Points de vue

Michel Houellebecq, une plume en résonnance avec la réalité contemporaine de l'islamophobie

Rédigé par | Lundi 16 Janvier 2023 à 13:00



© CC BY-SA 2.0 / Fronteiras do Pensamento
Quand sa mère devient musulmane, Michel Houellebecq ne la prend pas au sérieux, il ne voit pas le cheminement spirituel d'une Française d'Algérie. Il en parle à L'Express comme un caprice de vieille dame excentrique. « Le dernier moyen qu'elle avait trouvé pour emmerder le monde », disait-il.

L’écrivain traite la foi musulmane sans la portée irrationnelle de la spiritualité. Elle devient alors un prétexte, un exutoire de la misère sociale. C'est une vieille façon de penser qu'on retrouve dans l'élite française judéophobe d'une époque. Mais Michel Houellebecq n'est pas Salman Rushdie.

Salman Rushdie connaît la foi islamique dans ses recoins. Michel Houellebecq reste en surface, les yeux rivés sur les musulmans. Cet islam qu'on lit dans les livres de Houellebecq est grossier ; un amas de préceptes. Un machin idéologique dont la logique interne conduit à des contradictions et à des dérives dangereuses. En bref, cet islam fait peur aux gens, car cet islam menace la France.

L'islam de Houellebecq, reflet d'un regard sur l'islam qui fait peur

Étant en surface du religieux, Michel Houellebecq est cohérent en « islamophobe à temps partiel » qu'il se dit, à l'opposé du peintre Étienne Dinet (1861-1929) qui, après sa conversion à l'islam, rendit grâce à Dieu « d'avoir connu l'islam avant de connaître les musulmans ». C'était une autre époque.

Dans ses Particules élémentaires comme dans Soumission, l'islam de Houellebecq est l'islam des médias réactionnaires de France. Le talent d'écrivain caresse nos préjugés médiatiques là où Salman Rushdie opère au scalpel contre nos dogmes et croyances. Tout en finesse, l’écrivain américano-britannique produit un discours riche, à double fond poétique. Il livre un sens apparent pour tous et un sens implicite, incisif, pour celles et ceux qui connaissent les problématiques internes à l'islam.

Michel Houellebecq atteint-il le musulman dans sa foi ? On en doute, même s'il joue au cracheur de feu qui se remplit la bouche d’un liquide inflammable et écarte les crocs pour souffler sur l'islam et les citoyens musulmans. Il valide une certaine aliénation médiatique qui affecte l'islam et les musulmans au rôle de « source potentielle de trouble ».

Quand l'histoire nous rappelle la judéophobie

Comme écrivain, il s'inscrit dans une tradition de talents que connaît la littérature française. Autrefois, ils avaient le juif en ligne de mire. Qu'il s'agisse de Voltaire, Céline ou Barrès, les médias étaient unanimes sur leurs talents et les éditeurs se sont empiffrés en distillant la haine du juif. Mais à notre époque, parler de judéophobie est anachronique les concernant ; ils ne pouvaient prévoir ni l'effet, ni les conséquences de leurs écrits dans le temps ! Peut-être auraient-ils changé d'avis ?

Le cheikh René Guénon est un cas symbole, celui qui commence dans les cercles identitaires chrétiens et la spiritualité maçonnique avant sa découverte de l'islam. En 1936, Guénon est musulman, il vit au Caire, en Égypte, tandis que ses écrits de jeunesse sont réédités pour servir la propagande nazie. On ne peut en vouloir à René Guénon de n'avoir pas prévu Hitler et les nazillons. Mais nous, aujourd'hui, savons très bien le rôle des écrits dans la construction de la haine de l'autre.

A la fin du XIXe siècle, des foules de manifestants tenaient à condamner Dreyfus à mort en France. Comme Dreyfus n'était pas coupable, il fallait le tuer parce qu'il était juif. Car « Juif innocent » était un oxymore pour des figures de référence du journalisme. De grands écrivains dont Maurice Barrès, Paul Valery, Charles Maurras et bien d'autres bons écrivains, tous des antidreyfusards notoires. Bien entendu, ils n'avaient pas d'armes car ils avaient mieux : de jolis mots et des aphorismes assassins.

La judéophobie en France n'est pas une génération spontanée. L'islamophobie non plus. Ces idées racistes existent comme d'autres, toujours empreintes de lâcheté, toujours à l'encontre de minorités. Mais pour fleurir et coloniser les esprits en masse, le racisme use de vecteurs de diffusion. Avant les réseaux sociaux, les médias et la littérature tiennent le haut du pavé à côté de la création artistique.

On peut être Noir, juif ou musulman et s'extasier devant un Cézanne, un Renoir ou un Rodin sans se douter un instant des opinions de l'artiste. Car les émotions, l'esthétique ou l'humour sont naturels à notre espèce. On peut aimer les femmes, les enfants et les chiens et s'appeler Adolf Hitler.

Une plume qui embaume l'espace littéraire d'exhalaisons toxiques sur l'islam et les musulmans

Depuis la victoire sur le nazisme, la France a criminalisé la judéophobie et fermé la porte aux haines racistes que Michel Houellebecq taquine par la fenêtre. Car, à lire certains passages de l’auteur, on peut se demander si le juif n'a pas laissé sa place au musulman dans notre littérature raciste. Michel Houellebecq est effectivement magistral avec Extension du domaine de la lutte. Mais il y a ses autres livres dont Particules élémentaires et Soumission sans parler de Plateforme qui entretiennent les schémas mesquins du musulman médiatique jusqu'à la caricature. C'est un filon qu’il peut exploiter tant que son vaudeville fait recette. Mais cet homme est-il conscient du jeu auquel il joue ? Michel Houellebecq sait-il de quoi son talent est l'instrument en France, pour les musulmans et pour nos enfants ?

L'islamophobie française n'est pas un fantasme de militants susceptibles. Elle est une réalité sociale statistiquement vérifiée, qui suit la courbe de l'audimat. Telle une maladie auto-immune, elle attend, en terrains favorables, un facteur déclencheur pour se déclarer. En 2003, Vincent Geisser offre une analyse historique et sociologique du phénomène dans La nouvelle islamophobie (éd. La Découverte). Au cours des 40 dernières années, le musulman est passé d'étranger à immigré, avant de finir en cinquième colonne dans la République après terroriste et jihadiste. Dans cette réalité française qui est contemporaine, la plume de Michel Houellebecq pue à nez. Si elle n'est islamophobe, elle embaume l'espace littéraire d'exhalaisons toxiques sur l'islam et les citoyens musulmans.

Que Houellebecq soit bon et célèbre ne fait que le ranger dans la tradition de la littérature raciste de France qui, historiquement, sait surfer par les préjugés de l'époque. Parce qu'il connaît mal l'islam, il s'appuie surtout sur les musulmans et paraît « prêt à faire n'importe quoi pour parvenir à la fortune et à la renommée », comme écrit sa mère. Objectif atteint depuis ses Particules élémentaires ; il caracole en média sur des terres islamophobes, en concurrence déloyale avec Eric Zemmour !

Traduire un tel mégalomane en justice, c'est lui offrir une tribune

Face à Barrès, Maurras et les antidrefusards, l'histoire retient Émile Zola et les « intellectuels » pour défendre Dreyfus. Face à Houellebecq et Zemmour, il y a un boulevard médiatique. C'est l'époque.

Autrefois diversifié, l'espace médiatique français s'est tuméfié sur l'islam. En dehors de Saphirnews et de quelques rares médias sensibles au phénomène, l'islamophobie suinte de nos salles de rédactions, de nos plateaux télé et s'épanche dans la société. Michel Houellebecq trempe sa plume dans ce pus offert. Il tient sa « charogne infâme sur un lit semé de cailloux, dirait Charles Baudelaire, les jambes en l'air, comme une femme lubrique, brûlante et suant les poisons ». Il ne lâchera pas, il faut bien gagner sa pitance.

Traduire un tel mégalomane en justice, c'est lui offrir une tribune. Une tribune officielle pour mettre en scène le mépris qu'il voudrait anoblir en littérature. Un coup d'épée dans l'eau. À l'évidence, Monsieur Houellebecq ne changera pas sa manière d'écrire car il écrit déjà très bien ; ça lui remplit la gamelle. Et un chien de race ne change pas sa façon de s'asseoir, encore moins sa manière d'aboyer.

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Diplômé d'histoire et anthropologie, Amara Bamba est enseignant de mathématiques. Passionné de… En savoir plus sur cet auteur