaires sont au contraire les lieux où peut s’inventer une société ouverte et tolérante. A condition de les considérer autrement qu’à l’aune sécuritaire et répressive. Et de leur donner les moyens de participer pleinement à la vie économique et politique de notre pays.

Le 21 septembre prochain, nous réaffirmerons notre attachement aux valeurs de liberté, d’égalité et de respect. Nous interpellerons toute la gauche, associative et politique, pour qu’elle ne cède pas à ceux qui veulent l’entraîner dans un absurde et mortifère « conflit de civilisations », pour qu’elle n’oublie pas qu’historiquement, elle s’est construite en portant le projet d’une France ouverte et multiculturelle. C’est en respectant cette histoire, en y puisant des idées pour l’avenir qu’elle pourra retrouver du crédit et mobiliser ses partisans pour faire reculer le Front national et de nouveau faire progresser les droits et les libertés.

C’est d’ailleurs son intérêt le plus immédiat, car, comme le gouvernement de Manuel Valls, dont ils sont de fervents admirateurs, les artisans du Printemps républicain sont minoritaires. Minoritaires dans les organisations progressistes, minoritaires dans le mouvement antiraciste, minoritaires dans la population du 20e arrondissement, minoritaires dans les organisations et chez les électeurs de gauche, ils ne représentent que les intérêts d’une petite clique qui croit se trouver un avenir en mobilisant les préjugés les plus rances pour essayer de faire oublier son bilan économique et social.

Nous interpellerons la gauche fraternellement mais très fermement, car, depuis 30 ans, en matière de lutte contre le racisme, elle a beaucoup promis mais peu tenu. Nous n’avons que trop souvent constaté ses défaillances : promesses dilatoires (droit de vote pour les étrangers, récépissé pour les contrôles policiers…), mesures démagogiques faisant d’insupportables concessions au racisme et au programme de l’extrême droite (déchéance de nationalité), discours électoralistes et racistes…

L’heure n’est plus aux louvoiements ni aux calculs à la petite semaine : pour faire reculer le Front national, et battre une droite qui en a absorbé de nombreuses idées, il faut un sursaut : pas un absurde sursaut « identitaire » comme l'entendait Manuel Valls en avril dernier, mais un sursaut démocratique, progressiste, antiraciste.

Pour aider la gauche à retrouver la mémoire et une boussole, nous appellerons le 21 septembre tous les citoyen(ne)s, collectifs, associations, organisations, regroupements qui le souhaitent à entamer la rédaction de cahiers de doléances de la diversité dont nous exigerons qu’ils soient portés par les candidats de gauche aux élections de l’an prochain.

Le 21 septembre sera le premier jour d’un combat dont nous savons qu’il sera sans doute long. Mais nous sommes confiants dans nos valeurs et notre histoire, et nous savons que, comme disait le poète, « notre printemps est inexorable ».

Premiers signataires de l'appel

Etienne Balibar (professeur émérite de philosophie), Brigitte Bamberg (militante antiraciste), Jean Baubérot (historien et sociologue), Eliane Benarrosh, Saïd Bouamama (sociologue, militant du FUIQP), Jean Brafman (militant associatif), Rony Brauman (médecin, essayiste), Alima Boumediene-Thiery (avocate), Ismahane Chouder (co-présidente du Collectif féministes pour l'égalité), Pierre Cours-Salies (sociologue), Sonia Dayan-Herzbrun (sociologue), Christine Delphy (sociologue, féministe), Rokhaya Diallo (militante féministe, journaliste), Didier Epsztajn, Ahmed Faouzi (militant syndical), Eric Fassin (professeur de sciences politiques), Alain Gresh (journaliste), Nacira Guenif-Souilamas (sociologue, anthropologue), Hanane Karimi (sociologue et féministe), Jamel Khermimoun (chercheur et auteur), Laurent Levy (avocat), Fadhel Mahbouli (comédien), Philippe Marlière (politiste), Omero Marongiu-Perria (sociologue), Gustave Massiah (économiste altermondialiste), Daniel Mermet (journaliste), François Munier, Ndella Paye, Martine Platel, Joël Roman (philosophe), Michèle Sibony (UJFP), Denis Sieffert (journaliste), Omar Slaouti, Pierre Tévanian (philosophe), Sylvie Tissot (sociologue), Joao Viegas (avocat)...

*Le meeting se tiendra à l'espace Confluences, 190 bd Charonne, Paris 20e (Métro Philippe Auguste ou Alexandre Dumas).

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