Monde

Gaza Freedom March : un succès malgré tout

Rédigé par Propos recueillis par Leïla Belghiti | Mardi 12 Janvier 2010 à 00:08

Déçus, mais déterminés. Partis par centaine des quatre coins du monde pour manifester leur colère face à la répression israélienne sur la bande de Gaza, ils ont dû camper au Caire, interdits d'aller plus loin par les autorités égyptiennes. Quelque 300 Français ont rejoint la désormais historique « Gaza Freedom March », chapeautée par l'association Europalestine. Un voyage mouvementé, que nous décrit Tahar Houhou, un fervent militant de la cause palestinienne, représentant du mouvement des Citoyens du monde, quelques jours seulement après son périple.



Seuls 87 délégués ont pu entrer à Gaza, sur les quelque 1 400 marcheurs pour la paix. Ici, un des bus affrétés qui a pu entrer (photo : Kelly Van Pelt et Morgan Elzey - Flickr)

Saphirnews : Qu'est-ce qui vous a décidé à rejoindre l'appel de la Gaza Freedom March ? 


Tahar Houhou : Ma motivation était essentiellement humaniste. Je milite depuis trente ans pour différentes causes qui concernent l'humanité et mon but était de témoigner de ma solidarité auprès des habitants de Gaza, en contribuant avec d’autres citoyens du monde entier à briser le blocus dont ils sont victimes.

Quel a été votre sentiment à l'arrivée à l'aéroport du Caire ?

T. H. : Un sentiment de joie. Je me disais qu’on s’approchait de l’objectif. Et, en même temps, je devais rester serein parce qu’on était encore loin de Gaza !

Avez-vous été surpris par la réaction des autorités égyptiennes ?

T. H. : Pas vraiment, on espérait tout de même faire le voyage jusqu’à Rafah. On ne s’attendait pas à être bloqué au Caire. Les autorités égyptiennes ont été de mauvaises foi, en refusant de reconnaître qu’elles étaient à l’origine du blocage et qu’elles n’étaient pas responsables du refus de la compagnie de bus de nous emmener à Rafah.

Quelle a été votre réaction immédiate ?

T. H. : Sur place, la première nuit, nous avons manifesté notre colère en occupant pendant plus de deux heures la chaussée. Cela provoqua un énorme embouteillage et mis l’ambassade de France − où les 300 marcheurs s’étaient donné rendez-vous − dans une situation délicate vis-à-vis des autorités égyptiennes.
Ensuite, nous nous sommes rabattus sur le trottoir, poussés par les forces de l’ordre, qui finirent par nous encercler. C’est ainsi que commença la première nuit sur le trottoir dans le quartier de Giza, face au parc zoologique et derrière l’ambassade de France.
Question hygiène ce fut très compliqué. Des heures d’attentes la première nuit, puis la situation se compliqua la deuxième nuit, avec l’interdiction aux non-Français d’accéder à l’unique toilette du lieu. Les manifestants de la marche pour la paix venaient du monde entier. États-Unis, Grande-Bretagne, Belgique, Italie, Afrique du Sud, Corée, Japon..., mais sur le trottoir nous étions majoritairement Français. À partir de la troisième nuit et à la quatrième, les choses se sont améliorées : les autorités se sont rendu compte que l'on était déterminé à ne pas bouger de ce trottoir !

Que vous avez surnommé la « bande de Giza »...

T. H. : Oui, ce trottoir qui était une véritable Gaza miniature avec ses vrais check-points et des privations sous haute surveillance.
Enfermés, privés de tout,
une toilette pour 300, rien à manger, rien à boire. Encerclés par plus de 1 000 policiers, eux-même affamés, assoiffés. Nous nous alimentions comme nous pouvions.

Receviez-vous des aides alimentaires ou autre de la part de la population locale ?

T. H. : Non, nous ne recevions pas d’aide de la population locale. Nous achetions nous-mêmes nos rations alimentaires. La solidarité aurait pu s'exprimer s'il n'était difficile pour les Égyptiens de nous approcher en raison d’une grosse surveillance policière.

Certains auraient subi des violences policières...

T. H. : Personnellement, non. Mais deux de mes amies ont été frappées, tirées violemment du sol, elles se sont retrouvées avec de légères blessures.

Le convoi Viva Palestina (140 camions et voitures chargés de nourritures et de matériel médical) a réussi à passer la frontière, mercredi, la manifestation au Caire y est-elle pour quelque chose ?

T. H. : Je ne suis pas certain. Les autorités égyptiennes ont une manière bizarre de négocier. Elles disent oui mais il faut comprendre non ; et quand elle disent non, c’est pour essayer de montrer qu’elles ont le pouvoir, et vous font miroiter un tout petit oui, mais à leur sauce.
Leur véritable crainte, c’est que le virus de la liberté de parole et de critique touche la population. Nos actions ont eu pour conséquence d’attirer la sympathie des foules égyptiennes qui, par centaines, lors de la quatrième nuit, passèrent en cortège à coups de klaxon, en narguant les forces de l’ordre.
Ce rapport de force avec les autorités égyptiennes était en notre défaveur, en raison de la situation politique à l’intérieur du pays. Le pouvoir oppressif ne pouvait pas perdre la face au risque d’encourager sa population à se révolter.
Les autorités égyptiennes ont annoncé dimanche qu’elles interdiraient désormais tout passage de convois humanitaires sur son territoire.
La publicité faite autour de ces convois a terni l’image d’un régime dictatorial : vendredi passé, les Égyptiens ont décidé de manifester un peu plus que d’habitude leur soutien au peuple palestinien et leur opposition au régime de Moubarak, en se rassemblant autour de la mosquée d'Al-Azhar [qui a, par ailleurs, soutenu la décision du président Moubarak d'ériger un mur de séparation entre l'Égypte et les territoires palestiniens, ndlr].

La Marche pour la paix ne fut finalement pas un grand succès...

T. H. : Bien sûr que la manifestation fut un succès ! Tout le Caire était au courant et les médias − surtout arabes − ont bien couvert l'événement. Il y a eu notamment des échanges importants entre citoyens du monde entier. Nous sommes arrivés dispersés à 1 400 et nous sommes revenus unis avec nos réseaux en commun. Nous avons laissé au Caire des graines de révoltes, qui finiront bientôt par éclore.

La Marche pour la paix a réuni quelque 1 400 personnes venues de 44 pays. C'est au Caire, et non à Gaza ni même à Rafah, qu'une grande majorité d'entre eux ont dû passer leur fin d'année 2009. Partis pour dénoncer la politique israélienne à travers une marche pacifique vers Gaza, ils ont vu leur entrée à Rafah interdite par les autorités égyptiennes ; Rafah étant le seul point de transit possible vers le Territoire palestinien sous blocus depuis trois ans.

De la Gaza Freedom March est née la Déclaration du Caire, adoptée par les 1 400 Marcheurs de la liberté pour Gaza, pour « mettre fin à l'apartheid israélien ». Une déclaration historique, à l'initiative d'une délégation sud-africaine. Dénonçant, entre autres, la « punition collective des Palestiniens » et le « mépris de la démocratie palestinienne » par Israël, les États-Unis et les pays européens, la déclaration veut déclencher un nouveau mouvement « anti-apartheid démocratique de masse mondiale ».

Pour les Marcheurs de la paix, la fin de l'apartheid en Afrique du Sud est un exemple et une motivation certaine. Les actions proposées pour mettre fin au blocus israélien sont pour beaucoup similaires à celles observées en 1991. Pour lire la « Déclaration du Caire », cliquez ici.