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Points de vue

Rappel à l’ordre de l’orgueil musulman

Rédigé par | Mardi 29 Décembre 2015 à 13:20

           


« Sois conciliant, ordonne le bien et éloigne-toi des ignorants ! » (Coran, sourate 7 « Les murailles », verset 199), calligraphie de Mehmed Ozçay, 2001.
« Sois conciliant, ordonne le bien et éloigne-toi des ignorants ! » (Coran, sourate 7 « Les murailles », verset 199), calligraphie de Mehmed Ozçay, 2001.
D’abord l’Homme. Il n’est plus l’élément central, principal au milieu d’un Univers constitué d’éléments secondaires, qui lui sont soumis. L’Homme, certes, a une place particulière de par sa conscience et la complexité de l’ordre qu’il constitue, en raison du processus unique en son genre qui le caractérise dans le monde des vivants.

Étant l’être vivant le plus accompli, il n’est cependant pas en dehors de la communauté des êtres vivants. Il est partie prenante par sa constitution et son évolution de la totalité de l’Univers dans toute son Histoire. Il n’est pas venu d’ailleurs pour se greffer sur un Univers formé indépendamment de lui.

Au stade de la connaissance où nous en sommes, il est le niveau ultime du développement du processus de la vie. Il a la conscience qui le différencie et lui donne pouvoir de sauvegarde et de destruction du reste de la Nature. L’Homme est finalement un élément de ce « puzzle » qu’est le cosmos, dont les pièces s’encastrent les unes par rapport aux autres.

L’Homme n’est pas le seigneur de la Terre

Ainsi, contrairement à ce que nous enseigne la tradition religieuse, l’Homme n’est pas le seigneur de la Terre. Il est un élément du rouage, une pièce du mécanisme, avec un rôle important dans le maintien du système duquel il dépend. Sa dépendance à l’égard de son environnement est évidente. Une dépendance qui s’organise en cercles concentriques, du plus vaste au plus restreint. Une nécessité de solidarité traverse l’Univers de part en part tant horizontalement que verticalement.

Cette nouvelle vision du monde qui s’impose à l’Homme devrait le désillusionner, le dessiller pour qu’il voie la réalité évidente de l’unité de son appartenance, de son devenir, et de son sort. Cette réalité, qui est de plus en plus et de mieux en mieux perçue par une bonne partie de l’humanité dans son ensemble et sa diversité, ne semble pas toucher profondément l’homme musulman (1) dans sa généralité.

Celui-ci, par un processus historique implacable dans ses effets, s’est mis hors du temps et donc de l’Histoire, celle qui avance, des fois dans le bonheur et d’autres dans l’erreur, mais dont le solde au bout de chaque compte lui fait honneur.

L’homme musulman s’est trompé sur sa mission

L’homme musulman s’est trompé d’Histoire. Au lieu de prendre le cours qui avance vers un avenir meilleur sur Terre et le salut dans la vie éternelle, car plus juste, plus conforme à sa mission et à sa vocation en tant qu’Homme doublé de sa qualité de musulman, auquel sa religion commande de pratiquer le bien et de fuir le mal, l’homme musulman a préféré piétiner dans la même réalité en se berçant de l’illusion d’avancer à une vitesse qui le fait se passer du temps et de l’Histoire.

Il s’est trompé sur sa mission et son rôle. Il s’est pris pour ce qu’il ne peut être auprès de Dieu le Créateur. Dieu lui a parlé par l’entremise du Prophète, en lui confiant la responsabilité de transmettre à toute l’humanité par la meilleure conduite possible en bonté, en douceur, en bienveillance le message universel que la Parole divine véhicule et qui consiste à compléter l’exercice de la vertu, la morale, en indiquant l’orientation à prendre pour le meilleur salut sur Terre et dans la vie éternelle. Cependant, sans pour autant faire de lui son porte-parole pour dire la Vérité. Celle-ci, comme dévoilement de la totalité du réel, n’existe pas sur Terre.

Dieu est autosuffisant

Dieu a instauré le mérite comme seule et unique condition pour obtenir la félicité auprès de Lui. Le mérite n’est pas inhérent à la personne, il est le résultat de sa conduite sur Terre. Il est la conséquence de l’effort utile, car sans utilité l’effort est vain.

L’utilité à son tour se mesure par le besoin qu’elle satisfait. En effet, sans besoin point d’utilité. Toutes ces notions de mérite, de besoin, d’utilité sont des concepts terrestres, propres à l’homme imparfait et contingent. Dieu est autosuffisant, il est l’Être parfait, toute sa Création ne Lui ajoute ni retranche quoi que ce soit.

Corollairement, tout acte de l’Homme est à son bénéfice ou à son désavantage. En prétendant être le plus proche de Dieu, l’homme musulman pêche par orgueil. Cette présomption et cette fatuité qu’il pense tirer de sa proximité de Dieu lui donnent une certaine assurance qu’il est entré dans le secret de Dieu. De fait, il mit un terme à toute recherche de la Vérité dans son évolution et son déploiement continus. Il mit fin à l’Histoire dans sa pensée, qu’il mutile en lui interdisant de suivre le cheminement qui est sien par la volonté de Dieu.

La Parole divine épouse la contingence

L’homme musulman s’est élevé arbitrairement au rang de confident de Dieu. Une créature ne saurait se hisser au niveau de son Créateur pour partager la connaissance de ses mystères, dont Il est le seul à avoir les clés. La Parole que Dieu a adressée, par l’entremise de son Prophète, à l’Homme comporte des vérités qui sont universelles et d’autres qui se limitent au contexte local.

Dieu a soumis sa parole au temps, donc à l’évolution. Il l’a déclinée dans un espace et une durée déterminés, en accompagnant le quotidien dans le mouvement, le changement, l’étonnement, la perplexité, l’émerveillement, l’angoisse, la détresse, l’heur et le malheur d’une communauté caractérisée par un niveau de développement de l’entendement et de la conscience bien déterminé. Une communauté avec ce qu’elle partage avec le reste de l’humanité et ce qu’elle a de particulier et de spécifique.

Ce sont des Hommes par leurs conduites, leurs sentiments, leurs passions, leur raisonnement, leurs espérances et désespérances qui furent à maintes reprises la cause qui déclenchait la révélation d’une solution à leurs préoccupations. La Parole de Dieu s’est aussi déclinée en principes universels et éternels destinés à guider la marche de l’Homme, sa conduite avec ses semblables et les autres êtres, qu’ils soient doués ou dépourvus de la vie.

La volonté de Dieu d’orienter ou de réorienter l’Homme s’est faite en sa Parole, laquelle Parole a pris une forme concrète en s’identifiant par un idiome bien déterminé, bien localisé dans un espace social, culturel et mental pendant un temps tout aussi délimité.

Elle ne fut pas abstraite. Elle a épousé la contingence, la finitude pour la remettre dans le meilleur chemin du salut. Elle l’a fait en la prenant par la main, en l’aidant par des initiatives qui lui indiquent le début de la voie de la vérité, de la justice.

Des initiatives qui ne constituent qu’une première marque sur cette bonne voie pour l’emprunter dans le bon sens et non une destination définitive, une plénitude de la conduite humaine. C’est en confondant l’universel et le particulier, l’exemple et la finalité que l’homme musulman a fait le mauvais choix.

Reprendre le cours de l’Histoire

La flèche de l’Histoire prend son départ dans le contextuel, le particulier et se laisse emporter dans son mouvement et son envol par l’universel qui lui confère sens et signification.

En prenant le contextuel, le particulier pour de l’universel, l’homme musulman a été débarqué du cours de l’Histoire dès que le potentiel du contextuel fut épuisé et ses batteries furent vidées.

Il est, par conséquent, en devoir de reprendre le cours de l’Histoire. Pour ce faire, il est nécessaire qu’il se repense en tant qu’élément de l’Histoire et donc en tant que l’un, comme tant d’autres, des faiseurs de l’Histoire et non en tant que maître créateur de l’Histoire et que le message dont il est porteur est loin d’avoir épuisé l’Histoire.

Il est temps qu’il se ressaisisse et comprenne que les ingrédients avec lesquels il s’efforce de maitriser l’Histoire depuis plusieurs siècles ne sont plus opérationnels, car agir selon une recette locale, au détriment de l’universel et de son processus irréversible, c’est aller à contre-courant.

Autrement dit, l’homme musulman doit cesser de prétendre pouvoir islamiser l’Histoire en puisant dans un ancien qu’il refuse de renouveler. Cela ne signifie pas qu’il est acculé à moderniser l’islam en s’assimilant sans discernement à tout ce que la modernité offre comme avatars.

Son (notre) salut réside en un éclairage mutuel entre la religion et la modernité. Chacun des deux domaines trouve sa place et accepte la place de l’autre en s’entraidant pour donner le sens et la finalité qu’une vie heureuse requiert dans une société de juste milieu.

Note
1. Que le lecteur me pardonne cette généralisation langagière et point conceptuelle. Mes limites linguistiques me l’ont imposée.

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Ahmed Abdouni, ancien diplomate marocain.




Ahmed Abdouni est un ancien diplomate marocain. En savoir plus sur cet auteur


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