Sur le vif

Le sondage sur le rapport des musulmans de France au conflit israélo-palestinien et son traitement médiatique agace

Rédigé par Benjamin Andria | Jeudi 21 Décembre 2023 à 15:45



© Flickr/Heri Rakotomalala
« Quels regards portent les Français musulmans sur le conflit israélo-palestinien ? » C’est autour des résultats de ce sondage IFOP dévoilés lundi 18 décembre que quelques médias en ont fait leurs choix gras et de manière biaisée.

Dans l’attaque du 7 octobre menée par le Hamas contre Israël, « 45 % des Français musulmans y voient un acte de "résistance contre la colonisation" », titre Le Figaro. Comme Valeurs Actuelles, qui ajoute pour sa part que « 19 % ont de la sympathie pour les terroristes ». Sans relever les enseignements de l’IFOP dans leur ensemble qui permettent de dresser un tableau bien plus nuancé à des chiffres qu’il convient, en tous les cas, à ne pas appliquer sommairement à toute la composante musulmane.

Si « les Français musulmans » – 1 002 sondés pour être précis et qui n’ont pas tous la nationalité française, apprendra-t-on – sont effectivement beaucoup plus nombreux que le reste des Français à y voir « des actions de résistance contre la colonisation » (45% contre 10 % dans l’ensemble de la population française), l’institut relève aussi que la majorité des sondés « jugent négativement les actions du Hamas commises le 7 octobre en territoire israélien (55%) ».

Un soutien fort à la cause palestinienne, pas au Hamas

Par ailleurs, si « la cause palestinienne semble bénéficier en France d’une aura indéniable chez les musulmans de France si l’on en juge par le soutien qu’ils affichent à l’Autorité Palestinienne (59 %) », « ce n’est pas pour autant que les musulmans de France affichent un soutien sans faille au mouvement Hamas qui gère la bande de Gaza » puisque « seule une minorité des Français musulmans (19 %) expriment de la sympathie pour le mouvement islamiste du Hamas, les autres le condamnant (25 %) ou sont y étant indifférents (56 %) ». Une observation de l’institut de sondage qui n’a pas été relayée - ou du moins de cette façon - dans les médias qui se sont emparés de ce sondage.

De même, rapporte Libération, les sondés étaient « obligés de se positionner ». Alors que les items « ne sait pas » ou « ne se prononce pas » sont couramment proposés par les sondeurs, François Kraus, qui dirige le pôle Politique et Actualité au sein du département Opinion, explique que « les non-réponses posent problème dans les enquêtes en ligne ».

Dès lors, le « parti pris à l’IFOP est d’éviter si possible de les suggérer », par crainte qu’ils ne servent « d’items refuge » et « altèrent la qualité des résultats ». « Sauf qu’en choisissant de ne pas proposer la rubrique "ne se prononce pas", cela augmente d’autant plus la part relative des autres items dans le total des réponses », affirme le quotidien de gauche, qui souligne « comment plusieurs médias de droite se sont arrangés avec les résultats ».

L'agacement du CFCM

Le Conseil français du culte musulman (CFCM) s’est fendu d’un communiqué, mercredi 20 décembre, pour dénoncer la stigmatisation des musulmans de France « à travers des sondages discutables sur le fond et sur la forme ». « Loin de refléter objectivement la situation présente, certains sondages créent et alimentent des polémiques stériles et déconnectées de la réalité sur le terrain. À des questions biaisées et orientées, les réponses des personnes sondées peuvent s’écarter complètement de leurs propres opinions et à forte raison des opinions de l’ensemble des Français musulmans », juge l’instance.

« Est-il aussi concevable qu’une étude semblable soit réalisée uniquement auprès de nos compatriotes de confession juive et le regard qu’ils portent sur ce conflit ? Et sur ce qu’ils pensent des exactions de l’armée d’Israël contre les femmes et les enfants de Gaza et des colons extrémistes contre les palestiniens de Cisjordanie ? », s’interroge le CFCM en dénonçant aussi bien le sondage portant sur le rapport des musulmans au conflit israélo-palestinien que celui sur leur rapport à la laïcité publiée début décembre, et le traitement médiatique qui en a été fait.

Les musulmans de France, conclut le CFCM, « souhaitent que leur pratique religieuse soit perçue comme un élément de leur liberté individuelle, dans l'indifférence et la banalisation, comme tous leurs concitoyens, de quelque confession ou conviction que ce soit. Ils refusent que cette pratique soit une source permanente de débats publics et fasse l’objet de sondages incessants avec leurs lots de manipulations et de stigmatisations ».

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