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Points de vue

Banlieues et islamisme, la recette de cuisine d'Alexandre Devecchio

Rédigé par Louis Alidovitch | Jeudi 2 Février 2017 à 08:00

           


Banlieues et islamisme, la recette de cuisine d'Alexandre Devecchio
Le 28 octobre 2016, Alexandre Devecchio, journaliste au Figaro, a sorti un ouvrage intitulé Les nouveaux enfants du siècle ; Djihadistes, identitaires, réacs : enquête sur une génération fracturée (Cerf). L’auteur prétend être allé rencontrer la jeunesse française née après 1989 et en dresser un tableau. La première partie, génération Dieudonné, est un véritable pamphlet faisant des banlieues françaises des nids à islamistes. Revenons sur un travail peu sérieux et emprunt d’idéologies.

Banlieues antisémites, homophobes et communautaristes

La méthode Devecchio est une recette de cuisine : recenser les pires faits, les pires témoignages, les pires analyses des livres polémiques. Ajouter tous ces éléments, établir un lien de cause à effet et vous obtiendrez l’islamisme à chaque coin de rue, prêt à menacer la République.

Tout commence avec la gauche, forcément, coupable d’avoir mis sous tutelle les banlieues avec les discours antiracistes dans les années 1980. Alexandre Devecchio ne parle à aucun moment de l’importance des sirènes de la société de consommation et d’un capitalisme, dont il est le défenseur, qui dissout les cadres producteurs de lien sociaux et les repères identitaires. L’auteur insiste : cette même gauche est responsable de la faillite de l’école républicaine et d’attitude complaisante à l’encontre des islamistes. Elle a ainsi préparé le terrain fertile du communautarisme. Cet exemple résume la méthode de l’auteur : il prend une réalité et l’expose comme étant la seule et unique réalité. Il fait abstraction de tout autre paramètre pouvant contribuer à expliquer le phénomène critiqué (car il s’agit bien de critique et non de description, il s’agit bien d’un pamphlet et non d’une enquête). On appelle cela de l’idéologie.

Et le travail de l’auteur est de persuader le lecteur que la permissivité de la gauche a permis le développement du communautarisme dans les banlieues. Pour étayer ses thèses, l’auteur se livre à un exercice de raccourcis, simplifications et généralités criants. La logique communautariste repose sur « la volonté séparatiste de certaines populations immigrées ou d’origines immigrées au nom de motifs cultuels ou culturels » (p. 49). A coup de « certains », Alexandre Devecchio transforme des anecdotes en phénomène de société : « certains peuples », « certains discours homophobes », « certains quartiers ».

On ose comprendre ce que l’auteur veut dire lorsqu’il évoque les 43 milliards d'euros de ces dix dernières années dans les différents programmes d’aides aux banlieues. L'auteur nous sort Gilles Kepel de sa poche qui lui, nous sort un entrepreneur nommé Murat et présenté comme « un chef d'entreprise prospère d'origine turque, issus des quartiers pauvres et désormais propriétaire d’un beau pavillon » dont le témoignage est porté au rang de sociologue : « Qu’on rénove les immeubles, qu’on investisse des millions, ce n’est pas cela qui va changer la façon de vivre des gens ! » Puis c’est Murielle, la caution communiste, qui expliquera qu'« ils ont encore tendance à jeter les poubelles par la fenêtre » (p. 51).

Godwin et manipulation des sources

On n’est pas non plus loin du bruit et des odeurs… mais le pire est à venir ! En effet, la thèse de l’auteur est que, lorsque ces populations immigrées rencontrent le discours des Frères musulmans, on obtient les émeutes de 2005, puis Mohamed Merah, les frères Kouachi et cie. Les Frères musulmans et son antenne française l’UOIF seraient la source de la radicalisation. Il n’hésite pas à affirmer, sans jamais s’appuyer sur une étude sociologique sérieuse, que « en France, depuis la fin des années 1980, les Frères ont largement contribué à réislamiser et à radicaliser les jeunes issus de l’immigration maghrébine de la deuxième et de la troisième génération. (…) Leurs structures associatives (...) propagent une idéologie qui doit être qualifiée de totalitaire » (p. 60-61).

Après avoir établi un parallèle entre la quenelle et le nazisme, Alexandre Devecchio ressort le point Godwin pour expliquer que les chemises vertes de Hassan al-Banna, fondateur de la confrérie en 1928, sont l’équivalent volontaire des chemises brunes de Mussolini. Il continue ainsi : « Comme le nazisme et le communisme au XXe siècle, le projet des Frères Musulmans se conçoit comme l’accomplissement de la fin de l’histoire à l’échelle planétaire par la conquête de l’ensemble des peuples et leur reddition à la vérité que détient le mouvement. Ce dernier travaille donc à l’instauration et à la domination d’un état islamique mondial qui gouvernera toute l’humanité, y compris l’Occident, sous l’égide de la charia » (p. 61). Comme seule source, l'auteur exhume un passage d’un texte de Hassan al-Banna de 1936 à destination des égyptiens et généralise sa portée.

Banlieues et islamisme, la recette de cuisine d'Alexandre Devecchio
Il va plus loin dans le manque de rigueur (ou dans la malhonnêteté intellectuelle) lorsqu’il utilise quelques passages d’une vidéo datant de 1990 dans laquelle Tareq Oubrou, recteur de la mosquée de Bordeaux et décoré de la légion d’honneur, affirme qu’il est interdit d’interpréter le Coran : « Tout est à prendre au premier degré dans le Coran. » (p. 72) Il se livre à une vraie attaque à cet imam au double discours selon lui. Mais à aucun moment, il n’a pris la peine de connaitre les postions actuelles de Tareq Oubrou. Or, ce dernier a carrément changer de cap depuis une dizaine d’années et est devenu un véritable d’acteur de rapprochement des communautés.

Alexandre Devecchio ose mettre en perspective le voyage à Auschwitz de Tareq Oubrou avec la conférence que l’imam a donné avec Alain Soral. Il n’indique pas que le voyage succède à la conférence et que cette dernière a eu lieu avant les polémiques de Soral. Tareq Oubrou mettrait en œuvre la machiavélique stratégie des Frères et ferait de l’entrisme afin d’opérer des rapprochements aussi bien avec l’extrême droite que l’extrême gauche, pour mettre à profit le morcellement de la société française et ainsi imposer leur vision du monde. Alexandre Devecchio est un des membres du Comité Orwell. Le voir tomber dans de tels raisonnements complotistes pour dénigrer ses adversaires est assez … orwellien.

L'auteur tombe aussi dans la caricature lorsqu’il s’attaque à Tariq Ramadan. Il préfère rappeler sa généalogie et qualifier le penseur suisse d’élégant prédicateur qui ne va pas sans évoquer une possible doublure de Mohammed Ben Abbas, le président musulman de Soumission, le roman de Michel Houellebecq (p. 60). Il n’évoque à aucun moment que ce dernier est philosophe et professeur d’islamologie à Oxford.

Riposte laïque 2.0

En même temps, que peut-on attendre d’une enquête s’appuyant sur Michel Houellebecq, Mohamed Sifaoui, Céline Pina ou encore Boualem Sansal ? Autant d’auteurs ayant des comptes à régler avec l’islam. Seul Gilles Kepel apporte une crédibilité universitaire à un argumentaire désignant le jeune de banlieues comme un potentiel fanatique, façonné par un antisémitisme « ancrée dans la culture musulmane » et dont le projet est d’éradiquer les libertés pour y substituer le coupage de main des voleurs et la lapidation des femmes adultères.

C’est au bout de 100 pages que l’auteur dit enfin quelque chose de vraiment pertinent, lorqu’il s’appuie sur Olivier Roy pour expliquer et comprendre le jihadisme. Ce dernier, loin des démonstrations mono-causales et caricaturales démontre que le jihadiste est « l’enfant bâtard d’une utopie et d’une idéologie désenchantée. La créature hybride d’une idéologie barbare et d’une postmodernité horizontale ». Cependant, ces quelques propos de bon sens se noient dans la multitude d’accusations, d’imprécisions et de mauvaises intentions prêtées à quelques acteurs, faisant du premier chapitre intitulé « Génération Dieudonné » un réquisitoire du niveau de Riposte Laïque.

Au final, ce premier chapitre est un exercice de sophisme consistant à collecter les pires caricatures, à s’appuyer sur des parcours marginaux et à se faire porte-parole de la caution de gauche Malek Boutih qui prophétise que « le jihadisme pourrait devenir un phénomène de masse » (p. 100), jihadisme qui prend racine dans le communautarisme (alors que tous les chercheurs sérieux, Olivier Roy en tête, décrivent les aspirants au jihadisme comme évoluant en dehors des groupes musulmans), communautarisme se développant à cause de l’islam des Frères musulmans, Tariq Ramadan et compagnie.

Ce n’est pas parce que l’on doit refuser que la critique de l’islam soit aussitôt accusée d’islamophobie qu’il faut accepter ce niveau d’analyse.

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Louis Alidovitch est écrivain, auteur de l'essai La Barbe qui cache la forêt (Editions Thésée, 2015).






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