Société

Jihad Syrie : « C’est au gouvernement d’aller chercher les mineurs »

Rédigé par | Mercredi 9 Avril 2014 à 17:25

A l'initiative de Dounia Bouzar, auteur du livre « Désamorcer l’islam radical », et à l'appel d'une trentaine de familles de jeunes Français partis en Syrie pour un prétendu « jihad », une pétition « Rendez-nous nos enfants ! » a été lancée, mercredi 9 avril, pour réclamer « la fin de la passivité » des autorités françaises et la mise en place d'un dispositif de prévention pour endiguer les départs. Dounia Bouzar, qui a récemment fondé le Centre de prévention contre les dérives sectaires liées à l'islam (CPDSI), revient pour Saphirnews sur cette démarche dans laquelle elle s'est pleinement impliquée.




Saphirnews : Vous lancez une pétition pour réclamer du gouvernement de se préoccuper du sort de mineurs partis en Syrie. Combien de cas avez-vous recensés ?

Dounia Bouzar : En tout, j'ai recensé une dizaine de cas de jeunes en Syrie. Il y a Assia, 24 mois, qui a été prise par son père pour devenir « martyr en Syrie » (le seul cas connu de mineurs enlevé par un parent à ce jour, ndlr). Les autres mineurs – notamment Sarah et Nora, 14 et 15 ans – sont partis seuls, en faisant semblant d’aller à l’école… Après, il y a les parents qui n’osent pas en parler car ils craignent que cela énerve les « jihadistes » de là-bas. Ce qui est grave, c’est qu’au fond ces familles se retrouvent seules face à cette mise en danger de leur enfant, et parfois même suspectées « coupables » d’être de mauvais parents ou « trop musulmans ». Nous avons lancé la pétition « Rendez-nous nos enfants » pour affirmer que faire croire à des enfants qu’ils doivent mourir en Syrie pour amener ceux qu’ils aiment au Paradis n’est pas de l’islam, mais un endoctrinement.

Quelle est la position du Quai d'Orsay, à ce jour, sur ces situations ?

Dounia Bouzar : Dans leur ensemble, les autorités estiment qu’il s’agit d’un phénomène « religieux » : les gens qui partent là-bas ailleurs seraient « trop musulmans » ! Du coup, leur préoccupation reste la répression et le repérage des « réseaux terroristes ». Tant qu’ils ne comprendront pas qu’il s’agit d’un endoctrinement, ils n’accepteront pas de réfléchir sur de la prévention.

Du coup, ils n’aident pas les familles, que les enfants soient encore là ou déjà partis. C’est pour cette raison que l’on organise cette conférence de presse (le 9 avril, ndlr) : nous avons construit une vidéo pédagogique « Endoctrinement, mode d’emploi » qui prouve qu’il s’agit non pas de religion, mais bien d’endoctrinement qui peut atteindre tout un chacun, et la pétition pour que tous les pères et mères se sentent concernés. Ces enfants ne sont pas des coupables.

Que souhaitez-vous voir faire les autorités ?

Dounia Bouzar : C’est au gouvernement d’aller chercher ces mineurs qui pleurent au téléphone pour retrouver leurs parents. Pas aux pères de mettre un sac à dos et de faire un crédit Cofidis pour tenter de récupérer leur progéniture. Ce sont nos enfants à tous. On doit se donner la main pour les récupérer et faire en sorte que cela n’arrive plus.

La pétition lancée mêle le cas d'Assia à ceux d’adolescents ou jeunes adultes partis d’eux-mêmes comme Jean-Daniel, Nicolas ou Nora, bien qu’endoctrinés. Les considérez-vous tout aussi otages qu’Assia à qui vous réclamez ce statut ? N’opérez-vous pas une distinction entre les situations ?

Dounia Bouzar : Les cas sont distincts puisque Assia est victime d'une personne qui a été endoctrinée. Mais Assia est notre mascotte parce qu’elle a 24 mois, que son père (âgé de 25 ans, ndlr) s’est radicalisé en deux mois. Dans la vidéo, Meriem, sa mère, témoigne combien son mari était un homme bon et généreux avec tous lorsqu’il était musulman pratiquant. Il a basculé en moins de deux mois, avec toutes les étapes de rupture et de haine qui séparent la religion de la dérive sectaire. Comme les adolescents. Le processus est le même. Personne ne vient au monde persuadé qu’il doit mourir en Syrie. (...) Ils sont otages dans la mesure où il y a une emprise morale et physique exercée sur eux.

Vous avez créé le CPDSI dans un contexte où l'on parle énormément des départs de jeunes vers la Syrie pour le « jihad ». Quel regard portez-vous sur ce phénomène en tant qu’ex-éducatrice ?

Dounia Bouzar : Le CPDSI n’est pas lié à la Syrie mais à mon livre (Désamorcer l’islam radical, ndlr) : de nombreuses familles, musulmanes ou pas, m’ont appelée pour me dire à quel point elles retrouvaient la description de leur enfant dans le livre, et combien jusque-là elles avaient été seules.

On est dans un contexte sécularisé où il n’y a pas de régulation de clan quand un jeune se fait endoctriner par Internet. Personne ne détecte une fille ou un garçon de 15-16 ans à qui l’on fait croire qu’il peut sauver le monde en allant se faire exploser en Syrie. Si cela arrive, c’est parce qu’on n’a pas fait notre boulot en France, qu’on n’a pas mis des indicateurs en place pour prévenir ces morts. Il faut faire de la prévention.

Par « on », vous entendez la France ?

Dounia Bouzar : Nous, c’est le gouvernement, les institutions, les musulmans, tout le monde… la grande famille française. Je pense qu’il y a une difficulté générale à parvenir à distinguer ce qui relève de la religion musulmane et ce qui révèle d'une emprise mentale. C’est un travail difficile, les autres religions en ont d’ailleurs bavé, en particulier la religion chrétienne. Je pense qu’on a tous une responsabilité là-dessus. Quand un jeune part se faire exploser en Syrie parce qu’il pense qu’il va sauver le monde ainsi, on est coresponsable de la « non-assistance à personne à danger ».

Qu’entendez-vous par faire de la prévention ?

Dounia Bouzar : Il s’agit d’aider les parents et les professionnels à discerner l’emprise mentale de la croyance et de la pratique de l’islam, et ensuite de leur apprendre à désendoctriner la victime, au sens de l’aider à repenser par elle-même, en tant qu’individu, et non pas se contenter de réciter Internet en état d’hypnose…

Vous demandez aux autorités de prendre leurs responsabilités pour aider dans votre tâche au CPDSI. Comment ? Et n'y a-t-il pas risque pour vous d'une éventuelle instrumentalisation de votre travail par les pouvoirs publics ?

Dounia Bouzar : C’est le rôle des autorités publiques parce que la protection des libertés de conscience et des droits de l’enfant fait partie de ce que notre Constitution garantit aux citoyens. S’ils me donnent les moyens de travailler, c’est qu’ils reconnaissent enfin ma compétence depuis 18 ans de travail. Si j’étais instrumentalisée, partir, je sais faire. J’ai claqué la porte du CFCM quand j’ai réalisé que j’étais « la non-voilée » qui faisait croire qu’on allait travailler sur la pratique du culte musulman en France, alors que les autorités de l’époque continuaient à faire de la « diplomatie de seconde zone » avec le CFCM « du haut », avec les dirigeants de l’Algérie et du Maroc... A cause de cette opposition, j’ai perdu mon boulot. Mais derrière un mal, il y a toujours un bien. Cela m’a obligée à monter ma boîte, et maintenant, à 50 ans, je suis une femme libre. Sans liberté, on ne peut pas travailler sur la question musulmane, encore moins sur l’instrumentalisation de l’islam, de part et d’autre.



Rédactrice en chef de Saphirnews En savoir plus sur cet auteur