Société

« Les ghettos qui se constituent sont des îlots de riches qui se protègent »

Politiques sociales

Rédigé par Nadia Moulaï | Mercredi 16 Septembre 2009 à 12:00

El Yamine Soum*, auteur de « Discriminer pour mieux régner, une enquête sur la diversité en politique », réagit aux propos de Manuel Valls. Le maire PS d’Évry voudrait « plus de Blancs » dans sa ville.



Hôtel particulier du 16e arrondissement de Paris. Le 16e et Neuilly constituent les ghettos les plus connus que s'évertuent de défendre la haute bourgeoisie.

« Plus de Blancs à Évry », dixit Manuel Valls, maire de la ville. Peut-on parler de dérapage comme l’a fait remarquer le premier maire adjoint à Argenteuil Faouzi Lamdaoui ?


El Yamine Soum : La phrase de Manuel Valls est prononcée, après avoir serré la main d’une personne d’origine maghrébine, il dit : « Belle image de la ville d’Évry… Tu me mets quelques Blancs, quelques Whites, quelques Blancos… »

En parlant de l’« image de la ville », c’est clairement une partie de la société française que Manuel Valls vise et stigmatise. Ce n’est pas seulement un dérapage, c’est une vision de la France terrible, en sous-division clivée ethniquement, loin de notre pacte républicain. Pendant longtemps, nous avons entendu que le racisme ou la stigmatisation ne seraient que le fait des « méchants » du Front national. Or ces mécanismes traversent l’ensemble de la classe politique et le Parti socialiste est loin d’en être immunisé.

Ce qui est plus dangereux encore, c’est que Manuel Valls, comme d’autres sur lesquels j’ai déjà écrit, est le premier à fabriquer du communautarisme pour ensuite le condamner ! Le site de l’Observatoire du communautarisme a déjà évoqué cela à propos de cet élu, qui n’hésite pas à aller dans certains dîners communautaristes !

Pour autant, peut-on parler de racisme ?

E. Y. S. : Pas nécessairement, c’est à la limite ! Aujourd’hui, il est difficile de définir clairement les mécanismes du racisme car, depuis la loi Pleven de 1972, il y a un durcissement législatif en la matière. On ne peut donc plus dire les choses de la même manière. La conséquence est que les discours sont devenus plus prudents.

D’ailleurs, juste après ses déclarations, M. Valls botte en touche en affirmant qu’il faut plus de mixité sociale, sans assumer clairement le fond de ses propos. Et je ne pense pas que des quotas de « Blancs » dans des quartiers populaires soient une solution...

Justement « casser les ghettos en mettant plus de Blancs », est-ce la bonne méthode ?

E. Y. S. : Sur la question des ghettos, soyons précis sur la réalité française. Selon une étude de l’économiste Éric Maurin*, les ghettos qui se constituent de plus en plus sont des « ilôts » de riches qui se protègent. Il y analyse la fuite des classes moyennes et la concentration grandissante des gens issus de milieux modestes. Les plus riches préférant vivre entre eux.

Une fois que nous avons dit cela, il ne faut surtout pas nier qu’il y a une réalité de la relégation spatiale en France. Elle est subie, imposée le plus souvent ! Avec, au bas de l’échelle, des familles pauvres, certains immigrés, des familles monoparentales où c’est souvent la mère qui gère le foyer.

C’est dans ce sens qu’en France nous pouvons aussi parler de ghettos sociaux : avec des personnes touchant des salaires bas, ensuite des précaires et encore en dessous des personnes désocialisées marquées par de rudes expériences de la vie. Ceux que l’on désigne souvent comme des « cas soc » ! S’ajoute à cela des logiques de violence et d’insécurité plus grandes que dans le reste de la société française.

Vu le panorama dressé, je ne pense que l’on puisse y « envoyer des Blancs », et ce qui, de toute manière, ne changerait pas grand-chose aux problèmes !

Au fond, le maire d’Évry prône plus de diversité ethnique pour plus de diversité sociale… ?

E. Y. S. : Il le dit comme réponse qui s’apparente à de la rhétorique pour fuir ou tenter de légitimer ce qu’il a affirmé !

S’il le prône sincèrement, on ne peut qu’être d’accord, mais il est député-maire et, au-delà du constat, il est en position de responsabilité. Que propose-t-il, au lieu d’ajouter à la division en sous-catégories ethniques de ce ghetto ? À l’heure où un Barack Obama appréhende la complexité de la société américaine en rassemblant la complexité, c’est la fameuse « unité dans la diversité ».

Certaines de nos élites continuent de « discriminer pour mieux régner », en divisant le marché politique en segments électoraux. Le maire d’Évry ajoute au sentiment de défiance vis-à-vis de la classe politique, sans donner de solutions concrètes et réalisables.

Pourtant, certains, dont lui, affirment qu’il ne faut pas avoir peur des mots et dire les choses !

E. Y. S. : Oui, c’est vrai. Il faut affronter les tabous et aller au bout des choses. Mais un responsable politique ne peut pas se contenter de populisme, d’agiter les citoyens en se cachant derrière l’argument du « moi, j’ose dire » les choses.

Oui, il y a un certain nombre de problèmes qu’il faut aborder, notamment : l’insécurité. Oui, nous pouvons affirmer que le racisme est multiforme et qu’il ne concerne pas que certaines populations et nous devons le combattre, qu’il soit contre les Blancs, les Noirs, les musulmans, etc.

C’est la condition première du vivre-ensemble. Une fois de plus, si un politique ne souffle que sur les braises sans proposer d’alternative, les conséquences ne pourraient être que plus graves.

Aussi, les élites politiques ont une fonction d’exemplarité et j’ai récemment proposé de créer des « HALDE » internes aux partis afin de sanctionner les dérives en leur sein.

Nous avons constaté de réels progrès pour sanctionner le racisme dans les stades de football, nous pourrions agir de la même manière en politique.




* Éric Maurin, Le Ghetto français, enquête sur le séparatisme social, Éd. du Seuil, coll. « La République des idées », 2004.


El Yamine Soum est co-auteur, avec Vincent Geisser, de Discriminer pour mieux régner. Enquête sur la diversité dans les partis politiques, Éd. de l'Atelier, 2008.