disponible à partir du 18 janvier
Ma réaction en refermant le livre de Ian Hamel fut de penser que : « Le journalisme d'enquête existe encore, Internet ne l'a pas tué ! » En effet, dans le feu de l'actualité, d'autres journalistes se sont déjà essayés à ce qu'il est convenu d'appeler le « phénomène Tariq Ramdan ». Ils ont essayé comme nous-mêmes d'apporter des éléments permettant de situer la nature et les spécificités de Tariq Ramadan dans le paysage intellectuel actuel.
Diverses enquêtes ont été menées. Mais si le travail de terrain, le recueil de témoignages, la confrontation des faits, font la noblesse du journalisme, les contraintes de temps et d'espace ainsi que le manque de recul en sont des faiblesses certaines. Ian Hamel a pris son temps pour mener son enquête. Deux années de terrain donnent ce résultat extraordinairement fouillé. Un véritable travail de fourmis à la manière des journalistes d'autrefois !
Auprès de la famille, des collaborateurs, des amis et des ennemis de Tariq Ramadan, l'auteur a enquêté. En plus des documents d'archives, il a recueilli des témoignages des personnalités officielles mais aussi de personnalités de l'ombre. Le livre montre un souci quasi maniaque de dates, de lieux, de documents, de preuves et de faits. Les propos rapportés sur un même événement sont souvent contradictoires. L'auteur prend le temps d'exposer la position de chacun en produisant des éléments pour situer les interlocuteurs. La masse d'informations collectées est méticuleusement structurée en une cascade de citations, d'opinions différentes où l'auteur fait montre d'une modestie, d'une pudeur et d'une rigueur intellectuelles appréciables. Et lorsqu'il ne peut se contenter des données et qu'il doit avancer son avis, il ne veut pas qu'on s'y méprenne : il ne juge pas l'homme, il tente d'apporter du sens aux faits. Pour démêler cette abondance d'informations il lui a fallu scruter la périphérie de Tariq Ramadan.
Ainsi, La vérité sur Tariq Ramadan est plus qu'un livre sur Tariq Ramadan. C'est aussi un livre sur une famille dont le père, Saïd Ramadan, eut un destin hors du commun. Un haut dignitaire du mouvement des Frères musulmans qu'il a vu naître, une éloquence et un charisme qui font l'unanimité, une intégrité intellectuelle non négociable et un engagement indéfectible pour la cause de l'islam. Ces informations sont distillées parcimonieusement dans les premiers chapitres du livre. Le lecteur comprend qu'altruiste et pieux musulman, le père Ramadan aurait pu être imam ou chef de parti politique. Le problème est qu'il n'avait pas que des idées politiques, il avait aussi un projet.
Iam Hamel s'étale sur le père Ramadan. Il en dépeint un profil presque paradoxal qui le mènera dans les geôles de la répression en Egypte puis sur les champs de bataille en Palestine, mais aussi dans les palais du roi de Jordanie, avant de le retrouver au service de l'Etat pakistanais naissant, premier pays moderne fondé sur les bases de l'islam.
Chose inédite, l'auteur expose les détails du rôle de Saïd Ramadan dans la création de la Ligue islamique mondiale dont il a écrit les statuts. Il nous entraîne, mais par petites touches adroites, au coeur du fossé qui naît entre l'intègre Saïd Ramadan et ses amis devenus princes en pétrodollars. Ces derniers, limités par leurs alliances politiques et soucieux de leurs comptes en banque tenteront de le rallier en vain. Le livre permet de comprendre ce que l'on savait déjà depuis longtemps. Déchu de sa nationalité égyptienne mais honoré partout ailleurs dans le monde musulman, Saïd Ramadan reste fidèle ses engagements. Avec le temps, sa notoriété en paye le prix et ses enfants sont obligés de changer de nationalité aux gré des accords politiques internationaux.
L'adolescence de Tariq Ramadan se passe dans cette ambiance familiale. Grand amateur de football, élève sérieux et curieux du monde, Tariq est néanmoins privé de passeport et ne peut voyager hors de Suisse à cause de ce père célèbre qui refuse de vendre son engagement islamique aux pétrodollars du Golf. De quoi forger un caractère. Mais il y a plus et Ian Hamel apporte des éléments pour mieux cerner les personnalités de Tariq Ramdan, Hani Ramadan et les autres membres de la famille. Le projecteur s'attarde sur Tariq.
Ian Hamel revient sur le « retour aux sources » qu'opère Tariq lorsque, enfin nanti de sa nationalité suisse, avec épouse et enfants, il se rend en Egypte pour satisfaire un appétit intellectuel et culturel. Il rentrera avec l'intention de soutenir une thèse de doctorat dont les circonstances de la soutenance ne manquent pas de croquant. L'animosité excessive exprimée par certains intellectuels institutionnels à l'encontre de M. Ramadan trouve un début d'explication. Le séjour de Tariq à la Fondation islamique de Leicester, son engagement dans l'humanitaire, sa puissance de travail, sa starisation en France, son caractère autoritaire, ses rapports tumultueux avec le milieu associatif, sa grande admiration pour Malcom X... Bref, Ian Hamel ne fait presque pas d'impasse.
Il a, par contre, la courtoisie de ne pas ennuyer son lecteur en ne s'étalant pas plus que de raison sur les événements suffisamment médiatisés comme l'annulation du visa américain, l'interdiction de séjour en France ainsi que l'initiative du « Moratoire sur la lapidation » ou le face-à-face télévisuel avec Nicolas Sarkozy. Pour le lecteur qui connaît mal l'espace politique suisse, Ian Hamel apporte aussi les clés pour comprendre les rapports de Tariq Ramadan avec la gauche politique sans oublier son article sur les intellectuels communautaires qui lui valut l'adversité des milieux sionistes et une accusation d'antisémitisme jamais portée devant les tribunaux.
Dans Les Frères musulmans (Ed. Fayard, 2005), Xavier Ternissien, journaliste au journal Le Monde spécialisé dans le fait religieux, avait déjà apporté de nombreux éclairages sur les relations entre les Frères musulmans et la famille de Saïd Ramadan. Cette enquête de Ian Hamel confirme les conclusions de Xavier Ternissien et élargit le cercle des témoignages. Les deux journalistes dressent un schéma identique des rapports entre le mouvement frériste et la famille Ramadan. Ils parviennent aussi aux mêmes conclusions dans les rapports entre l'Union des organisations islamiques en France (UOIF) et le mouvement des Frères. Chez l'un comme chez l'autre, on perçoit la volonté de clarifier la « vraie » dimension internationale du mouvement des Frères qui a justement traversé des générations parce qu'il avait cette « direction nébuleuse ». Même si la démarche conforte l'idée d'une « internationale islamique », elle a néanmoins l'avantage de sortir le lecteur de la caricature médiatique simpliste sur un sujet qui anime régulièrement l'actualité du livre.
Le « Frère Tariq » (éd. Grasset & Fasquelle, 2004) de Caroline Fourest est un pamphlet écrit dans le style de la rhétorique salafiste-Jihadiste appliquée à l'idéologie de gauche. Le pire dans cette rhétorique est la bonne foi des auteurs. Le tout donne un livre qui en dit plus sur Caroline Fourest que sur Tariq Ramadan. A l'autre bout de la chaîne, « Faut-il faire taire Tariq Ramadan » (éd. L'Archipel, 2005) d'Aziz Zémouri n'est pas qu'une enquête mais aussi un livre d'entretiens. Il offre le précieux avantage de forcer Tariq Ramadan à exprimer ses opinions sur des sujets divers et variés. Une opinion dont certains auteurs sur le « phénomène Tariq Ramadan » ont cru pouvoir faire l'économie ! Entre Fourest et Zémouri, se situent nombre d'autres portraits intéressants mais rarement désintéressés.
A ma connaissance, Tariq Ramadan, sa famille, ses réseaux, sa stratégie est différent de ce qui existe déjà. Généreux en citations, riche en témoignages et abondant en références, ce livre qui arrive après d'autres a su profiter de ses prédécesseurs. Il apparaît comme le plus équilibré, le plus solide et le plus complet qui soit produit sur Tariq Ramadan.
La préface magistrale de Vincent Geisser arrive comme une cerise universitaire sur ce gâteau journalistique. Le tout se déguste sans crainte de surcharge pondérale intellectuelle. Car Ian Hamel écrit dans un style narratif direct, sans fioritures universitaires, son livre se lit donc comme un polar idéologique avec Tariq Ramadan dans le rôle principal et Ian Hamel dans celui du narrateur cherchant à taguer l'idéologie de son personnage : un intellectuel d'un genre nouveau. Trop adulé par les uns, trop détesté par les autres, il est, comme on dit de l'autre côté de l'Atlantique : un « succesful leader ».
Ian Hamel, La vérité sur Tariq Ramadan, sa famille, ses réseaux, sa stratégie, Edition Favre, 2007, 364 pages.
Diverses enquêtes ont été menées. Mais si le travail de terrain, le recueil de témoignages, la confrontation des faits, font la noblesse du journalisme, les contraintes de temps et d'espace ainsi que le manque de recul en sont des faiblesses certaines. Ian Hamel a pris son temps pour mener son enquête. Deux années de terrain donnent ce résultat extraordinairement fouillé. Un véritable travail de fourmis à la manière des journalistes d'autrefois !
Auprès de la famille, des collaborateurs, des amis et des ennemis de Tariq Ramadan, l'auteur a enquêté. En plus des documents d'archives, il a recueilli des témoignages des personnalités officielles mais aussi de personnalités de l'ombre. Le livre montre un souci quasi maniaque de dates, de lieux, de documents, de preuves et de faits. Les propos rapportés sur un même événement sont souvent contradictoires. L'auteur prend le temps d'exposer la position de chacun en produisant des éléments pour situer les interlocuteurs. La masse d'informations collectées est méticuleusement structurée en une cascade de citations, d'opinions différentes où l'auteur fait montre d'une modestie, d'une pudeur et d'une rigueur intellectuelles appréciables. Et lorsqu'il ne peut se contenter des données et qu'il doit avancer son avis, il ne veut pas qu'on s'y méprenne : il ne juge pas l'homme, il tente d'apporter du sens aux faits. Pour démêler cette abondance d'informations il lui a fallu scruter la périphérie de Tariq Ramadan.
Ainsi, La vérité sur Tariq Ramadan est plus qu'un livre sur Tariq Ramadan. C'est aussi un livre sur une famille dont le père, Saïd Ramadan, eut un destin hors du commun. Un haut dignitaire du mouvement des Frères musulmans qu'il a vu naître, une éloquence et un charisme qui font l'unanimité, une intégrité intellectuelle non négociable et un engagement indéfectible pour la cause de l'islam. Ces informations sont distillées parcimonieusement dans les premiers chapitres du livre. Le lecteur comprend qu'altruiste et pieux musulman, le père Ramadan aurait pu être imam ou chef de parti politique. Le problème est qu'il n'avait pas que des idées politiques, il avait aussi un projet.
Iam Hamel s'étale sur le père Ramadan. Il en dépeint un profil presque paradoxal qui le mènera dans les geôles de la répression en Egypte puis sur les champs de bataille en Palestine, mais aussi dans les palais du roi de Jordanie, avant de le retrouver au service de l'Etat pakistanais naissant, premier pays moderne fondé sur les bases de l'islam.
Chose inédite, l'auteur expose les détails du rôle de Saïd Ramadan dans la création de la Ligue islamique mondiale dont il a écrit les statuts. Il nous entraîne, mais par petites touches adroites, au coeur du fossé qui naît entre l'intègre Saïd Ramadan et ses amis devenus princes en pétrodollars. Ces derniers, limités par leurs alliances politiques et soucieux de leurs comptes en banque tenteront de le rallier en vain. Le livre permet de comprendre ce que l'on savait déjà depuis longtemps. Déchu de sa nationalité égyptienne mais honoré partout ailleurs dans le monde musulman, Saïd Ramadan reste fidèle ses engagements. Avec le temps, sa notoriété en paye le prix et ses enfants sont obligés de changer de nationalité aux gré des accords politiques internationaux.
L'adolescence de Tariq Ramadan se passe dans cette ambiance familiale. Grand amateur de football, élève sérieux et curieux du monde, Tariq est néanmoins privé de passeport et ne peut voyager hors de Suisse à cause de ce père célèbre qui refuse de vendre son engagement islamique aux pétrodollars du Golf. De quoi forger un caractère. Mais il y a plus et Ian Hamel apporte des éléments pour mieux cerner les personnalités de Tariq Ramdan, Hani Ramadan et les autres membres de la famille. Le projecteur s'attarde sur Tariq.
Ian Hamel revient sur le « retour aux sources » qu'opère Tariq lorsque, enfin nanti de sa nationalité suisse, avec épouse et enfants, il se rend en Egypte pour satisfaire un appétit intellectuel et culturel. Il rentrera avec l'intention de soutenir une thèse de doctorat dont les circonstances de la soutenance ne manquent pas de croquant. L'animosité excessive exprimée par certains intellectuels institutionnels à l'encontre de M. Ramadan trouve un début d'explication. Le séjour de Tariq à la Fondation islamique de Leicester, son engagement dans l'humanitaire, sa puissance de travail, sa starisation en France, son caractère autoritaire, ses rapports tumultueux avec le milieu associatif, sa grande admiration pour Malcom X... Bref, Ian Hamel ne fait presque pas d'impasse.
Il a, par contre, la courtoisie de ne pas ennuyer son lecteur en ne s'étalant pas plus que de raison sur les événements suffisamment médiatisés comme l'annulation du visa américain, l'interdiction de séjour en France ainsi que l'initiative du « Moratoire sur la lapidation » ou le face-à-face télévisuel avec Nicolas Sarkozy. Pour le lecteur qui connaît mal l'espace politique suisse, Ian Hamel apporte aussi les clés pour comprendre les rapports de Tariq Ramadan avec la gauche politique sans oublier son article sur les intellectuels communautaires qui lui valut l'adversité des milieux sionistes et une accusation d'antisémitisme jamais portée devant les tribunaux.
Dans Les Frères musulmans (Ed. Fayard, 2005), Xavier Ternissien, journaliste au journal Le Monde spécialisé dans le fait religieux, avait déjà apporté de nombreux éclairages sur les relations entre les Frères musulmans et la famille de Saïd Ramadan. Cette enquête de Ian Hamel confirme les conclusions de Xavier Ternissien et élargit le cercle des témoignages. Les deux journalistes dressent un schéma identique des rapports entre le mouvement frériste et la famille Ramadan. Ils parviennent aussi aux mêmes conclusions dans les rapports entre l'Union des organisations islamiques en France (UOIF) et le mouvement des Frères. Chez l'un comme chez l'autre, on perçoit la volonté de clarifier la « vraie » dimension internationale du mouvement des Frères qui a justement traversé des générations parce qu'il avait cette « direction nébuleuse ». Même si la démarche conforte l'idée d'une « internationale islamique », elle a néanmoins l'avantage de sortir le lecteur de la caricature médiatique simpliste sur un sujet qui anime régulièrement l'actualité du livre.
Le « Frère Tariq » (éd. Grasset & Fasquelle, 2004) de Caroline Fourest est un pamphlet écrit dans le style de la rhétorique salafiste-Jihadiste appliquée à l'idéologie de gauche. Le pire dans cette rhétorique est la bonne foi des auteurs. Le tout donne un livre qui en dit plus sur Caroline Fourest que sur Tariq Ramadan. A l'autre bout de la chaîne, « Faut-il faire taire Tariq Ramadan » (éd. L'Archipel, 2005) d'Aziz Zémouri n'est pas qu'une enquête mais aussi un livre d'entretiens. Il offre le précieux avantage de forcer Tariq Ramadan à exprimer ses opinions sur des sujets divers et variés. Une opinion dont certains auteurs sur le « phénomène Tariq Ramadan » ont cru pouvoir faire l'économie ! Entre Fourest et Zémouri, se situent nombre d'autres portraits intéressants mais rarement désintéressés.
A ma connaissance, Tariq Ramadan, sa famille, ses réseaux, sa stratégie est différent de ce qui existe déjà. Généreux en citations, riche en témoignages et abondant en références, ce livre qui arrive après d'autres a su profiter de ses prédécesseurs. Il apparaît comme le plus équilibré, le plus solide et le plus complet qui soit produit sur Tariq Ramadan.
La préface magistrale de Vincent Geisser arrive comme une cerise universitaire sur ce gâteau journalistique. Le tout se déguste sans crainte de surcharge pondérale intellectuelle. Car Ian Hamel écrit dans un style narratif direct, sans fioritures universitaires, son livre se lit donc comme un polar idéologique avec Tariq Ramadan dans le rôle principal et Ian Hamel dans celui du narrateur cherchant à taguer l'idéologie de son personnage : un intellectuel d'un genre nouveau. Trop adulé par les uns, trop détesté par les autres, il est, comme on dit de l'autre côté de l'Atlantique : un « succesful leader ».
Ian Hamel, La vérité sur Tariq Ramadan, sa famille, ses réseaux, sa stratégie, Edition Favre, 2007, 364 pages.