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Points de vue

Les principes de l’occidentalisme islamique

Rédigé par Adel Taamalli | Vendredi 27 Septembre 2013 à 00:00

           


Comme pour tout courant de pensée, l’occidentalisme, s’il veut mériter ce qualificatif, doit se fonder sur une épistémologie pertinente. C’est l’objet de cet article que d’en présenter les principes, qui sont au nombre de trois.

La perspective islamique

Le premier de ces principes consiste en une adhésion à la perspective islamique de notre pensée. Il n’est pas possible, si l’on tient à elle, de nier les trois énoncés suivants :

• L’adhésion à la foi musulmane qui est de croire en Dieu, en Ses anges, en Ses livres, en Ses messagers, au Jour du Jugement dernier, en le destin, qu’il soit bon ou mauvais ;
• L’acceptation du caractère obligatoire d’une pratique religieuse (les cinq piliers) ;
• La volonté de se rapprocher de Dieu tout en œuvrant pour le bien commun de la oumma, comme de tous les hommes et les femmes de ce monde, quelle que soit leur religion.

La notion de Dieu chez les philosophes occidentales et son impact dans l’occidentalisme islamique

Le second principe provient de l’utilisation de la notion de Dieu présente dans les écrits de philosophes occidentaux (Descartes, Rousseau, Hegel, Kant, Leibniz…). Ecrits dont sont tirés nombre de concepts régentant les sociétés occidentales sur des sujets tels que la raison, la société civile, la Constitution, la liberté, la tolérance, l’égalité…

En effet, si je veux approcher de la Vérité, ce qui est le but même de la philosophie, je dois interroger ce qui est inhérent au rapport de l’homme à Dieu selon la pensée occidentale. Or elle le fait en projetant la conception trinitaire chrétienne de Dieu, qui existe, selon cette dernière, en trois entités différentes : le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Cela va manifestement à l’encontre de monothéisme pur de notre croyance.

Pour l’islam, Dieu est au-dessus de toute chose et n’a pas d’égal. Par conséquent, comment utiliser le « concept » de Dieu lorsqu’il est manié par les philosophes occidentaux ? Celui-ci recouvre-t-il la même supposition de Dieu que chez nous ?

Prenons l’exemple de René Descartes, qui tente, dans ses Méditations métaphysiques (1641), de prouver l’existence de Dieu. Il avait d’abord démontré l’effectivité de sa pensée, de son esprit, bref de son propre être (son fameux cogito : « Je pense, donc je suis »).
Ensuite, selon la théorie logique de la vérité présente dans l’effet comme dans la cause, il était arrivé à l’idée qu’il ne peut être question de l’existence d’une chose sans qu’elle soit englobée dans une autre supérieure en son état.

Aussi, si j’ai la capacité de penser l’idée de finitude de moi-même, c’est que je sais aussi penser le non-être de la finitude, c’est-à-dire l’infini, qui dépasse mon entendement. Si l’idée de l’infini est présente dans mon esprit sans que je puisse en saisir les implications, alors forcément c’est qu’un Être infini l’y a placée. Et donc, in fine, mon esprit ne peut provenir du néant car il y a une substance supérieure à la base de ma création. Substance que Descartes identifie à Dieu Lui-même !

Ainsi, si parce que je pense je suis, c’est qu’une force supérieure à moi existe, et donc que Dieu existe. Si je remplace le mot Dieu par Allah, ce que j’invite tout musulman à faire, je ne vois aucun inconvénient à cela. Au contraire ! J’y vois une source supplémentaire qui alimente ma foi, accroissant en moi l’idée de la vacuité de mon être et de ma situation dans l’univers, face à l’infinitude et au caractère absolu de Mon Créateur.

Pour tout écrit provenant de philosophes croyants maniant le « concept » de Dieu, il convient de faire systématiquement cet exercice et de considérer la justesse ou non, tout en l’argumentant, d’un remplacement du mot Dieu (dans sa conception trinitaire) par le mot Allah (entendons l’Unique).

La place des philosophes athées dans l’occidentalisme islamique

Enfin, le troisième de ces principes repose sur la légitimité que l’on doit ou non accorder à des penseurs athées (Marx, Nietzsche, Heidegger, Camus, Sartre…). Surtout quand on sait que, tout autant que les concepts clés de philosophes croyants restent à la base de la pensée occidentale, cette dernière est aussi plus ou moins drainée par le matérialiste historique, le nihilisme, la phénoménologie, l’absurde ou l’existentialisme, tous ces courants de pensée qui ont façonné l’« homo occidentalus » dans sa hauteur spirituelle la plus pure.

Ainsi de la division de l’esprit humain cher à Sigmund Freud, si décisive dans la psychanalyse (L’Interprétation des rêves, 1900). Que peut-on en dire du point de vue islamique ? Surtout, doit-on nier cette pensée parce qu’elle provient d’un « mécréant » ?

Celui-ci a démontré qu’il existait plusieurs parts influentes dans le cerveau. L’une de ses parts est constituée de l’inconscient, une force spirituelle incontrôlée qui se construit selon l’expérience du sujet, liée principalement à ses attirances sexuelles qu’il réfrène tout au long de sa vie grâce à son subconscient.

Mais, de ma perspective islamique, ne puis-je pas rétorquer et me demander s’il n’y a pas une interrogation à avoir sur l’inné, sur le biologique, ces concepts qui me conduiraient à dire que l’inconscient n’est pas que le résultat de l’impression, dans mon esprit, de mes sentiments que je nierais depuis mon enfance ? Mais plutôt, si je tiens pour acquis le fait que Dieu existe, ne dois-je pas défendre le fait que mon Créateur, par cette graine très spéciale qu’il a mise en moi et que j’appelle l’âme, s’est donné le moyen de me contrôler, par mon inconscient, tout en me laissant le libre-arbitre de mes choix faits, grâce à ma conscience ?

Nous devons être sûrs d’une chose : du travail de Freud, nous savons que notre esprit est constitué de deux facettes complémentaires établissant des relations complexes : la conscience et l’inconscient. Or Dieu, Créateur de toute chose et donc du temps, surtout en ce qu’il est la durée durant laquelle se déploie les actions humaines dans l’Univers, sait d’avance ce qui se produira dans l’Histoire puisque Sa puissance est absolue.

C’est pourquoi nous pouvons dire qu’Il agit sur l’Histoire par l’influence qu’il exerce sur l’inconscient. Et enfin qu’Il laisse cependant à la conscience de l’homme le soin d’agir sur soi et sur le monde grâce au libre-arbitre pour lequel il sera jugé après sa mort. Voilà ce à quoi l’on peut aboutir en analysant succinctement la théorie de Freud, après l’avoir épurée de ce qui irait à l’encontre de l’islam.

Il n’est donc pas souhaitable de délégitimer tout écrit provenant d’une personne parce qu’elle est athée, tout comme Averroès se refusait à ne pas utiliser Aristote, polythéiste de son état, parce qu’il voyait en ses écrits un des moyens d’augmenter sa foi et sa connaissance de l’Univers, et de se rapprocher de Dieu. Ainsi disait-il de l’étude du syllogisme : « Mais si quelqu’un avant nous s’est livré à de telles recherches, il est clair que c’est un devoir pour nous de nous aider dans notre étude de ce qu’ont dit, sur ce sujet, ceux qui l’ont étudié avant nous, qu’ils appartiennent ou non à la même religion que nous » (Discours décisif sur l’accord de la religion et de la philosophie, 1179).

L’occidentalisme, un courant de pensée ?

Ainsi donc, l’occidentalisme mérite le rang de courant de pensée. Il suffit de puiser dans ce qu’Abdelwaheab Meddeb nomme sa « double généalogie » (Ecriture et double généalogie, 1991). C’est en faisant cela que nous jouerons pleinement notre rôle dans l’Histoire. Celui d’accoucher d’une conception musulmane du monde, intégrant la philosophie occidentale dans ce qu’elle a de meilleure, après avoir réussi à comprendre les sociétés occidentales dans leur essence, ce qui ne peut passer que par l’analyse des écrits qu’elles ont produits. C’est là notre « mission historique » donnée à nous par Dieu. Ne la manquons pas !






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