Points de vue

Le califat d'Omar Ibn El Khattab : l'idéal à l'épreuve du pouvoir

Rédigé par Maryam Ali | Vendredi 12 Mai 2017 à 11:58



Après avoir, dans un premier temps, combattu l’islam de manière virulente, Omar Ibn El Khattab, en fut l’un des plus fervents défenseurs dès sa conversion et contribua, de par sa personnalité crainte et respectée, à faire pencher la balance en faveur des musulmans.

Après la mort d’Abu Bakr As-Siddiq, le gendre et proche compagnon du Prophète lui succéda pour devenir le deuxième calife de l’Etat musulman naissant de Médine. Son prédécesseur, Abu Bakr, fut celui qui apaisa les tensions consécutives à la mort du Prophète Muhammad, laissant les croyants désorientés suite à la perte de leur guide spirituel, et qui assura ainsi la continuité et la pérennité de la religion musulmane. Omar Ibn El Khattab, quant à lui, dut faire face à un contexte d’expansion rapide des territoires d’islam. Ces territoires présentèrent une diversité jamais rencontrée auparavant par un dirigeant : des musulmans et non-musulmans, des Arabes et des non-Arabes, des peuples aux us et coutumes différentes.

Les défis du calife furent donc de gouverner ces peuples avec justice, dans le respect de leur culture, répandre le Message du Prophète, unifier les populations et leur transmettre un sentiment d’appartenance à l’Etat islamique malgré les différences. Il a pour cela fallu réfléchir à de nouveaux systèmes d’administration et de gouvernance. Parce qu’il parvint à créer un Etat stable et fonctionnel, son califat eut un impact majeur dans l’histoire de la civilisation arabo-musulmane.

Trois principes de base : la justice, l’égalité et la liberté

Pendant toute la durée de son califat, Omar n’eut de cesse d’insister sur trois grands principes, fondateurs jusqu’à aujourd’hui de toute société harmonieuse : la justice, l’égalité et la liberté. Conscient que ces valeurs étaient indubitablement liées à la morale islamique, il pensait que l’islam ne pouvait exister dans une société où prévalait l’injustice. Il prôna donc une justice pleine de compassion, à l’image de celle du Prophète.

Pour illustrer ce souci de justice, prenons quelques exemples. Omar avait pour habitude d’envoyer des agents dans la ville. Il dit à son peuple, lors d’une assemblée : « ô gens, je n’ai pas envoyé mes agents pour vous battre ou pour prendre votre argent, mais pour vous protéger de quelconque injustice. Si quelqu’un a quoi que ce soit à leur reprocher, qu’il se lève maintenant ». Un homme se leva et dit : « Ô commandeur des croyants, ton agent m’a battu. » Omar lui demanda alors de rendre les coups qu’il avait reçus, ce que le croyant refusa, et on lui donna à la place 200 dinars, 2 dinars pour chaque coup.

Le principe d’égalité fut de la même façon fondamental aux yeux de Omar. D’un point de vue islamique, tous les êtres humains sont égaux, peu importe leurs statuts ou leurs origines, et un calife qui ne respecterait pas ce principe ne saurait se montrer digne de cette noble fonction. C’est ainsi que Omar s’appliqua à faire en sorte que nul ne soit lésé ou favorisé sur la base de sa race, de sa couleur, de sa descendance, de son genre ou de sa classe sociale. Lors d’une famine qui toucha Médine et ses environs durant le règne de Omar, il jura qu’il ne consommerait plus de lait ou de yaourt jusqu’à ce que tout le monde puisse se permettre d’accéder à ces denrées, ce qui montre ce souci d’équité non seulement entre les gens du peuple, mais en plus entre lui et ses sujets.

Enfin, l’islam garantit un certain nombre de libertés fondamentales, comme la liberté de culte, de propriété et la liberté d’opinion des individus et ce droit fut protégé pendant la période des califes bien-guidés.

Une société régulée par une morale et des principes islamiques

Le calife jouait bien entendu un rôle majeur dans la gestion du culte et des actes d’adoration de la jeune communauté de Médine, l’adoration renforçant la croyance du peuple et établissant ainsi des valeurs morales, tout en réformant la société. Mais il existe par ailleurs une dimension autre que spirituelle du califat, la gestion des affaires liées à la vie en société. Plusieurs éléments sont intéressants à mettre en lumière pour bien appréhender cette préoccupation de Omar Ibn El Khattab.

Le premier exemple est celui du commerce. Le calife veillait particulièrement à ce qu’il soit réalisé en accord avec le droit musulman (charia). Nul ne pouvait exercer une activité commerciale à Médine s’il ne connaissait pas les lois islamiques sur le sujet. Omar dit à ce propos que « personne ne doit avoir une place dans notre marché s’il ne sait pas ce qu’est l’intérêt (riba) ». En plus des lois religieuses clairement établies, il mit en place des lignes directrices pour les marchands afin de réguler les échanges et de garantir la stabilité du marché, en interdisant par exemple la triche, les stocks trop importants, le marché noir ou la corruption. Le calife ne se limita donc pas aux sources traditionnelles de la religion, mais après observation des pratiques commerciales couramment répandues dans la population, il s’efforça de les réformer afin de faire en sorte qu’elles fassent prospérer et fructifier l’Etat tout en respectant l’éthique prônée par l’islam.

Deuxièmement, il convient de souligner l’importance qu’il accorda au savoir et à la science. Quiconque se penche sur le Coran réalisera l’abondance de versets qui encouragent à la quête de savoir. Les compagnons, dont Omar, comprirent ainsi qu’il était crucial de rechercher la science, et d’en favoriser l’accès au plus grand nombre. Omar était un homme cultivé, il savait lire et écrire et aimait la poésie. En raison de la profondeur de sa connaissance et de sa capacité d’analyse, Omar Ibn El Khattab fut l’un des premiers spécialiste du fiqh (faqih) et il encouragea l’accès au savoir, en faisant de Médine un centre de la jurisprudence islamique (fiqh) et d'avis juridiques (fatwas).

Par la suite, une école d’où les gouverneurs et les juges étaient diplômés y vit le jour et un groupe de compagnons y fut formé pour diriger les instituts d’apprentissage dans les régions conquises. Ils enseignaient et éduquaient la population à la lumière du Coran et de la tradition prophétique. Animé par cet amour de la science, il posa ainsi les fondations d’illustres écoles, tels que celles de Bassora, Koufa, Damas, Médine et La Mecque.

Il recommandait aux musulmans d'apprendre les sciences de leur époque et d'en tirer profit pour leur bien-être. Il a dit entre autres : « Apprenez la science et, pour pouvoir l'acquérir, apprenez la noblesse de caractère et l'indulgence. Et soyez humbles auprès de ceux qui vous apprennent la science, pour que soient humbles à votre égard ceux à qui vous l'enseignerez. Ne soyez pas de ces savants tyrans et orgueilleux car votre science ne pourra pas se révéler si vous vous comportez comme un ignare ! »

Ce ne sont là que deux illustrations du rôle que pouvait jouer le calife dans la vie quotidienne du peuple, mais son champ d’action fut bien plus étendu : de la garantie de la sécurité des habitants par la mise en place d’un service de surveillance, à la gestion des crises économiques, Omar Ibn El Khattab veilla à ce que les affaires publiques assurent d’une part la pérennité de l’Etat et le bien-être du peuple et d’autre part soient en conformité avec l’éthique et les valeurs de l’Islam.

Le rôle du califat dans la vie socio-économique

L’islam considère les richesses sous toute leur forme comme appartenant à Allah et que l’être humain est chargé d’en disposer en accord avec les conditions stipulées par Dieu. C’est ainsi que Omar voyait les richesses de l’Etat considérablement augmentées durant son règne étant donné le nombre important de terres conquises. Il s’attela donc à superviser la collecte et la distribution de ces richesses et désigna des personnes attitrées pour s’en occuper. Il se chargea également de développer les différentes sources de revenu en accord avec les principes de la charia et pour le bénéfice de son peuple.

La plus grande innovation d’Omar en matière socio-économique est la création d'un Bayt al-Mal qu’on pourrait comparer à un trésor public. A l’origine, l’Etat islamique n’en avait pas car la politique du Messager fut de ne pas reporter les dépenses ou la division des richesses et son successeur Abu Bakr adopta cette même politique. Omar suivit cette méthode au début de son califat jusqu’au moment où les territoires musulmans se propagèrent d’est en ouest et, par conséquent, où les revenus accumulés lors des collectes d’impôts tels que la jizyah (la taxe imposée aux Gens du Livre qui sont sous la protection des musulmans), le kharadj (le revenu des terres que les musulmans ont conquis par la force) ou la zakat (l'aumône légale) augmentèrent d’une manière inédite pour les musulmans.

Les conquêtes et les victoires se succédant, et les richesses se devant d’être distribuées avec justice et intelligence, Omar décida alors qu’il n’était pas raisonnable de ne pas les comptabiliser, et de laisser les gouverneurs gérer ces revenus sans contrôle et régulation. Il établit donc une organisation structurée pour gérer l’argent collecté et le diwan, ou registre officiel, fut ainsi mis en place. Certains historiens rapportent que Omar s’est inspiré des Perses pour la création du diwan.

Organisation de l’Etat : le système de gouvernorat

L’Etat s’étant agrandi du temps de Omar, il le divisa en plusieurs zones administratives afin de rendre sa gestion plus aisée : La Mecque, Médine, Ta’if, le Yémen, le Bahrein, l’Egypte, les provinces de la Syrie, l’Irak et la Perse, Bassorarah, Koufaoofah, Al-Mada’in et l’Azerbaïdjan. Chaque région avait à sa tête un gouverneur, nommé par le calife. Il semble évident qu’une personne seule, même épaulée de conseillers et administrateurs, ne peut prêter attention à tout ce qui se passe sur un territoire aussi étendu.

C’est la raison pour laquelle Omar estima qu’une personne compétente, digne de confiance et animée par de bonnes intentions pouvait gouverner une région, en s’assurant du bien-être de la population et du respect des lois. Il ne nommait ainsi jamais quelqu’un qui demandait à être gouverneur, mais favorisait plutôt les personnes qualifiées et dignes de confiance. Avant la désignation, il consultait les compagnons pour s’assurer que le potentiel gouverneur possédait les qualités requises pour cette fonction.

Le rôle du calife fut l’administration de ces régions, en nommant les personnes compétentes, en étant disponible pour les conseiller et les guider, en s’assurant qu’elles ne manquaient pas à leurs devoirs, et en les destituant s’il estimait que le rôle n’était pas tenu de manière convenable.

De la séparation du pouvoir judiciaire et exécutif et diversification des sources de droit

Lorsque l’islam entra en contact avec d’autres peuples, il devint une nécessité d’établir un système judiciaire efficace. En effet, augmentation de la population signifie aussi augmentation des affaires judiciaires. Le calife ainsi que les gouverneurs, ayant de plus en plus d’affaires à gérer, Omar décida de donner aux juges une autorité indépendante afin que les gouverneurs soient totalement disponibles pour s’occuper de la bonne administration de leur province.

Il devint ainsi le premier à séparer le pouvoir judiciaire du pouvoir exécutif, ce qui ne l’empêcha pas d’intervenir lorsqu’il l’estimait nécessaire. Omar attendait de nombreuses choses de ses juges : la sincérité envers Allah pour chaque action, une compréhension précise de l’affaire, une décision finale en accord avec la charia, la consultation d’autres personnes, ou autrement dit de témoins, si le juge a des doutes, traiter les plaignants de manière égale, encourager le faible afin qu’il ne soit pas effrayé de s’exprimer, traiter rapidement l’affaire d’un étranger afin qu’il rentre rapidement chez lui et ne reste pas trop longtemps éloigné des siens, éviter tout ce qui pourrait influencer le juge (accepter des cadeaux par exemple) et considérer l’accusé innocent jusqu’à ce que le contraire soit prouvé.

Il participa également à développer les sources de droit, qui se limitaient à l’époque du Prophète au Coran, à la sunna et à l’ijtihad, un effort de réflexion et d’interprétation faisant appel à la raison humaine. Mais devant la complexité des affaires judiciaires reportées aux gouverneurs et au calife, d’autres sources émergèrent de ce contexte, tel que la consultation (choura), le consensus (’ijma’), l’opinion personnelle du juge (ra’y) et le raisonnement par analogie (qiyas).

Ce qu’on peut retenir du califat d’Omar Ibn El khattab, c’est cette force du gouvernant à s’adapter à un environnement totalement nouveau. Il faut se replacer dans le contexte de l’Arabie de l’époque où Omar a grandi. La population était alors exclusivement arabe, tribale, de culture relativement similaire et ni le Prophète ni Abu Bakr n’ont gouverné un peuple démographiquement aussi important que celui sous Omar Ibn El Khattab. Gouverner n’a pas donc nécessité seulement une bonne application du schéma précédemment établi par ses prédécesseurs, mais une capacité de s’en éloigner parfois, avec intelligence, dans la bonne compréhension du contexte en pleine transition et dans le respect des valeurs et des lois islamiques. Omar Ibn El Khattab, grâce à ses qualités humaines et intellectuelles, a su mener à bien cette mission. Le Messager a dit à son sujet : « Je n'ai jamais vu un génie qui puisse l'égaler. » (Bukhari et Muslim).

*****
Maryam Ali, étudiante, est membre d'El Médina, une association animée par la volonté de partager la connaissance et la compréhension de l'histoire, la culture et l'héritage de la civilisation arabo-musulmane. El Médina, en partenariat avec Saphirnews, propose chaque semaine de partir à la redécouverte de cette civilisation.

Lire aussi :
Al-Andalus : se perdre dans l'Histoire pour mieux se retrouver
Un héros mystique dans le soufisme : la figure de l’Homme parfait
Enchanter sa spiritualité à travers l'écriture poétique
La quête du savoir dans la civilisation arabo-musulmane (1/2)
La quête du savoir dans la civilisation arabo-musulmane (2/2)