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Economie

Aïd el-Kébir : des moutons aux prix qui donnent le tournis

Aïd al-Adha 2012

Rédigé par Maria Magassa-Konaté | Jeudi 18 Octobre 2012 à 00:00

           

Plus qu’une dizaine de jours avant l’Aïd el-Kébir (Aïd al-Adha), dont le premier jour est fixé au vendredi 26 octobre. Le consommateur musulman devra débourser une nouvelle fois une somme importante pour pouvoir acquérir un mouton, l'animal principalement abattu en France pour rendre hommage au sacrifice d’Abraham. Mais pourquoi les prix atteignent parfois des sommets ? Saphirnews a enquêté dans un monde qui fait penser par moment à celui de Wall Street.



Aïd el-Kébir : des moutons aux prix qui donnent le tournis
Les consommateurs musulmans ont l’habitude de dépenser une somme importante lors de l’Aïd el-Kébir.. Cette année 2012 ne déroge pas à la règle car, avant d’atterrir dans les assiettes, le mouton suit un long parcours où chaque acteur de la filière ovine prend sa marge financière.

Résultat : les prix sont parfois vertigineux et ils le sont encore plus quand le musulman s’y prend tard le jour de l’Aïd, alors que la demande explose.

Un circuit long

« La distribution actuelle est longue », déplore Antoine Paladini, gérant de la coopérative France Distribution Services, en Île-de-France, qui regroupe plusieurs éleveurs.

En effet, dans le schéma classique de distribution, l’éleveur vend d’abord ses bêtes à un acheteur qui les remet aux mains d’un transporteur chargé de les conduire dans un abattoir. A partir de ce moment entrent en scène un nouveau transporteur, puis un grossiste, et les bêtes passent ensuite par un demi-grossiste pour enfin arriver chez le détaillant.

Au final, « les moutons passent entre 7 ou 8 mains, voire 10 », indique M. Paladini. Conséquence : alors que l’éleveur va vendre au maximum 2,80 € le kilo sur pied un agneau, le consommateur devra débourser au minimum 9,80 € le kilo dans une boucherie halal, le jour de l’Aïd, nous apprend l’entrepreneur. Ce circuit long explique en partie le prix important que les consommateurs doivent débourser pour s’acheter un agneau.

Avec sa coopérative, M. Paladini court-circuite ce schéma, en achetant les bêtes chez l’éleveur, en les conduisant à l’abattoir et en les récupérant pour les proposer directement aux consommateurs à des prix compétitifs.

Une baisse du cheptel ovin

Chercher à faire des économies est recherché par le plus grand nombre, d’autant plus que, cette année, les prix devraient une nouvelle fois augmenter. Si l’épidémie du virus de Schmallenberg (SBV) a eu peu d’impact sur les prix, cette hausse est surtout due à une baisse du cheptel ovin en France.

Dans un récent rapport, le ministère de l’Agriculture indiquait déjà que, sur les cinq premiers mois de l’année 2012, la production ovine était en baisse (− 2,3 %) par rapport à l’an dernier.

Les fournisseurs de l’abattoir de Gennevilliers en Île-de-France ont ainsi augmenté leur prix de 20 €, qu’ils justifient par une hausse du prix du gasoil et des aliments pour bétail. « Habituellement, la hausse annuelle est de 4 ou de 5 € mais, cette année, elle a grimpé de 20 €. Les éleveurs ont énormément augmenté leurs prix », raconte Abdou Kessouh, le responsable de l’abattoir Dajaj Hallal, agréé par la préfecture de Nanterre pour l’Aïd el-Kébir.
« Nous vendons l’agneau 235 € plus 30 € l’abattage, ce qui fait 265 € la bête pour l’Aïd », nous précise-t-il.

Cette hausse de 20 € n’étonne pas Laurent Chupin, le gérant de l’agence Acti Ouest, spécialisée dans les cours et marchés d’animaux de boucherie, qui l’attribue à « une baisse du cheptel » ovin et non pas aux coûts de production comme le gasoil, car c’est « l’offre et la demande qui font le marché ».

« Il y a une faible disponibilité d’agneaux, ce qui fait que les prix montent », explique-t-il, en ajoutant que cela est encore plus visible par période, comme le mois d’octobre durant lequel se déroule cette année l’Aïd. Il n’y a pas possibilité d’importer des bêtes d’autres pays de l’Union européenne, car tout le continent est frappé par cette « faible » production, précise M. Chupin, et, à cause de cette baisse de rentabilité, « beaucoup d’éleveurs ont mis la clé sous la porte ».

Les spéculateurs misent sur le jour de l’Aïd

Et la spéculation, qui a le vent en poupe dans la filière ovine, fait également grimper les prix. Les spéculateurs et autres négociants y trouvent leurs comptes au détriment du consommateur.

Ancien maquignon (acheteur de bêtes dans les élevages), à 69 ans, M. Paladini connaît bien cette mécanique. « Des négociants vont acheter beaucoup d’agneaux et créer une pénurie sur le marché. Ils vont alors ressortir ces bêtes et doubler leur prix, les fameux trois jours du sacrifice. Les prix vont flamber », explique-t-il. « C’est un peu la Bourse. Cela se fait couramment comme avec le chocolat au moment des fêtes de fin d’année. Aujourd’hui, les banquiers font la crise », regrette-t-il.

Lui, qui propose l’abattage rituel halal pour l’Aïd, achète ses bêtes 2 ou 3 mois à l’avance « pour ne pas subir le prix de la fête ». Aujourd’hui, tous ses agneaux sont réservés. Il faut dire qu’acheter bien à l’avance permet de faire des économies. « Un agneau va être vendu 180 € pièce tête sur pied maintenant et, le jour de l’Aïd, le prix va être fixé à de 270 à 300 €, voire plus », précise ainsi M.Paladini.

A l’approche de l’Aïd, les spéculateurs jouent un grand rôle sur le marché des ovins, d’après lui. Cette dimension s’étend même au-delà des frontières françaises. Ainsi, comme l’Algérie et le Maroc manquent d’agneaux, des négociants européens mandatés se procurent des bêtes pour ces pays, nous apprend M. Paladini. Des hommes qui « ont à la place du cœur un portefeuille ; et du cerveau, un coffre-fort », juge-t-il.

Pour se retrouver dans cette jungle, le consommateur musulman a donc tout intérêt à réserver à l’avance un mouton pour éviter la pénurie et des prix vertigineux.





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