Religions

Islam de France : vers une structuration de l’AMIF, une dynamique collective à l’œuvre

Rédigé par La Rédaction | Jeudi 29 Novembre 2018 à 12:00

C’est à l’Institut des cultures d’islam que Hakim El Karoui a choisi de rassembler, dimanche 25 novembre, quelque 80 personnalités de la société civile et cadres religieux musulmans venus de toute la France pour une réunion inaugurale de travail autour du projet de l’Association musulmane pour l’islam de France (AMIF). Saphirnews fait le point.



Une certaine effervescence régnait dimanche 25 novembre à l’Institut des cultures d’islam (ICI), où Hakim El Karoui, qui en a été le président de 2010 à 2011, a décidé d’organiser une session de travail collective visant à structurer le projet de l’Association musulmane pour l’islam de France (AMIF), l’idée étant désormais de « passer de la théorie à la pratique ».

À l’issue de cette journée qui a rassemblé près de 80 imams, cadres religieux, responsables associatifs et personnalités de la société civile, dont une petite quinzaine de femmes, l’AMIF est demeurée en l’état de projet. Mais les participants sont sortis avec une vision plus claire des objectifs et des tâches à lancer pour mettre la machine en route.

Hakim El Karoui le reconnaît lui-même : « Beaucoup de travail sur le court terme » est à réaliser à ce stade. « Il faut que le projet ait un début d’existence avant l‘expression politique » du gouvernement, dit-il. Une expression qui se fait attendre depuis des semaines, mais dont l’essayiste prédit qu’elle sera faite d’ici à la fin de l’année 2018. « Nous devons proposer puis convaincre sur la qualité du projet, de ses objectifs, et sur la capacité à faire le travail de régulation. Une capacité fondée sur quelques principes comme le professionnalisme et l’indépendance. »

En préambule, avant la tenue de commissions au nombre de quatre (« Collecte et régulation » ; « Travail théologique et formation des imams » ; « Services aux mosquées » ; « L’islam dans la cité et la cohésion nationale »), il insiste sur la nécessité d’« impliquer tous les Français de confession musulmane » dans le projet. Encore faut-il que le projet crée un capital confiance, notamment avec les fidèles. Ces derniers « adhéreront s’ils voient une valeur ajoutée avec des services qui doivent être très concrets », en rompant avec « un système opaque », estime Hakim El Karoui.

« L’intérêt des Français est aussi l’intérêt des musulmans »

« Avoir la confiance de l’État, ce n’est pas être soumis à l’État », précise-t-il, en prenant les exemples de l’Église catholique, de la Fédération du protestantisme et du Consistoire central israélite. « Aujourd’hui, l’État cherche des organisations musulmanes en qui il peut avoir confiance. Il a confiance en des interlocuteurs mais il n’a pas réussi à créer un système de confiance avec une organisation nationale. Pour avoir la confiance de l’État, il faut être clair sur les valeurs. (…) Dans la République française du XXIe siècle, ces valeurs doivent être celles de la société française », plaide-t-il. Ces valeurs, édictées dans un document remis aux participants, sont au nombre de six : « L’acceptation de la liberté de culte, l’acceptation de la liberté de conscience, le respect de la laïcité, l’égalité hommes-femmes, une mise en avant de la jeunesse, la défense de la place des musulmans dans la citoyenneté française. »

« Les musulmans ne sont pas à part dans la République mais ils sont partie prenante. La République et les Français non musulmans les regardent, attendent d’eux un certain nombre de choses, notamment un engagement contre l’extrémisme et le terrorisme. Je sais que c’est compliqué parce que beaucoup disent : "Nous ne sommes pas responsables, nous sommes victimes." Évidemment que nous sommes victimes, mais s’il n’y a pas un engagement public, clair, professionnel vis-à-vis de ce qu’attend l’ensemble de la collectivité nationale, on va créer du doute. Et le doute est exploité par beaucoup de monde », prévient-il. « L’intérêt des Français est aussi l’intérêt des musulmans, car les musulmans sont des Français comme les autres. »

Quant à « l’immense travail théologique » à faire, il faut permettre à des religieux comme à des laïcs de « fabriquer des idées, des contenus, mais aussi de les diffuser. La diffusion est aussi importante que la fabrication. Sinon, nous laissons le champ médiatique, celui qui va intéresser les jeunes, souvent à des ignorants qui peuvent être dangereux », affirme-t-il, en référence aux réseaux sociaux, « quasi capturés par une seule lecture, plutôt proche du salafisme ».

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Une AMIF « au service d’une communauté spirituelle dans une communauté nationale »

À ce titre, le financement du travail théologique est une des pierres angulaires du projet. Un des participants dont on taira le nom appelle à « mener une véritable campagne idéologique contre les idéologies qui menacent le vivre-ensemble ». Pour Tareq Oubrou, impliqué dès le départ dans le projet de l’AMIF, « il y a urgence » à créer cette instance « mais il ne faut pas que l’urgence se fasse aux dépens du fondamental ».

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« Cette institution ne devra pas être une institution politique. L’islam n’est pas une religion politique, ce n’est pas non plus la religion d’un peuple », oriente le recteur de la mosquée de Bordeaux. « Nous sommes au service d’une communauté spirituelle dans une communauté nationale. (…) Il faut une parole religieuse fondée mais ouverte. On ne peut pas importer une théologie d’un autre âge, d’une autre géographie, d’une autre culture. On doit inventer une doctrine théologique qui gère la diversité de la communauté dans une société sécularisée. Et ce travail est urgent. »

Un imam présent fait vœu que le conseil théologique puisse refléter « la diversité des courants de pensée avec lesquels on peut ne pas être d’accord » car, « en réalité, c’est dans l’échange que nous arriverons à changer les choses ». Si, à ce stade, il n'est pas encore question de nommer des personnes dans le conseil, la forme du discours religieux, la place que doivent occuper les femmes dans la gestion des mosquées et des associations musulmanes ou, bien plus sensible encore, l’imamat des femmes ont fait partie des sujets évoqués dans le cadre de la commission « Travail théologique ». Pour une participante, la création de l’AMIF est une « chance historique » de « solliciter la matière grise des femmes » pour formuler une théologie plus inclusive du féminin et aider ces mêmes femmes à « intégrer » davantage les espaces musulmans.

« Si l’AMIF récolte suffisamment d’argent… »

Pour certains participants, il s’agit de ne pas mettre les charrues avant les bœufs et d’avancer des sujets susceptibles de « tuer le projet dans l’œuf ». « Il faut que nous allions à la rencontre des musulmans pour leur expliquer le projet, car ce projet ne se fera pas sans les musulmans ou contre les musulmans, c’est un projet des musulmans, ce n’est pas le projet de Hakim El Karoui. Il a eu l’idée mais quand une bonne idée est lancée, elle cesse d’être l’apanage de celui qui l’a lancée pour devenir celle de tout le monde », estime un cadre. « L’avenir retiendra ceux qui ont vraiment voulu agir pour la communauté et ceux qui ont voulu agir pour leurs propres intérêts. »

Plusieurs projets d’activités sont, à ce jour, sur la table. « Si l’AMIF récolte suffisamment d’argent, on pourra compléter les salaires des imams, leur apporter de l’aide pour leur formation », indique-t-on. Aider à la construction et à la rénovation des lieux de culte, financer l’action sociale musulmane...

Mais tout est dans le « si », la difficulté majeure résidant à rendre opérationnelle l’AMIF, avec des acteurs économiques du hajj et du halal – absents de la réunion – des plus réticents à reverser une quelconque redevance, en l’état actuel de la situation. Or, c’est bien connu : l’argent est le nerf de la guerre… Les discussions au sein de la commission « Collecte et régulation » n’ont d’ailleurs pas manqué d’être vives, en particulier autour du pèlerinage et de la récolte des dons, sujets auxquels ont dû se limiter à discuter les participants, faute de temps.

Avec un nombre plus restreint de personnes, les échanges dans la commission « Services aux mosquées » étaient, en revanche, bien plus sereins. Un consensus a ainsi vite été trouvé sur l’importance de doter, par l’entremise de l’AMIF, les associations gérant les mosquées d’outils et de guides pour les accompagner, entre autres, sur les plans légal, juridique et fiscal.

Évoquant des discussions avec le gouvernement qui sont « prometteuses », « je ne vous cache pas que ce n’est pas gagné. Plus on sera unis, divers, nombreux, plus on saura créer une dynamique, et plus on a de chances d’y arriver », souligne, en conclusion de la journée, Hakim El Karoui, qui insiste sur l’importance de « créer un rapport de force en créant une dynamique ». Une dynamique dont on attend alors de voir les résultats.

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