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Points de vue

Birmanie : lettre ouverte à France 2 après le reportage sur Aung San Suu Kyi

Par Mouna Derouich*

Rédigé par Mouna Derouich | Mardi 26 Mars 2013 à 03:00

           


Madame, Monsieur,

Suite au documentaire intitulé « Aung San Suu Kyi, un rêve birman », diffusé (dans Infrarouge, ndlr) le mardi 12 mars 2013 sur votre chaîne de télévision, je me permets de vous adresser ce courrier.

En effet, le documentaire en question retrace le parcours de la députée birmane avec, entre autres, son combat pour la démocratie. Ce qui est une noble cause, j’en conviens. Mais une démocratie qui semble résonner selon ses propres idéaux et que vous semblez rejoindre puisque à aucun moment vous ne relevez le problème des minorités birmanes persécutées depuis des décennies. Je suis choquée et scandalisée de voir qu’à travers votre documentaire vous faites le constat d’une Birmanie uniquement bouddhiste ; vous omettez – ce qui est surprenant, voire impardonnable de la part de journalistes – de préciser que la Birmanie accueille en son sein également des chrétiens, des musulmans, des animistes... Est-ce un oubli, un manque de documentation ou une volonté de votre part ? Je me pose la question.

Témoin direct du génocide birman commis contre la minorité musulmane (les Rohingyas et les Kamans) dans l'Etat d'Arakan, j'aimerais que les médias mettent en lumière la réalité birmane actuelle.

Qui sont réellement les Rohingyas ?

Les Rohingyas, descendants lointains (VIIIe siècle) de commerçants arabes, perses, mongols, turcs, bengalis sont une minorité ethnique de confession musulmane, originaires de l’état du « Rohang », officiellement connu sous le nom d’« Arakan ».

Depuis l’indépendance de la Birmanie en 1948 jusqu’à aujourd’hui, cette ethnie (dans un pays qui compte plus de 130 ethnies reconnues par les gouvernants birmans) est la victime de travaux forcés, d’extorsions et de confiscation de leurs terres, violences et humiliations, de persécutions religieuses.

En 1982, le dictateur Ne Win déchoit les Rohingyas de leur nationalité. Dès lors, les Rohingyas birmans se retrouvent avec le statut d’apatrides dans leur propre pays.

Des opérations de nettoyage poussent les Rohingyas à fuir par vagues successives. Ils sont 200 000 à rejoindre le Bengladesh en 1982, et, 260 000 en 1991-1992, survivant dans des conditions de misère extrême. Aujourd'hui, un million d’entre eux sont hors de la Birmanie (refugiés ou clandestins) et 800 000 essaient de survivre en Birmanie.

De nombreuses organisations internationales ont dénoncé et relayé cet état de fait. Pour ne citer que deux exemples : la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) a intitulé son rapport de mission internationale d’enquête N° 290 d’avril 2000 « Birmanie, répression, discrimination et nettoyage ethnique en Arakan » (disponible sur internet) et l’ONU considère depuis longtemps les Rohingyas comme « une des minorités les plus persécutés au monde ».

Depuis le début du mois de juin 2012, cette minorité est à nouveau victime de violences meurtrières et d’attaques ciblées par une foule de bouddhistes extrémistes armées, soutenues par les forces de sécurité et l’armée birmane ; tout cela sous l'oeil bienveillant du gouvernement birman et dans le silence le plus total de l’opposition démocratique incarnée par Aung San Su Kyi et des grands médias internationaux (hormis quelques articles)

Dans un rapport paru le 1er août 2012, Human Rights Watch pointe du doigt la situation alarmante de la minorité Rohingyas en Birmanie. L'ONG accuse les forces de sécurité birmanes de « meurtres, viols et arrestation de masses » à l'encontre de la minorité musulmane des Rohingyas.

Selon le professeur Nurul Islam (économiste de renommée mondiale), président de l’Arakan Rohingya National Organization (ARNO), on a recensé « plus de 1 000 civils rohingyas morts et plus de 14 villages incendiés, en seulement 10 jours de persécution ! ».

Alors que le « gouvernement limite l'accès des organismes humanitaires à la communauté Rohingyas », « beaucoup sont toujours déplacés et manquent cruellement d'aide alimentaire, d'un abri et de soins médicaux » (selon HRW).

L’ONU a aussi condamné les violences ethniques qui ont lieu depuis juin 2012 et appelle l’Etat birman à rétablir une paix. Le 15 août 2012, l'ONU évaluait à 80 000 le nombre de déplacés nécessitant désormais une assistance humanitaire.

Devant de telles horreurs, les Rohingyas, contraints de fuir leur pays, se retrouvent refoulés par les gardes-frontières du Bangladesh qui, récemment, ont demandé aux ONG de suspendre les aides en faveur des réfugiés musulmans réussissant à franchir les frontières.

« Le rêve birman » incarné par Aung San Suu Kyi, prix Nobel de la paix et défendu un temps par le peuple birman ressemble aujourd'hui à un espoir déçu. Ma question est la suivante : à quand un reportage sur le silence coupable d'Aung San Suu Kyi concernant les minorités en Birmanie, cibles de persécutions dans son pays - la députée birmane couverte de fleurs et de vertus ne s’étant même pas rendue sur place ? Comment avez-vous pu faire l’impasse sur ce sujet reconnu et dénoncé par de nombreuses ONG alors qu’il est la clef pour comprendre l’ouverture actuelle de la Birmanie et sa politique à venir vis-à-vis de toutes ses cultures ethniques ?

Je vous remercie de prendre en compte ma légitime requête et de rétablir la vérité, d’abord sur un plan inhérent à l’information, et ensuite sur un plan moral, éthique et déontologique.






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