Economie

Diversité religieuse : « Ces questions correspondent à un besoin réel des entreprises »

Management et religions

Rédigé par Anissa Ammoura | Mardi 9 Juin 2009 à 10:00

Lancé officiellement le 15 mai, le guide « Gérer la diversité religieuse en entreprise » est destiné aux entreprises désireuses d'impulser une démarche interne de lutte contre les discriminations. Créé par l'IMS-Entreprendre, une association fédérant plus de 200 entreprises, cette brochure pratique de 25 pages comprend deux grandes parties : le cadre légal français et la gestion de la diversité religieuse en entreprise, avec des conseils et des exemples concrets de situations, fondés sur des témoignages de responsables de société. Deux de ses concepteurs, Benjamin Blavier et Inès Dauvergne, expliquent à Saphirnews l'intérêt d'un tel projet.




Pourquoi avoir créé ce guide ?

Benjamin Blavier : Notre association a pour but d'accompagner les entreprises dans le déploiement de leur politique de lutte contre les discriminations et de promotion de la diversité. En matière de diversité religieuse, celles-ci ne sont pas très au courant du cadre légal. Il y a aussi un souhait de plus en plus fort de la part des salariés d'être respectés dans leur diversité religieuse. Nous nous sommes donc dit qu'il fallait travailler sur un guide très pratique, pour que les entreprises puissent aborder le sujet en interne, de façon non passionnée, au lieu de rester dans le tabou, ce qui est encore beaucoup le cas.

Est-ce le premier du genre ?

Inès Dauvergne : Sur la question du fait religieux, c'est le premier guide publié, que ce soit au niveau de la précision du cadre juridique ou même de la gestion de la diversité religieuse de façon générale.
C'est aussi beaucoup parce qu'on est dans un pays où dès que l'on parle de religion on touche à un sujet extrêmement tabou. Personne jusqu'à présent n'avait voulu ni eu envie de prendre position sur ces sujets. Nous nous sommes dit qu'étant donné que ces questions correspondaient à un besoin réel des entreprises, il était tout à fait possible de le traiter de façon très pragmatique et surtout dépassionnée, en donnant des exemples de bonnes pratiques de ce que peuvent faire les entreprises pour concilier tout à la fois les demandes des salariés, le respect de leurs convictions et l'intérêt du bon fonctionnement de l'entreprise.

D'où vient le manque de connaissances : du cadre juridique ou des religions elles-mêmes ?

B. B. : Ce sont les deux à la fois. Il y a beaucoup de méconnaissances sur les différentes demandes de salariés, qu'il s'agisse des rites alimentaires, des coutumes vestimentaires, des congés ou des adaptations de travail. D'ailleurs, ces sollicitations ne concernent pas simplement l'islam, car aujourd'hui on a souvent tendance à réduire la question de la diversité religieuse à celle de l'islam en entreprise.
On s'est dit qu'il fallait informer les managers sur les différentes demandes qu'ils peuvent avoir à traiter car, dans la plupart des cas, cela ne pose pas vraiment de problèmes de fond. Pour les autres cas, plus complexes, il faut réfléchir et se référer aux règles juridiques d'organisation.

I. D. : Aujourd'hui, le cadre législatif est clair mais très peu connu. Il faut donc communiquer davantage dessus. Légalement, on ne peut pas discriminer les personnes en raison de leurs convictions religieuses et la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (HALDE) a précisé, dans une délibération du 6 avril 2009, que le principe de laïcité ne s'appliquait pas aux entreprises privées, que le principe qui s'appliquait dans les entreprises privées était celui de la liberté religieuse, mais à certaines conditions. En effet, cette liberté religieuse ne doit pas porter atteinte au bon fonctionnement de l'entreprise ni la désorganiser.
La gestion se fait ensuite au cas par cas : quelle est la demande précise du salarié ? Est-elle en contradiction ou pas avec l'exercice de ses fonctions ? Le cadre législatif est aussi clair que possible, mais on est dans la nécessité de l'individualiser.
D'autre part, le guide ne suffit pas en soi. Il a vocation d'ouvrir le débat, de donner des informations claires. Toutes les entreprises doivent a minima appliquer le cadre légal et ne pas discriminer les salariés ; après, dès lors que l'entreprise veut aller plus loin et mettre en place des pratiques de gestion de la diversité religieuse, c'est à elle de se poser la question si elle a envie de le faire ou pas.

Par exemple ?

I. D. : Par exemple, prendre en compte les contraintes et interdits alimentaires : l'entreprise a l'obligation a minima, si elle a une restauration en entreprise, de faire en sorte que tous les salariés puissent, a priori, se restaurer. Par exemple, si elle met systématiquement du porc à déjeuner à la cantine et uniquement du porc, on peut considérer cela comme de la discrimination à l'égard des salariés qui n'en mangent pas. En revanche, elle n'a pas pour autant l'obligation de proposer de la viande casher ou halal dans le cadre du restaurant d'entreprise.

B. B. : Dans ce guide, on explique aux entreprises les sollicitations auxquelles elles peuvent être confrontées, sans dire ce qui est bien ou pas bien. D'autre part, nous avons donné les exemples les plus courants concernant les religions monothéistes les plus pratiquées en France. Il ne s'agit pas d'une liste exhaustive ni d'une liste théologiquement indiscutable. Pour la partie juridique, nous avons travaillé avec Michel Miné, un juriste spécialisé sur les questions de discriminations, et avec les services juridiques de la HALDE. Sur le plan des pratiques religieuses, nous avons travaillé avec Patrick Banon, historien et chercheur en sciences des religions.

Quels types d'entreprises sont intéressés par ce guide ?

I. D. : Il n'y a pas de type particulier d'entreprises, tous les secteurs d'activité confondus semblent concernés : banques, assurances, secteur de l'intérim, bâtiment et travaux publics (BTP), transports... L'éventail est assez large. Ce constat justifie l'écriture de ce guide. Il y a trente ans, dans les années 1960-1770, le secteur automobile avait déjà commencé à travailler sur ces questions, mais la diversité religieuse était surtout orientée sur l'islam, et pas sur toutes les religions, et plus particulièrement sur les populations ouvrières non qualifiées.
Aujourd'hui, tous les niveaux hiérarchiques des entreprises sont confrontés à une diversité religieuse, c'est-à-dire que l'on peut aussi bien avoir des demandes émanant de l'encadrement (cadres et top managers) en matière de respect de leurs convictions religieuses.

Où ce guide est-il disponible ?

I. D. : Nous l'avons distribué gratuitement dans notre réseau d'entreprises, et ce depuis le début de l'année 2009, car l'IMS a vocation à trouver des outils pour ses entreprises adhérentes. On commence à le diffuser en dehors, avec une participation des personnes aux frais d'envoi et d'impression, bien que le contenu même du guide reste gratuit.
On le distribue sur demande, car nous pensons que c'est un sujet qui ne peut être traité que lorsque l'entreprise a déjà engagé une démarche de diversité et de prévention des discriminations. Pour le moment, le guide est très bien accueilli par les entreprises.

Proposez-vous des formations à l'attention des managers sur ces questions ?

I. D. : Effectivement, nous formons déjà les managers à la gestion de la diversité, de façon générale, en intégrant cette dimension religieuse. Les managers se posent des questions très pratiques, ils s'interrogent sur ce qu'ils ont le droit de faire ou de ne pas faire.
Par exemple, le fait de prendre en compte les grandes fêtes religieuses quand on organise un événement d'entreprise, c'est quelque chose de simple. Une fois que l'on y pense, on se dit que cela paraît évident, au même titre que l'entreprise n'irait pas organiser la convention annuelle le jour de Noël. On leur explique de la même façon que c'est relativement maladroit de l'organiser le jour du Yom Kippour ou le jour de l'Aïd parce qu'un certain nombre de collaborateurs ne viendra pas.
Il n'y a pas d'obligations de l'entreprise, mais ce qu'on leur explique, c'est que c'est relativement contre-productif de ne pas prendre en compte la diversité religieuse si elle est présente dans ses effectifs.
Ce n'est pas tellement que les entreprises ne veulent pas la considérer, c'est souvent parce qu'elles n'y ont juste pas pensé.