Points de vue

Al-Andalus : se perdre dans l'Histoire pour mieux se retrouver

Rédigé par Abir Bee | Vendredi 31 Mars 2017 à 12:30



Il s'agit de se perdre dans l'Histoire pour mieux se retrouver. L'Espagne porte encore les vestiges de nos racines oubliées. La modernité des villes ne présuppose en rien les trésors et les richesses enfouis de nos ancêtres. C'est en 711 que Tarek Ibn Ziyed âgé de 18 ans conquit les territoires ibériques portant ainsi le commencement d'Al-Andalus qui perdura jusqu'en 1492.

Une terre qui, de par sa richesse intellectuelle et artistique, a émerveillé tant de générations. Al Andalus était le centre d'irradiation de la culture, du raffinement et de l'élégance. Tout ici n'est que caresse et poésie. Le plus simple des hommes devient poète et se sent submergé par la douceur et l'art de vivre andalou.

La magnificence d'Al-Andalus s'explique entre autres par la droiture de ses habitants et de ses sultans. Comme le disait si bien Ibn Arabi : « Dieu a insufflé en l'Homme de Son Esprit. Comme témoignage de cette présence en toi, de l'acte de Dieu qui ne cesse de créer, l'action est l'extérieur de la foi. Tu rends visible l'invisible (Dieu) chaque fois que tu te dépasses: Artiste quand tu exprimes la beauté, que Dieu aime; amant, quand tu vois et sers Dieu en celle que tu aimes; savant, quant tu découvres des vérités nouvelles; chef quand tu crées pour chacun les conditions de son épanouissement. »

Le seul vestige de la madrasa non loin de la mosquée de Grenade, entièrement détruite, nous laisse imaginer l'ambiance qui y régnait. Celle des étudiants prêtant une oreille attentive, dépoussiérant le parchemin et enfourchant la plume. Ils l’avaient sans doute compris, l’âme des mots caresse la finesse du monde, extrait son émotion et exalte son essence. Les relations entre maîtres et étudiants ne pouvaient être que complémentaires, les uns s’émerveillant dans la transmission, les autres dans la découverte.

C'est en haut des rues montantes et à travers un jardin parfumé de jasmins que la mosquée de San Nicolas offre un panorama exaltant. Celui de la magnificence du palais de l'Alhambra, l'une des sept nouvelles merveilles du monde. Les portes se succèdent et le palais doucement reprend vie. Il n'est pas difficile de s'imaginer les va-et-vient des sultans ainsi que les romances sur les balcons emplis de parfums fleuris. Rien n'était laissé au hasard, c'est que l'art, la poésie et le raffinement les caractérisaient.

La fontaine au milieu des jardins forme une coquille, signe de noblesse, les jets d'eau se rejoignent en un point au coeur duquel se trouve, dans un imaginaire, une perle. La beauté des patios laisse place aux dentelles de pierres qui se succèdent mais ne se ressemblent pas. Toutes portent des louanges pour Dieu et parfois pour le sultan. Si on y prête attention le son intemporel des tailleurs de pierres résonne encore dans les contrées voisines. Le regard finit par se perdre devant tant de beauté. C'est un fugace instant d’éternité.

Quant à Cordoue, il était le centre de la culture, du Xe au XIIIe siècle. La mosquée était l’un de ses plus hauts lieux. L’architecture splendide emplit d’émerveillement tout visiteur. Au delà des jeux de lumières et des arcs rougeâtres il y a quelque chose de magique. Il suffit de s'approcher et de se déplacer pour voir briller ces pierres délicatement taillées. L'université était aussi le lieu où les astronomes découvraient dans l'harmonie du mouvement des astres comme les médecins dans le microcosme d'un corps humain, des signes de la présence de Dieu, de son unité et de sa beauté. Ibn Rushd et Ibn Arabi ne sont qu'un minime échantillon de tous ces savants.

Ibn Arabi déclare : « Les docteurs de la loi nous disent : "Ceci est interdit ! Ceci est permis." Jamais ils ne nous disent : " Tu es responsable de toi-même. Réfléchis par toi même!" Alors que le Coran nous y appelle à chaque page. A les entendre il n'y aurait, entre Dieu et l'homme, que des rapports de maître à esclave. Mes frères, la foi et la philosophie commencent là où finit ce juridisme desséché! Le Coran nous dit : "Dieu fera se lever des hommes qu'Il aimera et qui L'aimeront". Et aussi "Si vous aimez Dieu, Dieu vous aimera." Il y a un amour spirituel, quand tu n'aimes l'aimé que pour lui même. Tu ne vis alors qu'en te dépassant : en préférant à la tienne sa joie, sa plénitude d'être. Cet amour t'enseigne le sacrifice. Et enfin il y a un amour divin, le plus haut : tu aimes en toute chose Celui qui l'a crée, et tu n'aimes Dieu que pour lui-même. Sans crainte d'un châtiment ni désir d'une récompense. Cet amour que tu portes à Dieu est un reflet de celui qu'Il te porte. Tu ne peux pas t'identifier à Dieu, mais tu peux agir selon le but qu'Il a révélé par Son Messager. »

L’art de vivre andalou peut se résumer en une phrase : « Savez vous ce que c’est de vivre dans un flacon de parfum ? La maison andalouse ressemble à ce flacon, nous craignons seulement qu’avec cette image nous soyons injustes non pas avec ce flacon mais plutôt avec la réalité de ce que représente cette maison. »

Et pourtant, les clés de l'Alhambra et de Grenade furent remises par Boabdil, dernier monarque musulman à régner en Espagne. Sa mère lui aurait dit lorsqu'il les perdit en 1492 : « Ne pleure pas comme une femme ce que tu n'as pas défendu comme un homme ! » On dit que les musulmans pourraient encore régner dans l'Alhambra si Boabdil n'avait pas livré sa ville aux chrétiens. Les monarques n'auraient jamais pu la conquérir par la force. C'est précisément par l’une de ces portes qu'il quitta l'Alhambra pour rejoindre les montagnes alentours fermant derrière lui les portes d’une Histoire inégalée.

Sur l’une des fenêtres et au détour d’un des patios emplis de murmures un pigeon immobile semble songeur. Serait-il lui aussi nostalgique de cette si merveilleuse époque ?

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Abir Bee, juriste, est membre d'El Médina, une association animée par la volonté de partager la connaissance et la compréhension de l'histoire, la culture et l'héritage de la civilisation arabo-musulmane. El Médina, en partenariat avec Saphirnews, propose chaque semaine de partir à la redécouverte de cette civilisation.

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