Points de vue

Les usages licites du haschich dans la médecine arabe

Rédigé par Seyfeddine Ben Mansour | Jeudi 4 Avril 2013 à 00:00



À deux jours d’intervalle, tandis que l’Etat du Colorado a officiellement légalisé la possession de marijuana, le tribunal correctionnel de Belfort a condamné le 13 mars dernier Dominique Loumachi, 40 ans, à une peine de sursis et mise à l'épreuve pour « usage et détention » de cannabis.

Atteint de myopathie depuis l'enfance, l’homme y avait recours pour soulager les terribles douleurs engendrées par la maladie. La justice française signifie ainsi son refus de reconnaître l’usage thérapeutique du chanvre indien, une pratique légale depuis les années 1990 dans plusieurs Etats américains.

C’est en 1851 que le cannabis fait son apparition dans la pharmacopée américaine officielle, soit un peu plus d’un siècle après que son usage médical eut disparu en terre d’islam.

Des écrits sur le cannabis

Avec près d’un millénaire d’avance, du VIIIe au XVIIIe siècle, les savants musulmans ont su tirer parti des propriétés thérapeutiques du cannabis : diurétiques, antiémétiques, antiépileptiques, anti-inflammatoires, analgésiques, antipyrétiques, etc.

Cette avance s’observait également sur le plan légal : si l’usage de la plante était interdit en tant que drogue – la jurisprudence lui appliquant, dans une large mesure, les dispositions légales relatives à l’alcool, substance à laquelle le cannabis était assimilé par analogie (qiyâs) –, son usage à des fins thérapeutiques était déclaré licite.

Il est assez significatif à cet égard qu’un grand savant comme Tabari (839-923), généralement connu comme exégète et compilateur de hadiths, mais qui s’est également intéressé à la médecine, ait écrit sur le cannabis. Il l’a notamment décrit comme étant « froid », l’une des quatre qualités élémentaires de la médecine grecque, avec le chaud, le froid, le sec et l'humide. C’est en effet à partir de la tradition humorale grecque, et en s’appuyant notamment sur les deux œuvres majeures que sont le Materia medica de Dioscoride et le De simplicium medicamentorum temperamentis ac facultatibus de Galien, que les savants arabes développeront leur connaissance du cannabis. Et ce, très tôt, puisque les deux ouvrages sont traduits en arabe sous le règne du calife abbasside al-Mutawakkil (847-861).

Les Grecs avaient, eux aussi, recueilli et développé le savoir des autres peuples, comme en témoigne le nom même de la plante – cannabis en grec et qanib en arabe –, qui remonte à l’assyrien qunnabu, mot que l’on rencontre dans un texte mésopotamien du XVIIIe siècle avant Jésus-Christ.

L’apport des savants arabes

Le premier usage thérapeutique connu remontant 900 ans plus tôt, les Chinois étant les premiers à avoir découvert les propriétés antalgiques du cannabis. Ici comme ailleurs, l’apport spécifique des savants arabo-musulmans aura consisté à approfondir – en les corrigeant, parfois, en les systématisant, toujours – les connaissances éparses et incomplètes de leurs prédécesseurs grecs, chinois ou indiens.

Le premier savant à mentionner le cannabis est Ibn Masawayh (mort en 857) qui préconise l’emploi, sous forme de gouttes, de l’huile extraite des graines afin d’« assécher l’humidité » de l’oreille, autrement dit, comme remède à l’otite. C’est également au IXe siècle qu’al-Dimashqî découvre les propriétés vermifuges de la plante. A la suite d’Ibn Masawayh, qui utilisait le jus extrait des feuilles, Avicenne traitera au XIe siècle des affections dermatologiques telles que le pityriasis et le lichen, pour lesquelles il recommande l’huile des graines en application locale.

Deux siècles plus tard, Ibn al-Baytar expérimente avec succès l’utilisation de cette même huile pour soulager les douleurs d’origine neurologique, tandis que son contemporain al-Qazwini préconise celle de l’extrait de feuilles pour apaiser les ophtalmies.