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Livres

Introduction aux doctrines ésotériques de l’islam, de Titus Burckardt

Coup de cœur de Chems-eddine Hafiz

Rédigé par Chems-eddine Hafiz | Samedi 16 Novembre 2013 à 06:00

           


Un livre de Titus Burckhardt, on me rétorquera qu’il s’agit d’un écrit difficile, inaccessible, voire indigeste. Que nenni, c’est un régal pour celui qui s’intéresse à ce qui n’est pas visible (bâtin), aux grands ésotéristes du XXe siècle.

Titus Burckhardt est, de mon point de vue, l’un des meilleurs interprètes de ce que l’on appelle la vérité universelle en matière d’enseignement ésotérique et sapientiel, de cette philosophia perennis que l’on retrouve aussi bien dans le platonisme que le vedanta ou le soufisme.

Membre de l’école traditionaliste, il fait partie de ceux qui ont composé les trois courants principaux de disciples de René Guénon (1886-1951) : Frithjof Schuon, Michel Valsân, Roger Maridort, Martin Lings ou encore Roger du Pasquier.

Pour celles et ceux qui ne connaissent pas Titus Burckhardt, il est né à Florence en 1908 et mort à Lausanne en 1984. Il est l’auteur d’ouvrages consacrés à l’ésotérisme, notamment l’ésotérisme musulman, qui est avéré tirer sa source dans le livre sacré de l’islam, le Coran, où la dualité d’Allah, Celui qui est apparent et Celui qui est caché, autorise pleinement la voie mystique.

Dans son livre Introduction aux doctrines ésotériques de l’Islam*, Titus Burckhardt confirme que le soufisme n’a pas subi d’influences extérieures à l’islam, qu’elles soient hindoues, chrétiennes ou néoplatoniciennes. Il compare le rôle du soufisme dans l’islam à « celui du cœur dans l’homme », le cœur étant le « centre vital de l’organisme » et le « siège d’une essence qui dépasse toute forme individuelle ».

L’écorce et le noyau

Le soufisme, l’ésotérisme de l’islam, appelé al-taçawwuf, car ces adeptes revêtaient de la laine (çûf), ceux que l’on appelle mutaçawwuf, qui vivent le « secret » (al-sir) entre eux et Allah. Titus Burckhkardt définit le soufisme qui « est l’aspect ésotérique ou “intérieur” de l’islam, se distingue de l’islam exotérique au même titre que la contemplation directe des réalités spirituelles – ou divines – se distingue de l’observance des lois qui les traduisent dans l’ordre individuel en rapport avec les conditions d’un certain cycle humain ».

Il oppose l’ésotérisme islamique, l’intérieur (l’invisible, le caché) ou bâtin, à l’extérieur (le visible, l’apparent) ou zâhir, celle-ci qui consiste dans la simple observance des lois religieuses qui symbolisent les réalités spirituelles.

C’est également sur la Loi religieuse, la sharia ou « grande route », qui doit s’appliquer à l’ensemble des croyants musulmans, et qui est considérée comme une écorce, dont la Vérité (haqqiqah) est le noyau ; noyau accessible seulement à un très petit nombre.

Pour René Guénon, cette loi islamique (exotérisme) s’assimile à la circonférence qui entoure un point central qui est la Vérité et pour que de la loi on accède à la Vérité, il y a lieu d’emprunter un chemin ténu, « voie étroite », qui est comme le rayon de la circonférence au centre et qui est la tarîqah, voie initiatique :

« La circonférence ne saurait exister sans le centre, dont elle procède en réalité tout entière, et, si les êtres qui sont liés à la circonférence ne voient point le centre ni même les rayons, chacun d’eux ne s’en trouve pas moins inévitablement à l’extrémité d’un rayon dont l’autre extrémité est le centre même. Seulement, c’est ici que l’écorce s’interpose et cache tout ce qui se trouve à l’intérieur, tandis que celui qui l’aura percée, prenant par là même conscience du rayon correspondant à sa propre position sur la circonférence, sera affranchi de la rotation indéfinie de celle-ci et n’aura qu’à suivre ce rayon pour aller vers le centre. (...) Il faut d’ailleurs préciser que, dès que l’enveloppe a été pénétrée, on se trouve dans le domaine de l’ésotérisme. »

Doctrine, initiation, méthode spirituelle

S’il existe de nombreuses voies initiatiques ou tourouq, elles tendent toutes vers le même point central qui est « l’état primordial ».
Dans le soufisme, on distingue trois éléments : une doctrine, une initiation et une méthode spirituelle.

La doctrine est une « préfiguration symbolique de la connaissance qu’il s’agit d’atteindre ». Elle est enseignée de manière « personnelle » de maître à disciple, le maître qui est rattaché au Prophète par un lien, dite chaîne de transmission (silsilah).

Quant à l’initiation, elle consiste dans « la transmission d’une influence spirituelle » d’un maître à un disciple qui lui inculque une méthode spirituelle. Il existe de nombreuses méthodes, de nombreuses chaînes qui sont autant de voies différentes correspondant à des vocations spirituelles particulières.

Pour illustrer mon propos, prenons comme exemple Djalâl ud-din Rûmî, dit Mawlânâ, « notre Maître », fondateur de l’ordre des Derviches tourneurs qui a développé le concept du concert spirituel (samâ’) : « Plusieurs chemins mènent à Dieu, dira-t-il, j’ai celui de la danse et de la musique » :

« Le samâ’ est la paix pour l’âme des vivants,
Celui qui sait cela possède la paix de l’âme.
Celui qui désire qu’on l’éveille,
C’est celui qui dormait au sein du jardin.
Mais pour celui dort dans la prison,
Être éveillé n’est pour lui que dommage.
Assiste au samâ’ là où se célèbre une noce,
Non pas lors d’un deuil, en un lieu de lamentation.
Celui qui ne connaît pas sa propre essence
Celui aux yeux de qui est cachée cette beauté pareille à la lune,
Une telle personne qu’a-t-elle à faire du samâ’ et du tambour de basque ?
Le samâ’ est fait pour l’union avec le Bien-Aimé.
Ceux qui ont le visage tourné vers la qibla,
Pour eux, c’est le samâ’ de ce monde et de l’autre.
Et plus encore ce cercle de danseurs dans le samâ’
Qui tournent et ont au milieu d’eux leur propre Ka’ba. »


Il est établi que dans la tradition islamique, la recherche de la « connaissance » (Ilm) est un mot qui revient plus de 800 fois dans le Coran et les nombreuses traditions prophétiques affirment que « la recherche de la connaissance est une obligation religieuse », ou « cherchez la connaissance jusqu’en Chine ».

C’est donc cette obligation pesant sur le croyant musulman qui est de se consacrer à la recherche de la connaissance qui vivifiera la religion musulmane.

Chems-eddine Hafiz, avocat au barreau de Paris, est co-auteur de Droit et religion musulmane (Éd. Dalloz, 2005) et auteur de De quoi Zemmour est devenu le nom (Éd. du Moment, 2010).

* Titus Burckardt, Introduction aux doctrines ésotériques de l’islam, Éd. Dervv, 1969, rééd. 2008, coll. « L’Être et l’Esprit », 188 p.





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