Points de vue

Laïcité et diversité : lettre ouverte au président de la République

Par Kamel Kabtane et Mahjoub Bentebria*

Rédigé par Kamel Kabtane et Mahjoub Bentebria | Lundi 12 Aout 2013 à 16:04



Monsieur le Président de la République,

A l’occasion de la fête de l’Aïd al-Fitr qui met fin au mois sacré du Ramadan, nous nous permettons de vous renouveler nos meilleurs vœux de force et sagesse dans la tâche redoutable qui vous a été confiée par la majorité du peuple français.

Nous sommes convaincus que vous ne ménagerez aucun effort, en tant que président de la République, pour que notre pays connaisse des avancées historiques dans beaucoup de domaines et que vous donnerez l’espoir à tous les Français d’être toujours confiants dans les valeurs républicaines qui forgent leur pacte social.

Le combat pour les libertés individuelles connait chez nous un véritable regain et bien des tabous ont été levés pour que l'éventail des libertés revendiquées ne cesse de s'élargir. Mais le débat politique sur l'identité nationale prend un virage dangereux et nous inquiète en tant que citoyens de confession musulmane.

La vision ouverte et pluraliste de la société française que nous défendons et soutenons subit les foudres conjuguées de deux courants en rupture avec les grandes orientations républicaines de la France.

D'un côté, une vision « nationaliste conservatrice et islamophobe » voit la France d'aujourd'hui comme ayant trop concédé à la diversité culturelle. Le respect des cultures minoritaires, une laïcité plus ouverte, des pratiques d'accommodement raisonnable mettraient en péril une culture française authentique, éclipsant la mémoire de la majorité des Français, qualifiés de « souche ».

De l'autre côté, une vision stricte de la laïcité récuse les manifestations religieuses ostentatoires dans la sphère publique. Elle entend renvoyer le religieux hors de l'espace public, au nom cette fois d'une conception de la société qui limite tout signe d'allégeance religieuse au seul espace privé.

Ces deux courants, a priori différents, se rejoignent d'abord dans une même attitude d'intransigeance envers l’islam, exigeant de toutes celles et ceux qui s’y rattachent de se plier à une vision de la société française qu'ils n'auraient pas contribué à forger. Ils se rencontrent ensuite dans l'invocation d'une pseudo incompatibilité de l’islam avec les valeurs de la démocratie et de la République dans notre pays.

Mais il existe une autre vision de notre société, plus tolérante et surtout plus dynamique dans sa conception des rapports sociaux. Elle correspond mieux aux exigences de la France moderne que vous défendez.

En tant que musulmans de France, nous devons défendre énergiquement le respect de nos lois et de nos institutions républicaines, tout en exigeant la levée de tous les obstacles qui empêchent notre légitime et pleine participation à la vie politique, sociale et économique de notre pays.

Pour nous, le respect et la reconnaissance de la diversité ne signifie pas qu'il faille tolérer des pratiques religieuses extrémistes, ni que la société française doive être conçue comme la juxtaposition de communautés repliées sur elles-mêmes.

Au contraire, nous nous inscrivons dans la logique des valeurs démocratiques. Dans cet esprit, le rôle de l'État consiste à élaborer les normes collectives indépendamment des groupes religieux ou de conviction. Conformément à la Constitution, il doit exercer sa neutralité en s'abstenant de favoriser ou de gêner, directement ou indirectement, une religion ou une conception séculière de l'existence, dans les limites du bien commun.

Cette orientation politique répond à l'exigence de protéger la liberté de conscience et sa libre expression, de même que l'égalité des citoyens. Cela signifie que les droits civiques et politiques ne sont pas conditionnels à l'abdication des croyances et des pratiques de ceux qui les expriment.

Or, comme le savez, Monsieur le président de la République, un discours politique néfaste prône l'idée que l'appartenance religieuse à l’islam, exprimée publiquement, serait préjudiciable à l'identité nationale.

Cette attitude dangereuse pour la démocratie en France s’appuie sur une argumentation juridique fallacieuse pour interdire, en réalité, la manifestation de l'adhésion religieuse à l’islam dans la sphère publique ainsi que les demandes d'accommodement pour motif religieux.

Une telle interdiction aurait un effet discriminatoire, car elle ne viserait que les croyants appartenant aux seules religions comportant des prescriptions vestimentaires ou alimentaires. Mais surtout, elle serait disproportionnée par rapport aux objectifs, notamment la neutralité des services publics, encadrée par la laïcité.

Cette neutralité institutionnelle exige que les normes collectives soient appliquées de manière impartiale, quels que soient le sexe, l'origine ethnique ou l'appartenance religieuse.

En revanche, l'interdiction de signes religieux peut être justifiée si ceux-ci entraînent un dysfonctionnement du service, un problème de sécurité, un traitement discriminatoire à l'égard d'autres personnes ou encore, s'ils donnent lieu à un prosélytisme. La laïcité s'impose à l'État, non aux individus.

Elle devrait une fois pour toutes être comprise non comme un athéisme militant, une hostilité déclarée aux croyances religieuses, mais bien au contraire comme un devoir fait à l'État d'être le garant et le protecteur du libre exercice des croyances dans leur diversité, et également de la non croyance.

Pour nous, toute atteinte à ce libre exercice, toute pratique et tout discours de haine à son encontre devront être sanctionnés par la loi. Une fois ce principe imposé à tous, la laïcité devient l'affaire de tous, croyants ou non, partageant l'aspiration à vivre ensemble en paix dans une société française garantissant les mêmes droits et libertés à l'ensemble des citoyens, quelles que soient leurs confessions religieuses ou leurs convictions philosophiques.

Elle consolidera aux yeux de tous les citoyens, sans faux-fuyants, la nécessaire séparation du religieux et du politique, et donc celle de la nature même de l'État.

Contrairement aux affirmations politiques et médiatiques simplistes, cette idée a toujours été défendue et illustrée, et continue à l'être, par des penseurs musulmans, en France et ailleurs dans le monde musulman. Tout cela nous permet d’affirmer que l’islam n’est ni incompatible avec la laïcité ni avec la démocratie.

Pour toutes ces raisons, nous prenons la liberté de vous soutenir dans la recherche constante d’un équilibre social et culturel qui honore la France car il demeure la condition d'un authentique vivre-ensemble. Nous vous prions, Monsieur le président de la République, d’agréer l’expression de notre très haute considération.

*Kamel Kabtane, recteur de la Grande Mosquée de Lyon, et Mahjoub Bentebria sont coordinateurs de Mosquées et Musulmans solidaires, crée