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Points de vue

Des youpins étaient pour les camps de concentration

Rédigé par Nassurdine Haidari | Vendredi 1 Avril 2016 à 20:14

           


Des youpins étaient pour les camps de concentration
« Des youpins étaient pour les camps de concentration. » Une phrase horrible, raciste, qui aurait soulevé à juste titre toutes les belles âmes de notre grande République, qui aurait poussé sur le champ la ministre des Familles, de l'Enfance et des Droits des femmes à démissionner de ses fonctions. Une sanction qui aurait appelé le Premier ministre à condamner, avec la plus grande autorité et la plus grande fermeté, ces funestes déclarations devant les parlementaires, au sein de l’Assemblée nationale.

Le Président de la République se serait désolidarisé de sa ministre et aurait présenté des excuses publiques lors d’une grande conférence de presse en reprenant le slogan de la campagne gouvernementale de prévention contre la haine et le racisme : « Ça commence par des mots (ironie du sort), ça finit par des crachats, des coups, du sang. »

Les intellectuels auraient pris d’assaut les plateaux TV, nous expliquant que la prononciation du terme péjoratif « youpin » nous renvoyait à des heures sombres de l’Histoire et que personne ne pouvait être favorable aux antichambres de la destruction du peuple juif. Une onde de choc aurait traversé le pays tout entier et le président du CRIF aurait dénoncé de toutes ses forces, ces propos inqualifiables prononcés au nom de l’État français. Des manifestations auraient été organisées dans toute la France pour dire Non au racisme et Non à l’antisémitisme. Cette réaction digne, aurait été à la hauteur de ces déclarations et aurait été comprise par la France et les Français.

Des youpins étaient pour les camps de concentration

Un voile-une femme-une prison, une équation fatale

Un scénario similaire, avec des propos différents mais tout aussi graves, s'est produit en France. Ces propos d’une extrême gravité, prononcés par Laurence Rossignol lors d’une émission de grande écoute devant l’apathique Jean-Jacques Bourdin, ont été noyés dans l’indifférence et le silence assourdissant de nos autorités.

A une question, somme toute anodine, sur ces grandes marques qui investissent le marché vestimentaire de tradition « musulmane », la ministre a développé un argumentaire fallacieux, d’une exceptionnelle idiotie. Laurence Rossignol s’est tout d’abord fourvoyée dans une analyse de bric et de broc en dénonçant l’irresponsabilité de ces marques, qui par cupidité, s’attaquaient aux droits des femmes. Par une « fatwa » gouvernementale, elle a accusé ces grandes marques et ces femmes de porter atteinte à la liberté, ajoutant dans un élan de médiocrité que la liberté des femmes était liée à la longueur de leurs jupes. De même, la ministre a convoqué le triptyque républicain pour placer ces femmes en ennemies de nos valeurs communes. Tout un programme !

Ces femmes portant le voile n’auraient ni la capacité de penser leur corps, ni la faculté de se penser dans la société, emprisonnées dans ces petits bouts de tissu qu’elles souhaiteraient insidieusement nous imposer. Ces sentinelles d’un islam politique imposé par les salafistes dans ces quartiers perdus de la République qui mettraient en danger notre sacro-sainte laïcité... Un réquisitoire en règle que même les esprits les plus tordus n’auraient pas entrepris. Un voile-une femme-une prison, une équation fatale, stigmatisant une fois de plus, toutes ces femmes libres et fières de disposer de leurs corps comme bon leur semble. Une « fatwa » gouvernementale a fait de ces femmes françaises les émissaires incontournables de la population « franco-musulmane », les responsables de la perversion du vivre ensemble et les victimes expiatoires du salafisme mondialisé. Ces femmes coupables de choisir l'obscurité à la lumière, l'asservissement à la liberté, seraient même comparables à « des nègres africains-américains pour l’esclavage » (sic).

Cette comparaison sordide d’une rare violence aurait normalement fait bondir tout journaliste digne de ce nom mais n'a pas suscité la moindre réaction, le moindre hochement de tête de la part de Jean-Jacques Bourdin. Une honte pour la profession ! La lutte contre le racisme en France est belle et bien à géométrie variable.

Des youpins étaient pour les camps de concentration

Qui pour faire l'apologie de l'esclavage ?

Comment expliquer qu'un ministre du pays des droits de l'Homme puisse réduire des hommes à une couleur de peau, en empruntant la rhétorique des plus grands esclavagistes et des organisations ségrégationnistes, pour parler de la douloureuse histoire des afro-américains ? Comment dire devant la France toute entière que les « nègres » étaient pour l'esclavage ? Les femmes vendues comme du bétail sur les marchés puis violées par tous ceux qui composaient la chaîne de ce commerce de l'horreur étaient-elles favorables à ce qu'elles subissaient ? Les enfants arrachés à leurs parents chassés dans les villages d'Afrique tels du gibier étaient-ils favorables à cette chasse à l'homme ? Ces esclaves noirs dont le fouet du maître blanc lacérait tous les centimètres de leur pauvre corps,épuisé par le dur labeur, étaient-ils favorables à ces traitements inhumains ?

Non, Madame la ministre, aucune âme sur terre, ne pourrait être favorable à la privation de liberté, aux viols à répétition, à la torture par soumission, à l'émasculation comme punitions. Aucun homme, aucune femme, aucun enfant ne pourrait vous faire l'apologie de l'esclavage. Oui Madame, vos déclarations sont indignes d'une des fondatrices de SOS racisme dont les fonctions appellent aujourd'hui à la mesure et à un certain sens du discernement. Le racisme n’est pas une faute de langage, ni un dérapage. Le racisme est une pensée, une idéologie qui consiste à enfermer des hommes et des femmes dans des cases honteuses et humiliantes, en descendant progressivement dans les puits sans fin de l’horreur. Vos répugnantes déclarations sur RMC prouvent une fois de plus que le chemin de la lutte contre le racisme sera long, éprouvant voir désespérant. Vos répugnantes déclarations prouvent une fois de trop qu’une forme de racisme ne sera malheureusement jamais sanctionnée en France.

Nous ne serons jamais unis contre la haine

La vérité, c'est qu'il existe une grille de lecture invisible pour classer les infractions racistes en France. L'antisémitisme, l'islamophobie et la négrophobie ne sont pas logés à la même enseigne et le manque de réactivité des autorités suite à vos déclarations confirme nos craintes.

La vérité, c'est que nous en avons assez de voir ces prises de position rétrogrades et sélectives où la concurrence victimaire a choisi son camp. La reconnaissance officielle de l’État français dans les crimes liés à la déportation pour les uns, contre le silence officiel de l’État français pour les crimes liés à la colonisation pour les autres. La justice pour certains, l'indifférence pour les autres. Deux poids-deux mesures, un seul et même crime, deux lectures...

Madame, s'il y avait en vous un semblant d'honneur, vous auriez démissionner. S'il y avait dans ce gouvernement une once d'intégrité morale, le Premier ministre exigerait votre démission. Car vos déclarations injurieuses et racialistes blessent toute une partie de la population française chez qui l'histoire de l'esclavage est intimement liée à leur vie. Sachez que le voile ne peut se résumer en un outil d’asservissement et d’infériorisation de la femme. Il est souvent un choix mûri, fait en toute conscience et s’inscrivant dans une spiritualité profonde, dans un rapport à soi détaché de toutes contingences matérielles. Nombreuses sont ces femmes qui aiment la France et n’opposent pas leur foi au respect de la loi. Le voile est parfois pour elle l’aboutissement d’un cheminement intérieur dont personne ne peut se faire juge. La laïcité ne repose t-elle pas sur cette liberté de conscience?

Devant cette hypocrisie généralisée, nous disons clairement que nous ne serons jamais unis contre la haine, tant que le racisme des uns éclipsera le racisme envers tous les autres. Nous ne serons jamais unis contre la haine, tant que la vie fauchée d'un esclave dans une plantation de coton ne sera pas aux yeux de l’État équivalente à celle d'une vie juive fauchée dans un centre de concentration. Nous ne serons jamais unis contre la haine, tant que le traitement du voile d'une femme musulmane ne sera pas aux yeux des politiques comparable à celui d'une bonne sœur catholique. Nous ne serons jamais unis contre le racisme tant que la discrimination frappera les uns en protégeant les autres. Alors Madame la ministre, démissionnez...

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Nassurdine Haidari est élu PS de Marseille et délégué du Conseil représentatif des associations noires de France (CRAN) pour la région PACA.






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