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Religions

Evreux : le conflit pour la mosquée s'enlise, la mairie condamnée par la justice

Rédigé par | Samedi 2 Juin 2012 à 09:05

           

La mosquée d’Evreux n’est pas construite qu’elle suscite déjà des conflits entre les associations musulmanes de cette commune normande. L’Association des musulmans d’Evreux (AME) s’était vu refuser par la mairie, le 22 mai, le prêt d’un gymnase pour organiser, dimanche 3 juin, une votation citoyenne sur le projet de la mosquée. L’AME a saisi le juge des référés pour contester la décision. Le tribunal administratif de Rouen vient de lui donner raison, obligeant le maire à se conformer à la décision. Michel Champredon nous explique son refus.



Evreux : le conflit pour la mosquée s'enlise, la mairie condamnée par la justice
L’Association des musulmans d’Evreux (AME) a obtenu gain de cause. Le tribunal administratif de Rouen a ordonné au maire d’Evreux, mardi 29 mai, de mettre à disposition de l'AME un gymnase ou toute autre salle équivalente afin que l’association puisse organiser, dimanche 3 juin, la votation citoyenne sur le projet de la future Grande Mosquée de la commune. Le juge des référés, saisi le 27 mai, n’a en revanche pas fait condamner la mairie à verser 1 000 €, contrairement aux informations diffusées par nos confrères de Paris-Normandie.fr.

Selon l’AME, la votation a pour but de permettre aux musulmans de choisir entre son projet de mosquée et celui de l’Union cultuelle musulmane d’Evreux (UCME). Mais Michel Champredon (Parti radical de gauche), qui s’oppose à cette initiative, n’a pas dit son dernier mot. S’estimant dans son bon droit, il nous déclare, vendredi 1er juin, être prêt à « saisir le Conseil d’Etat ». « En France, on ne peut pas organiser un vote dans un espace public, municipal en l’occurrence, uniquement à destination d'une communauté religieuse. Si l'AME l'avait fait dans un espace privé, il n'y aurait pas eu de problème. Je ne voulais pas non plus donner une forme de validation institutionnelle − même implicite − d'un vote qui n'offrait aucune garantie de sincérité et de transparence », nous affirme-t-il.

En attendant, le premier magistrat de la ville s’est plié à la décision judiciaire vendredi. « La mairie m’a contacté ce matin pour nous signifier que le Hall des expositions d’Evreux est mis à notre disposition », nous déclare Moustapha MBodji, président de l'AME.

Michel Champredon, maire d'Evreux
Michel Champredon, maire d'Evreux

Le vent de la discorde souffle entre les musulmans

Depuis sa création en 1994, l’AME entretenait pourtant des relations qu’elle qualifie elle-même de « cordiales » avec la mairie. « On ne nous a jamais refusé de salle, notre droit a toujours été respecté. C’est la première fois qu’on en arrive là avec le maire », se désole M. MBodji. Mais depuis la création de l’Union cultuelle musulmane d’Evreux (UCME), en mai 2011, sous l’impulsion du maire, rien ne va plus. « L’UCME a été créée de façon opportuniste avec des associations qui n’ont rien à voir avec le culte musulman. Les musulmans ont droit au débat, l’UCME n’en veut pas mais elle se revendique d’être un socle du rassemblement », dénonce le président de l’AME.

Côté mairie, c'est l'AME qui est en tort. Lors des élections municipales en 2008, « nous avons pris l’engagement avec la communauté musulmane de trouver un terrain pour y construire une mosquée, considérant (...) qu'il était parfaitement légitime pour les musulmans d’obtenir une mosquée digne de ce nom et pas seulement des maisons aménagées, partant du principe que la communauté musulmane se développe », affirme M. Champredon.

Mais, au début de son mandat, face au nombre d'interlocuteurs qui se présentaient à lui avec des projets, il a appelé les musulmans à se rassembler. « Il a fallu deux ans pour que des associations musulmanes se regroupent dans l’UCME » mais l'AME « a fini par sortir du jeu collectif en présentant son propre projet de mosquée. La philosophie de la ville est de rester sur une démarche collective de la communauté musulmane » au travers de l'UCME et non avec l'AME, « dont la représentativité n'est pas avérée » et qui « porte une sensibilité de la religion musulmane », à savoir celle de l'Union des organisations islamiques de France (UOIF), dont font partie plusieurs dirigeants. Accusation que rejette M. Mbodji, affirmant que son association est indépendante et n'est « affiliée à aucune fédération ». Notons que l'AME a été fondée en 1994 par le réseau des Jeunes musulmans de France (JMF), lié à l'UOIF.

Peu importe pour le maire, « on n'a pas à aider l'AME, pas plus que la mairie ne l'a fait au cours des années passées pour les quatre autres associations qui gèrent chacune leur lieu de culte à Evreux (Assalam, Le Chemin de la réussite, Nour de Netreville et Association Franco-Turque, ndlr). Si on accorde un terrain de 5 000 m² aux musulmans, c'est uniquement s'il y a une démarche collective de leur part et la seule qui le fait est l'UCME », même s'il convient que toutes les associations qui en font partie ne sont pas habilitées à gérer le culte musulman. « Je me félicite déjà du travail de rassemblement et l'UCME, qui était d'abord culturelle, entreprend des démarches au niveau interne pour devenir cultuelle. » Et au moins, selon lui, presque toutes les nationalités sont représentées. « Comme ça, il n'y aura pas une seule en particulier qui s'appropriera le pouvoir ».

La mosquée, enjeu de pouvoir

Pour sa part, l'UCME s'aligne sur la même position que le maire pour boycotter la consultation et appelle les musulmans à en faire de même. L’UCME « a été créée dans un esprit de rassemblement et ne s'inscrit pas dans une optique individuelle. Elle n'a pas été créée dans un contexte de compétition et œuvre contre les divisions », fait-elle savoir dans un communiqué. Elle prétexte en outre qu’elle rassemble « 14 associations représentant différentes communautés et sensibilités et qui tend à s'agrandir ».

L’UCME déclare aussi être « la seule organisation à présenter un projet légitime aux yeux de la municipalité comme des représentants de l'Etat, car elle remplit les trois conditions nécessaires à l’avancement du projet », à savoir « un rassemblement le plus large possible avec une gouvernance partagée, un financement local excluant toute intervention extérieure et un projet architectural respectant le PLU (plan local d'urbanisme, ndlr) et l'environnement urbain des alentours » et invite l’AME à la « rejoindre dans ce beau projet fédérateur ».

L’AME, semeur de discorde ? Elle rejette ces accusations, jugeant que les musulmans d’Evreux doivent pouvoir s’exprimer sur le choix de l’association porteur du projet de mosquée. « La consultation citoyenne n’est ni une polémique ni une provocation, encore moins une source de division comme le prétend l’UCME. C’est un moment de débat et de transparence proposé aux Ebroïciens sur un projet important qui les concerne », a-t-elle souligné, jeudi 31 mai. Sauf que le débat contradictoire ne pourra avoir lieu sans l'UCME et les résultats du vote n'auront pas de sens. « Ce sera la faute à l'UCME », martèle M. Mbodji.

Le CRCM appelé à apaiser le conflit

Outre l'absence de l'UCME, M. Champredon déclare avoir refusé la votation parce que l'organisation du vote pose plusieurs problèmes : « Comment vont-ils vérifier l'identité des gens ? Ont-ils des listes électorales ? Ceux qui viendront de Dreux, de Mantes-la-Jolie ou d'ailleurs seront-ils exclus du vote ? Comment éviter que les personnes votent deux fois s'il y a du monde ? » La salle est prêtée mais « je ne tiendrai pas compte du vote. (...) Je sais gré à l'AME d'avoir saisi le tribunal administratif car cela a eu le mérite à ce que chacun clarifie sa pensée », souligne-t-il. Une façon pour lui de relativiser le revers subi en référé.

Pour la mairie, ce n'est pas à elle de trouver des solutions au conflit AME-UCME mais c'est à la communauté musulmane de « faire preuve de sens de responsabilité et d'unité ». « Après tout, s'il y a des gens qui doivent arbitrer, fédérer et apaiser, ce sont peut-être aussi les responsables du CRCM (Haute-Normandie), c'est leur mission », affirme M. Champredon. « Qu'on ne m'en demande pas trop, je ne veux pas franchir la ligne jaune et être dans le champ du cultuel, là n'est pas ma responsabilité. J'ai déjà ce dossier qui n'est pas simple à gérer mais je le gère avec enthousiasme et avec l'envie d'aboutir », nous finit-il par dire.








Rédactrice en chef de Saphirnews En savoir plus sur cet auteur


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