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De l’islam et des musulmans, de Tariq Ramadan

Reçu à Saphirnews

Rédigé par La Rédaction | Mercredi 17 Décembre 2014 à 06:00



Présentation de l'éditeur

La « question » de l’islam obsède l’Occident. Religion, laïcité, citoyenneté, immigration, intégration, multiculturalisme, extrémisme : sur ces sujets, tout concourt à détériorer son image. Et que dire de ces jeunes qui partent follement en guerre, au jihAd pensent-ils, pour rejoindre des groupes violents qui trahissent les enseignements les plus élémentaires de l’islam ?

Dans cette confusion sans précédent, il importe de revenir aux principes et aux notions premières, en quête de solutions concrètes. Quelle conception de l’homme trouve-t-on au cœur du message islamique ? Comment le comprendre et l’incarner dans le contexte occidental ? Qu’en est-il de l’indispensable libération des femmes ? Comment lutter contre l’islamophobie ?

Questions ici posées, avec rigueur et simplicité, à l’usage des femmes et des hommes, musulmans ou non, désireux de se comprendre, de dialoguer et de vivre ensemble dans la justice et la paix. Une introduction sereine à l’humanisme de l’islam.

L'auteur

Tariq Ramadan est professeur d’études islamiques contemporaines à l’université d’Oxford et directeur du Centre de recherches sur la législation islamique et l’éthique. Il est l’auteur, notamment, de Islam, la réforme radicale, Mon intime conviction, L’Islam et le réveil arabe (Presses du Châtelet, 2008 à 2011).

Extraits de l'ouvrage - Introduction

Pas un jour sans que l’on parle de l’islam, des musulmans, de la violence ou de l’extrémisme. Tout se passe comme si le monde, et non seulement l’Occident, avait un problème avec les musulmans et l’islam. Qu’il s’agisse des régimes politiques, des traits culturels ou des relations entre musulmans (sunnites, chiites et entre les courants de pensées), force est de constater des absences de liberté, un patriarcat prédominant, des divisions, des tensions, des guerres. Les sociétés majoritairement musulmanes sont en crise.

En Occident, le paysage n’est pas plus rose : la « question de l’islam » est partout. De la religion à la laïcité, de la citoyenneté à l’immigration, de l’intégration au multiculturalisme, de la marginalité à la violence, tout semble corroborer cette impression négative. Il faut ajouter ces nouvelles aspirations de jeunes qui pendant des années ne se sont pas engagés pour les causes internationales en Afrique, au Moyen-Orient ou en Palestine, et qui soudain partent follement en guerre, au jihād pensent-ils, en Syrie ou en Irak, rejoindre des groupes violents, extrémistes, avec des méthodes effroyables qui trahissent les enseignements les plus élémentaires de l’islam.

Nous voilà en pleine confusion et l’on ne sait plus bien ce qu’est cet islam dont on parle tant, qui le représente et qui le trahit, qui en a la légitimité et qui l’usurpe. La cacophonie est partout. Beaucoup d’Occidentaux qui ne sont pas de confession musulmane sont perdus et ne retiennent que les perceptions forcément néfastes et négatives : l’islam se réduit à un problème. Au demeurant, il en est de même pour les musulmans : tout paraît confus, qui dit vrai, qui manipule, comment se situer, que dire, que faire ?

Il faut parfois revenir aux choses élémentaires, aux notions et aux conceptions premières, afin d’essayer de clarifier les choses, de dépasser la confusion et de déterminer des étapes et des priorités dans la recherche de solutions concrètes. Nos réflexions sur l’islam commencent souvent à partir de nos analyses ou de nos perceptions des problèmes rencontrés sur le terrain. C’est peut-être suivant la méthode inverse qu’il faut procéder. Appréhender les notions et les principes, puis les confronter très pratiquement avec le réel et ses défis. C’est ce que nous nous proposons de faire dans le présent ouvrage.

Il s’agit pour nous de commencer par le commencement : quelle conception de l’homme trouve-t-on au cœur du message islamique ? Comment déterminer « l’humanisme de l’islam », pour reprendre le titre de l’ouvrage de Marcel A. Boisard (Albin Michel, 1979) ? Cela nous permettra de parler du rapport au divin, du sens donné à la vie, aux autres religions et spiritualités, à la relation au cosmos, à la nature, etc. Il est impératif de revenir à ces principes fondateurs si l’on ne veut pas s’enliser dans des débats sans fin sur les incompréhensions, les excès et les extrémismes. (...)

Dans une deuxième partie, nous poursuivons ce travail de défrichage terminologique en discutant des deux notions centrales de Shahāda (témoignage) et de sharī‘a (voie) en islam. C’est armé de ce bagage que nous pouvons pousser plus loin la réflexion sur la spiritualité musulmane et ce qu’elle exige de réflexions, de compréhension, d’effort (jihād) et d’engagement. Ici encore, il ne faut pas manquer cette étape qui consiste à rappeler les fondements avant de nous engager sur une réflexion sur la situation des femmes et de leur libération, laquelle s’impose au-delà des carcans littéralistes et culturels. Il en va de même concernant la question de la culture et de l’esthétique, comme de l’engagement social. Nous traiterons de toutes ces questions dans un souci de mise en perspective théorique, sans oublier la prise en compte du réel et des vrais problèmes auxquels sont confrontés les musulmans de nos jours. La résistance et la réforme sont ici les maîtres mots sur la Voie.

Notre troisième partie se concentre sur une question de première importance aujourd’hui. Alors que l’on entend partout parler de jihād et de guerre, qu’en est-il de la conception islamique de la paix et de la guerre (jihād-qitāl) ? Comment circonscrire les contours d’une éthique de la guerre en islam ? Nous nous sommes penchés sur ces questions afin d’en éclairer la compréhension, mais aussi pour répondre aux conceptions erronées et folles défendues par certains groupements islamiques (comme Da’esh et le soi-disant « État islamique » en Syrie et en Irak), qui promeuvent la violence et le meurtre sans aucune légitimité. L’éthique islamique de la guerre répond à des conditions strictes et le jihād est une résistance dont l’objectif doit être la justice et la paix, non la violence et la terreur. Nos jeunes et nos moins jeunes doivent se libérer de ces visions manichéennes et dangereuses, accéder à une compréhension plus juste et plus approfondie de la tradition musulmane et de son message, qu’il est de notre responsabilité d’exposer sans nier la légitimité de la diversité des interprétations possibles, tout en étant très explicite sur les interprétations et les idéologies clairement anti-islamiques en ce qu’elles trahissent tous les fondements de l’islam. La diversité des opinions et l’absence d’une autorité centrale en islam, sunnite comme chiite, ne permettent pas de justifier l’injustifiable, l’horreur ou le meurtre caractérisé.

Ce que font certains musulmans au nom de l’islam, en Syrie, en Irak, en Afrique ou ailleurs, en tuant des innocents, décapitant des journalistes, en exécutant sommairement des civils, tout cela, disons-nous, doit être condamné fermement. Un retour aux sources nous en convaincra sans l’ombre du moindre doute. Le message de l’islam reconnaît la légitimité de la lutte armée dont l’objectif est de résister à l’oppresseur dans le but d’établir la justice et la paix. En sus, même la légitime défense doit obéir à des conditions qui déterminent un code éthique en situation de guerre.

Notre quatrième partie s’intéresse aux Occidentaux musulmans et commence par mettre en avant un principe : rien ne peut cautionner une mentalité victimaire chez des individus qui se plaignent et blâment autrui. Tout commence par soi, par sa propre prise en charge comme sujet de son histoire, conscient de ses responsabilités autant que de ses droits, avec pour objectif de contribuer au bien-être général et de devenir une valeur ajoutée dans les sociétés occidentales.

Ainsi, il faut commencer à comprendre le message islamique à la lumière du contexte occidental, puis chercher à développer une vision, des priorités, une méthodologie et des partenariats avec les concitoyens occidentaux d’autres confessions ou sans confession. Il ne peut être question de demeurer passif et/ou de s’isoler : l’expérience historique des Occidentaux musulmans doit leur apprendre le renouveau de leur lecture des textes, la réforme de leur intelligence, la compréhension de l’Occident (avec son histoire, ses mémoires, ses cultures, ses acquis et ses traumas), le sens de la contextualisation et des priorités. Beaucoup de choses positives sont observables sur le terrain, dont on entend peu parler ; elles contribuent pourtant à un renouveau qui bientôt sera plus positivement visible en Occident. Pour autant, il ne s’agit pas de devenir des musulmans invisibles, acceptés et tolérés grâce à leur invisibilité ; il faut bien plutôt changer les modalités de cette visibilité, qui doit être la visibilité de la spiritualité, de la compétence, de l’éthique, de la justice, de la solidarité et de l’empathie. Les chantiers sont importants et les responsabilités multiples. Il appartient aux musulmanes et aux musulmans de se prendre en charge et, contre tous les rejets, tous les racismes et l’islamophobie ambiante, de s’engager sur le long terme, avec patience et détermination, à la lumière d’une vision et de finalités claires. Cette révolution silencieuse est d’ores et déjà en marche

Il reste qu’il faut aller plus loin aujourd’hui en termes de pensée critique, autocritique et d’engagement. Nous parlons d’une véritable révolution intellectuelle, copernicienne, par laquelle on comprenne que le problème réside d’abord en nous et qu’il nous faut remettre de l’ordre dans nos esprits et nos consciences. Trop de femmes et d’hommes assistent, impuissants, à la critique et au rejet et finissent par s’isoler ou par nourrir un sentiment d’altérité au cœur de l’Occident. De la sorte, ils confirment les thèses des partis d’extrême droite et de tous les racistes, dont ils font le jeu, selon lesquels les musulmans ne sont pas complètement français, belges ou américains, en un mot jamais tout à fait occidentaux.

L’appartenance n’est pas un cadeau que l’on nous offre sur un plateau, ce n’est pas même un passeport que l’on obtient, c’est un sentiment, un ressenti, un cœur, un goût que l’on doit nourrir au gré de nos engagements, de nos dialogues et de nos espérances. Le sentiment d’appartenance exige un « sujet citoyen » (avec une éthique citoyenne), conscient, engagé, au service de sa collectivité, car c’est ici que se vit sa vie et que grandiront ses enfants. C’est cela qu’il faut développer, avec le souci permanent de contribuer, d’être une valeur ajoutée qui, avec le temps, relève et gagne ce double défi : accéder pour soi à la confiance et à la sérénité, offrir la justice et la solidarité à autrui. Ces défis se gagnent avec le cœur autant qu’avec l’intelligence ; ils exigent la dignité et la justice, mais ne sauraient être sans empathie ni compassion. Pour les musulmans comme pour leurs concitoyens, il s’agit d’une expérience de la réconciliation entre nos valeurs et notre agir avec, toujours, cette humilité de reconnaître nos contradictions et de chercher, chaque jour davantage, à mieux les gérer et les dépasser.

Les spiritualités nous y invitent, notre rationalité nous le commande et les manquements de nos sociétés nous le rappellent : nous sommes ce que nous faisons de nous-mêmes et ni Dieu ni aucun autre coupable ne saurait nous absoudre de nos démissions.

(Oxford, octobre 2014)

Tariq Ramadan, De l'islam et des musulmans, Ed. Presses du Chatelêt, décembre 2014, 240 p., 17,95 €.